
L’institution autochtone de discussion, l’IAD, a été créée pour donner des directions à suivre pour l’après Accord de Nouméa. Mais tout a basculé avec ce qu’il s’est passé le 13 mai. Nous avons été les premiers à demander que les choses se calment. D’une part pour baisser les tensions, mais aussi pour réunir les conditions de la discussion. Pour le Sénat coutumier, les 30 ans d’Accord de Nouméa ont pointé un certain nombre d’objectifs. Si les choses avaient pu se passer comme prévu par cet accord, le 13 mai aurait pu être évité. Ce n’est pas faute d’avoir alerté l’opinion publique et les représentants politiques. La situation du peuple kanak, sur ses fondements et ses préoccupations, est bloquée. On a donc vécu un phénomène né de la jeunesse urbanisée, qui s’est construite et débrouillée à Nouméa. Les mots utilisés à leur encontre depuis le début de la crise les résument à des jeunes délinquants, des voyous… Mais il ne faut pas oublier que ce qu’il s’est passé est aussi l’expression d’une partie de la population et de la jeunesse kanak qui ne voit plus rien venir à eux, hormis des discours.
Tout ce qu’on fait concerne l’identité kanak. On n’est pas censés être limités dans les sujets qu’on aborde. On aura l’occasion d’échanger à nouveau avec le président du gouvernement pour se mettre d’accord sur les champs d’intervention des uns et des autres. Le Sénat coutumier demande à être davantage pris en compte, en passant d’une institution consultative à une institution décisionnelle sur ce qui la concerne, mais aussi sur le reste.
Oui, du moins sur les questions ayant trait à l’identité kanak. Cela peut se faire sans trop bousculer ce qui est déjà en place. On travaille sur un projet de loi concernant l’organisation sociale des chefferies et des tribus, qui va permettre de faire évoluer la forme juridique de la tribu. A l’origine, la tribu était une réserve où les kanak ont été parqués pour libérer de l’espace au bénéfice des colons. Cela a évolué. Compte tenu de ce qu’il se passe aujourd’hui, on voudrait donner à la tribu un statut reconnu pour qu’elle ait des moyens d’action et qu’elle se place au même niveau que d’autres institutions. Pendant longtemps, les coutumiers ont été mis de côté sur de nombreux projets. Cette nouvelle forme de tribu nous semble une évolution normale, cela va leur permettre de participer, à leur niveau, à la recherche d’une cohésion. Aujourd’hui, les tribus manquent de moyens pour exercer leur autorité, et cela joue contre elles parce que, quand les choses se dégradent, les gens considèrent que les tribus ne sont pas en mesure de régler les problèmes.
Le grand chef Sinewami a le droit de penser et de dire ce qu’il veut, ce n’est pas le sujet. Dans le fond, il pointe le même problème que nous, dans des termes différents : l’autorité coutumière n’a pas les moyens d’exercer son autorité. Finalement, on partage les mêmes préoccupations.
L’idée du conseil des grands chefs a été retenue dès 2014 dans la charte du peuple kanak pour porter la parole coutumière. Mais plusieurs difficultés se posent à son fonctionnement. Pour vous donner un exemple, sur les aires coutumières Ajië et Xârâcùù, il n’y a aucun grand chef pour 16 districts. Donc l’idée, pour nous, c’est d’abord d’effectuer ce travail de nommer des porte-parole du peuple kanak avant de mettre en place ce conseil des grands chefs, afin qu’il soit vraiment représentatif. Donc le grand chef Sinewami va dans la même direction que nous, mais il prend quelques raccourcis.
On ne se préoccupe pas de cet objectif. Ça ne concerne qu’eux. Nous ne sommes pas dans la démarche. Cette semaine, on va évoquer l’organisation du 24 septembre, comme on le fait tous les ans pour la commémoration de cette date symbolique de prise de possession. Le grand chef Sinewami fera les choses à son niveau, nous aussi.
Il y a un peu plus d’un mois, le Sénat coutumier a entamé une démarche, à défaut d’initiative prise par le FLNKS, pour échanger avec les responsables de la CCAT et le Front. La démarche a malheureusement été avortée, car la CCAT a cessé toute discussion avec le Sénat. Quant au FLNKS, il a assisté à une réunion et n’est plus jamais revenu.
Aucune idée. On sait simplement que la CCAT craint d’être récupérée, que ce soit politiquement ou coutumièrement. Nous avons toutefois pu mettre en place des espaces d’échange avec les comités de lutte, qui sont présents notamment dans les quartiers populaires du Grand Nouméa.
Forcément, nous sommes très affectés par l’évènement. D’autant plus que le conseil coutumier de Lifou a toujours été considéré comme un modèle de fonctionnement, épargné des méfaits de la colonisation. Donc c’est une symbolique qui est frappée, au même titre que l’église de Saint-Louis ou de l’île des Pins. Ça nous interroge profondément. Lors de la cérémonie de passation, un chef d’Iaai (Ouvéa NDLR) a évoqué l’image du vol d’un oiseau, avec une aile pour l’Évangile et l’autre pour la coutume. En brisant l’une ou l’autre, tout est déséquilibré. Depuis l’incendie de la chefferie, les deux ailes sont touchées. Il va falloir relever tout ça. Et la colonisation n’y est pas pour rien dans cette situation, on continue à dire qu’elle touche en profondeur nos fondamentaux. Aujourd’hui, le gouvernement présente son plan de refondation et de reconstruction. Nous souhaitons y intégrer la dimension autochtone. Il sera certainement plus facile de reconstruire les bâtiments.
Il y a deux choses : la coutume, en laquelle les jeunes se reconnaissent et s’accrochent encore aujourd’hui, voire s’en revendiquent. Ensuite, il y a la question de l’autorité des coutumiers et des adultes en général. Là-dessus, c’est plus compliqué. Ça se comprend : certains jeunes vivent une injustice depuis toujours. Et il ne faut pas oublier ce qu’il s’est passé ces derniers mois, avec la dégradation de la confiance entre le peuple kanak et l’État, pour plusieurs raisons : un accord de décolonisation qui n’est pas allé au bout malgré le principe d’irréversibilité, des nominations au secrétariat d’État et à la commission des lois de certaines parties prenantes, le document martyr, le passage en force… Avec des responsables politiques locaux qui continuent à semer le trouble. Donc il va falloir tout remettre à plat.
Oui. Il faudra aussi qu’il repose sur nos valeurs, celles du collectif, du social et de la solidarité, contre le profit à outrance et l’économie de comptoir. On veut nos terres, on veut continuer à vivre comme nous le faisons et que l’environnement soit respecté. Ce sont des droits reconnus au niveau international, et c’est là-dessus qu’on va s’appuyer pour construire. On demande à être soutenus par les structures internationales sur ce chemin-là.