
"Le "Corse". Ce sobriquet s’est transmis de génération en génération, et on a fini par oublier son origine. Je l’ai finalement retrouvée. Comme son surnom ne l’indique pas du tout, Charles Eugène Alcide Gaveau est né en Guadeloupe, à Basse-Terre, le 22 février 1825. En Corse, il n’a passé que quelques années de sa vie, les dernières. Quant à notre habitude de l’appeler simplement Alcide, elle vient du fait que c’est le prénom qui le distingue le mieux : il y a chez les Gaveau une très longue tradition des "Charles", qui d’ailleurs n’aide pas vraiment à s’y retrouver lorsqu’on plonge dans l’histoire familiale. Alcide, donc, est le fils de Xavière Michineau, qui l’a élevé seule. Je sais peu de choses de Xavière, qui est probablement issue d’une branche de colons français arrivés au XVIIe siècle. Un jour de 1834, alors qu’elle n’a que 30 ans, deux ébénistes la trouvent sans vie à son domicile de la rue des Francs-Maçons, à Pointe-à-Pitre. Leur déposition auprès de l’officier d’état civil ne comporte aucun détail qui permettrait de comprendre le drame.
" Alcide, 10 ans, est orphelin, mais ne reste heureusement pas seul bien longtemps. Il est recueilli puis officiellement adopté par Charles Jean-Baptiste Gaveau, commis principal de marine, et son épouse Eugénie Girard. En 1846, il se marie avec Charlotte Amélie Huguenet. Marchant sur les traces de son père adoptif, il s’engage dans la Marine. Il est intégré en tant que commis.
" En 1863, pour sa première affectation outre-mer, en Martinique, il est aide commissaire marine. Sept ans plus tard, lorsqu’il rejoint le bagne de Nouvelle-Calédonie, Alcide a pris du galon : il est sous-commissaire deuxième classe.
Il débarque avec Charlotte Amélie et leurs cinq garçons : Louis-Albert, Charles Jules Emile, Albert, André Charles Henri et Charles Gabriel.
" Le 1er octobre 1870, Alcide est nommé commandant du pénitencier de l’île Nou. C’est le début de la valse des fonctions au sein de l’administration. Le 10 mars suivant, sur décision du gouverneur, le sous-commissaire Gaveau prend la direction du Détail des hôpitaux et prisons. Le 30 octobre de la même année, il quitte cette direction pour celle du Détail des approvisionnements et travaux.
En mai 1872, il rejoint la direction du Détail des revues armements et inscriptions maritimes. S’il y a une raison particulière à ces incessants changements de poste, elle n’apparaît nulle part dans les documents d’affectation. Les dernières années de la vie d’Alcide sont encore entourées d’un certain flou. Je ne dispose pas de documents attestant de son affectation là-bas, mais j’ai la quasi-certitude qu’il a rejoint la Cochinchine [au sud de l’actuel Vietnam, NDLR] pendant un temps.
" Plusieurs éléments découverts au gré de mes recherches me permettent de le penser, dont le décès de Charlotte Amélie à Saïgon, en 1877. J’ai également trouvé mention d’une affectation en Guyane, probablement au bagne.
D’autres documents indiquent qu’il était de retour en Nouvelle-Calédonie un peu plus tard, au moment de sa retraite. Ses dernières traces ont été aperçues en Corse, où il a pris pour épouse Marie Paule Victoire Alessandrini, avant de terminer ses jours à Bastia.
" Au final, Alcide n’aura passé que très peu de temps en Nouvelle-Calédonie, une poignée d’années à peine. Si une branche de la famille Gaveau s’y est durablement installée, c’est aussi et surtout le fait de ses fils, qui ont tous fait leur vie et fondé une famille ici. Et lorsqu’on a la curiosité de dérouler le fil de la lignée pour arriver jusqu’à moi, on voit, au fil des unions, surgir des patronymes comme Vidoire, Cazères, Guérin, Bellenguez ou Bellesort. Autant de familles dont un ancêtre, d’une façon ou d’une autre, est passé par ce bagne qui relie tant d’entre nous. "
" C’est la célébrité de la famille. Charles, né en 1889, était l’un des petits-fils d’Alcide. C’était vraiment un drôle d’homme, un touche-à-tout qui bouillonnait d’idées. Ma mère se souvient qu’elle et ses sœurs en étaient très impressionnées, et très intimidées au moment de se rendre chez lui. Son père Henri et son oncle Albert s’étaient déjà fait remarquer en assemblant avec l’aide d’un forgeron le tout premier vélocipède vu à Nouméa.
Charles se distinguera d’abord par ses talents de photographe, dans les années 1930, en ouvrant le studio Modern Photo, situé près de la police. Mais ce qui le rendra encore bien plus célèbre, c’est une autre de ses passions, une technologie nouvelle, la radiophonie.
Charles est décidé à fabriquer la première radio de Nouméa. Il n’a aucune connaissance scientifique en la matière, mais il se plonge dans les livres pour acquérir la théorie. En 1934, au bout de nuits blanches à souder dans son studio photo, il obtient un récepteur puis un émetteur fonctionnels. Le samedi 18 juillet 1935, à 20 heures, Radio-Nouméa-Amateur émet pour la première fois, pendant une heure, de la musique et des informations locales. Et Charles entre dans l’histoire de Nouméa. "
" Je ne suis pas quelqu’un de culotté, mais j’aime avoir des réponses à mes questions. Et j’avais très envie de savoir d’où je venais. Alors après m’y être prise d’une manière plutôt traditionnelle, en écrivant aux mairies, aux archives, en cherchant les actes de naissance ou de mariage, en demandant des dossiers personnels que je devais ne jamais recevoir, j’ai décidé de tenter un truc pour faire avancer le puzzle de mon ascendance. Je savais que la branche Gaveau était originaire de Dijon, qu’ils avaient été tuiliers pendant des générations. Il devait bien rester de lointains cousins dans la région, et certains avaient peut-être fait des recherches généalogiques. J’ai pris l’annuaire, j’ai cherché et j’ai trouvé. J’ai envoyé des lettres à toutes les adresses. Cela n’a pas très bien fonctionné, pas aussi bien qu’avec la branche Bellenguez, qui vient du Nord de la France. Joseph Bellenguez, un lointain cousin de Lille, m’a répondu : "Arrêtez d’écrire aux gens, tout le monde se tourne vers moi, je suis submergé !" Il était apparemment connu pour ses recherches généalogiques. Il avait beaucoup de choses à m’apprendre, et, ensemble, nous avons remonté le temps. "
Cette série sur les destins de familles issues de la colonisation pénale, tirée du livre Le Bagne en héritage édité par Les Nouvelles calédoniennes, est réalisée en partenariat avec l’Association témoignage d’un passé [2]. Cet article est paru dans le journal du samedi 1er octobre 2016.
Une dizaine d’exemplaires de l’ouvrage Le Bagne en héritage, certes un peu abîmés, ainsi que des pages PDF de la parution dans le journal sont disponibles à la vente. Pour plus d’informations, contactez le 23 74 99.
Links
[1] https://www.lnc.nc/article/nouvelle-caledonie/grand-noumea/noumea/nouville/serie/histoire/culture/redecouvrez-78-portraits-de-familles-issues-du-bagne
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