
La file d’attente n’en finit plus de s’étendre devant les grilles du Leader Price de Magenta. Les trottoirs et le rond-point se substituent au parking du magasin, toujours inaccessible. À l’angle du centre commercial, le long de la rue du 18 juin, trois hommes sont assis et discutent, inaperçus. Si le magasin peut, encore aujourd’hui, recevoir plusieurs centaines de clients venus se ravitailler, c’est en grande partie grâce à eux.
Ces derniers jours, Charles, Yvannick et Jonathan surveillent constamment le Leader Price. Depuis que le Carrefour, à quelques centaines de mètres, a été pillé, l’enseigne représente le "dernier garde-manger" des habitants du coin. En particulier ceux des Tours, quartier populaire dont les résidents sont rarement propriétaires d’un véhicule et ne se ravitaillent que dans les commerces de proximité. "À la tribu c’est facile, il y a le champ, mais ici on n’a besoin du magasin", lâche Charles.
Lundi, les trois hommes ont participé à l’opération de nettoyage de la rue du 18 juin, jusqu’ici bloquée par deux lignes de barrage composées de débris et de véhicules incendiés. Certains jeunes ont donné la main. Des drapeaux blancs ont été érigés, à peine deux jours après que le quartier a été la scène de violents affrontements avec les forces de l’ordre.
D’autres militants "sont restés à l’écart", raconte Jonathan, mais ont laissé faire. "On a enlevé tout ce qui pouvait servir à remettre le feu." La demande avait été faite par les Vieux, qui réunissent depuis quelques jours les habitants au milieu des Tours pour échanger sur la situation et tenter d’apaiser le quartier. Le ton est devenu plus ferme après l’incendie de la pizzeria Presto Pizza, qui a directement menacé "trois mamans" vivant juste au-dessus.
Les habitants le savent, ce retour au calme reste fragile. Charles, Jonathan et Yvannick vont continuer d’assurer la surveillance du Leader Price. "On les a déjà chassés plusieurs fois", notamment une nuit où un groupe a tenté de s’introduire par la zone de livraison du magasin à l’aide de pieds-de-biche. "Ils ont les cagoules donc on ne sait pas qui c’est, mais eux, ils nous reconnaissent et ils nous respectent."