
"Amédée est né le 23 août 1842 en Picardie. Il sait lire et écrire. Lorsque les faits se produisent, il est serveur à Paris, garçon de salle selon les termes de l’époque. À deux reprises, en juillet puis en août 1870, il tente d’assassiner, "volontairement et avec préméditation" un certain M. Jean-Nicolas Marguery. Selon la légende familiale, celui-ci serait le père de la jeune fille qu’Amédée aimait. La minute du procès relate que "toute tentative de crime qui aura été manifestée par commencement d’exécution si elle a été suspendue ou a manqué son effet par des circonstances indépendantes de la volonté de son auteur est considérée comme ce même crime". Amédée est donc condamné par la cour d’assises de Paris le 11 juillet 1871 à la peine de mort, laquelle est commuée en travaux forcés à perpétuité.
Il quitte Toulon le 18 avril 1873 et arrive le 23 juillet à l’île Nou. Amédée est transporté par le 22e convoi à bord de la Loire. Selon les informations données par Louis-José Barbançon, ce navire embarque 650 condamnés, le plus important de tous les convois mais aussi le plus meurtrier : suite à une épidémie de dysenterie, 33 personnes sont mortes en mer. "
Comme la plupart des passionnés de généalogie, Evelyne et Josette ont réalisé un travail colossal de recherches. Un long jeu de piste qui remplit bon nombre de classeurs mais où manque parfois, comme dans beaucoup de familles, la parole des anciens, témoins de l’histoire passée.
" Amédée est mis en concession à Bourail le 1er août 1879 sur le lot 24 de Boghen. Le 13 décembre de cette même année, il épouse Désirée, dite Anaïs Roques. Son épouse est une jeune femme de quatorze ans sa cadette, née dans le département du Lot, en 1856, de parents cultivateurs. En France, Désirée était célibataire, domestique et avait une fille. Le 14 mai 1878, la cour d’assises de Montpellier la condamne à vingt ans de travaux forcés pour tentative d’assassinat et d’empoisonnement sur son enfant. Notre arrière-grand-mère arrive sur le Bordeaux le 11 décembre 1878. Elle ne sait ni lire ni écrire et est embauchée comme domestique à Bourail.
Désirée, cette femme condamnée pour tentative d’infanticide, va devenir mère de famille nombreuse et sage-femme pour les autres. Elle partait à cheval dans la Chaîne pour les accoucher et restait auprès des jeunes mamans quelques jours. Une des descendantes d’Amédée a rencontré des Bouraillaises qui avaient connu l’ancien forçat. Selon elles, c’était un homme charmant et travailleur. Il paraît qu’il prenait un apéritif le soir, du vinaigre avec un peu d’eau. Sa concession lui est définitivement attribuée en 1903."
Après remise du reste de leurs peines, Désirée est libérée en 1896 puis réhabilitée le 6 mai 1925 tandis que son mari est libéré en 1899 et réhabilité en 1912.
Les enfants de l’ancien forçat ont une vie à l’image de bien des familles calédoniennes : la terre, la guerre, le commerce et le nickel… Ils ont, aux côtés de tous les autres Calédoniens de toutes origines, construit et défendu leur pays. Le premier fils d’Amédée et Désirée, Henri Émile, naît en 1881. Célibataire et sans enfant, il perd ses deux bras dans un accident de pêche à la dynamite. Mais il continue de vivre à la Taraudière, parfaitement autonome. Il cultivait ses légumes et semait les graines avec la bouche. Tout comme Edgard qui a bien connu son grand-oncle, Evelyne Girold se souvient très bien d’Émile : " C’était un homme très gai, il chantait et avait toujours bon moral. Il gardait dans ses tiroirs des bonbons qu’il distribuait, il avait bon cœur ! " Henri Émile s’éteint à la maison de retraite "Ma Maison " à Nouméa en 1971. Louis Constant dit Eugène, le septième enfant de la fratrie, devient lui aussi cultivateur.
Il travaille avec son père sur la concession mais ne se marie pas et s’éteint sans descendance en 1959. Jacques Eugène, né en 1897, reste lui aussi célibataire et sans postérité.
François Auguste naît en 1885. Le grand-père d’Edgard Delhommelle, l’époux de Josette, est quant à lui commerçant à Nouméa : " Il faisait également du colportage d’alimentation, par mer et par voie terrestre. En 1917 il épouse à Nouméa Théodorine Michel avec qui il a trois enfants.
Leur fils aîné, François Robert, devient commerçant comme son père tandis que Marcel, mon père, devient officier dans les transmissions. Leur fille France Paule a vécu aux Nouvelles-Hébrides où sont nés ses enfants puis à Sydney où elle décède. Marcel savait que son grand-père était un ancien condamné, il n’a jamais rien dit à ma mère, Yvonne Geslin. C’est sur son lit de mort, quinze jours avant de décéder, qu’il lui a révélé son secret si lourd à porter. Ma mère n’a pas voulu le croire, elle pensait qu’il perdait la raison. Il a fallu entamer des recherches pour confirmer ses dires. "
Jean Léon naît en 1892. Comme une de ses sœurs, il obtient une bourse et étudie au pensionnat des garçons de Néméara dès ses 7 ans, puis il est mobilisé en août 1914. Il part pour le front entre juin 1916 et avril 1917 d’où il revient gazé. En 1925, Jean Léon se marie à Nouméa avec Germaine Roquefort avec qui il a quatre enfants. Il travaille pour les Hauts Fourneaux, et participe au travail de remblai de la baie de la Moselle. Il décède jeune, le 20 décembre 1937, laissant de jeunes enfants que Germaine élèvera seule.
Célestine dite Emélie naît deux ans après l’aîné, en 1883. Elle épouse, le 19 mai 1900, Joseph Napoléon. Ils ont ensemble sept enfants et s’installent à Nouméa. Julienne naît à Boghen en 1889. Âgée de 16 ans, elle épouse Henri Allard à Bourail avec qui elle a cinq enfants. Marie Céline voit le jour en 1891. Ses parents obtiennent une bourse et elle intègre à 7 ans l’internat des filles à Fonwhary.
Le 3 octobre 1925, elle épouse à Bourail Jean Coulson, comptable à Nakety, avec qui elle a trois enfants, René, Alice, et Violette, future Mme Girold. Bernard, l’époux d’Evelyne, a connu la maison de ses grands-parents : " Ils habitaient une maison de torchis où le sol était en terre battue. Ma grand-mère a attrapé la lèpre et est décédée à Ducos. Tante Elisa naît en 1899. Elle s’occupe beaucoup de ses neveux et nièces mais n’a pas d’enfant. Elle a été fiancée à un Japonais qui s’est fait arrêter et envoyer en Australie. Ils ne se sont jamais revus. Elisa décède en 1973 aux Petites Sœurs des pauvres. "
La dernière enfant de l’ancien forçat, Pauline Blanche, décède en 1924 à Bourail, à peine âgée de 23 ans, célibataire et sans enfant.
Amédée s’éteint le 7 août 1930 à Bourail, sa femme Désirée le 9 novembre 1936.
Cette série sur les destins de familles issues de la colonisation pénale, tirée du livre Le Bagne en héritage édité par Les Nouvelles calédoniennes, est réalisée en partenariat avec l’Association témoignage d’un passé [2]. Cet article est paru dans le journal du samedi 7 mai 2017.
Une dizaine d’exemplaires de l’ouvrage Le Bagne en héritage, certes un peu abîmés, ainsi que des pages PDF de la parution dans le journal sont disponibles à la vente. Pour plus d’informations, contactez le 23 74 99.
Links
[1] https://www.lnc.nc/article/nouvelle-caledonie/grand-noumea/noumea/nouville/serie/histoire/culture/redecouvrez-78-portraits-de-familles-issues-du-bagne
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