
Alors que les élus du Congrès sont réunis boulevard Vauban, ce vendredi 14 mars, pour étudier les orientations budgétaires défendues par le 18e gouvernement, l’exécutif se veut lucide : "la Nouvelle-Calédonie se trouve à la croisée des chemins et les trois prochains exercices financiers et budgétaires de la collectivité seront cruciaux". Le gouvernement se fixe en effet trois ans pour rétablir l’équilibre des comptes publics et relancer une économie calédonienne à terre. Le rapport sur les orientations 2025-2027 met en lumière les solutions envisagées pour y parvenir. Elles reprennent, en grande partie, les mesures du plan de sauvegarde, de reconstruction et de refondation (S2R) élaboré par le précédent exécutif.
À commencer par la réforme du système de santé. Le déficit du Régime unifié d’assurance-maladie et maternité (Ruamm) a atteint 12 milliards de francs et la Nouvelle-Calédonie doit désormais composer avec une bascule démographique : le taux de natalité s’effondre alors que la population vieillit. Une situation qui entraîne une baisse du nombre de cotisants, accentué par les destructions d’emplois consécutives à la crise insurrectionnelle de mai 2024. En 2025, le montant total des pertes de cotisations pourrait atteindre 11,4 milliards de francs, estiment les services, qui ont planché sur un équilibre du système de santé d’ici 2028. Parmi les principales solutions envisagées : un taux de l’Objectif calédonien d’évolution des dépenses d’assurance maladie (Oceam) bloqué à 0 % afin de stabiliser les dépenses hospitalières. La rationalisation de l’offre de soins, la révision de la gouvernance (avec la création d’une Autorité de la régulation de la santé) ou encore la création d’une "couverture sanitaire universelle" font partie des autres pistes mises sur la table.
Il s’agira également, pour l’exécutif, de poursuivre la transformation du financement de la Caisse locale de retraite (CLR) des agents de la fonction publique, mis à mal par une dégradation progressive du rapport cotisants/retraités et des retards de paiement des principaux employeurs publics du territoire (CHT et CHN) à hauteur de trois milliards de francs. Deux actes de réforme adoptés entre septembre 2023 et août 2024 (baisse de 3 % des retraites, augmentation d’1 % des cotisations salariales, passage à 62 ans…) ont permis de réduire largement le déficit de la CLR, qui dispose d’un résultat 2024 "positif" mais "fragile". Tout l’enjeu est désormais d’assurer la pérennité du régime.
Celui des retraites du privé est lui aussi fortement menacé. Son déficit annuel a atteint 6 milliards de francs. Le fonds de réserves devrait arriver à épuisement en 2026. La réforme de l’âge de départ, désormais fixé à 62 ans, "demeure insuffisante", avertit le gouvernement, qui prévoit d’entamer une réflexion avec les partenaires sociaux pour adopter des "mesures d’urgence" et proposer des "mesures de pérennisation".
Sauver Enercal demeure une des priorités du gouvernement. La réussite de ce sauvetage passera notamment par l’application d’une "règle d’or" consistant à fixer des tarifs de l’électricité qui garantissent l’équilibre financier du système. Actuellement, aucun Calédonien ne paie son électricité à la hauteur de ce qu’elle coûte à produire. En effet, 7 francs/kWh sont facturés à la Nouvelle-Calédonie à travers un mécanisme de compensation dont la collectivité n’arrive pas à s’acquitter. Elle doit en effet 18,8 milliards de francs à Enercal, après des années à se montrer incapable de compenser ces tarifs bloqués. La reconnaissance de cette "dette historique" de la Nouvelle-Calédonie fait justement partie de la solution, car elle permettrait à Enercal de retrouver sa "bancabilité" et de disposer ainsi de nouvelles sources de financement.
C’est un sujet qui inquiète les syndicats ces dernières semaines : le gouvernement veut s’attaquer à la dépense publique et, en particulier, aux dépenses de personnel au sein de la fonction publique. Un "plan d’évolution de l’administration" est en cours d’élaboration. Il consiste à diminuer, d’ici 2027, la masse salariale de la collectivité de 5 %. Cela débutera dès cette année, avec une réduction à hauteur de 960 millions, qui se traduira par la suppression de 52 postes budgétaires (90 millions d’économie), le gel de 67 autres (690 millions d’économie), un gel de l’avancement (136,5 millions d’économie par an) ou encore un passage au temps partiel (20 millions d’économie). La réduction du nombre de directions administratives et d’établissements publics, ainsi que le passage au zéro papier et la simplification des procédures administratives font partie des autres dispositions censées réduire les coûts de fonctionnement de la collectivité.
La politique d’austérité défendue par le 18e gouvernement s’accompagne d’une réforme de la fiscalité. Une loi triennale devrait bientôt être présentée pour détailler cette trajectoire. Mais l’objectif est déjà clairement affiché : rendre le territoire attractif en limitant la pression fiscale sur les entreprises. Cela passera par une diminution de 5 % de l’impôt sur les sociétés (qui passerait de 30 % à 25 %) et par une "simplification de la fiscalité". L’exécutif envisage également de supprimer certaines des 48 impositions que compte le territoire, notamment celles à faibles rendements, dont le poids est "égal ou inférieur à 0,5 % des recettes totales" de la Nouvelle-Calédonie. Une fusion de la CCS et de l’impôt sur le revenu est également à l’étude, ainsi que le passage de la taxe générale sur la consommation (TGC) à deux taux : un à 0 % et "un taux d’équilibre" dont les contours demeurent flous. Ces nouveaux taux de TGC seront soumis aux élus et aux partenaires sociaux en avril.
Au plus mal, le nickel calédonien reste une filière essentielle du pays, tant en termes d’emplois que d’exportations. Pour parvenir à relancer le secteur, le gouvernement propose de l’intégrer "dans la filière européenne des batteries dans le cadre d’un accord stratégique". Il s’agira également de créer une "école des mines et de la métallurgie" sur le territoire. Les coûts de l’énergie, qui font du nickel calédonien un produit peu compétitif, devront également être réduits à travers des programmes d’énergies renouvelables et la concrétisation du projet de station de transfert d’énergie par pompage (Step).
Le rapport présenté par le gouvernement dresse également un point de situation des finances du pays fin 2024. Des chiffres qui donnent la mesure des difficultés financières rencontrées par la Nouvelle-Calédonie. Car si "l’activité économique avait déjà commencé à ralentir en 2023", les émeutes l’ont fait s’écrouler. Arrêt des investissements, perte de confiance des entreprises, destruction de 11 600 emplois… La production des crédits a chuté de 37,4 % (dont 91,6 % de crédits immobiliers), tandis que les exportations et les importations ont diminué respectivement de 41 % et 28 %. Autant d’indicateurs qui permettent d’affirmer que les violences de mai ont plongé "l’économie dans une impasse préoccupante".
Pour autant, "les rendements enregistrés des recettes fiscales ont dépassé les attentes", note le gouvernement. Elles ont atteint 177,3 milliards de francs pour 2024, soit davantage que ce que les services avaient calculé en milieu d’année dernière. Cela représente toutefois une chute de 24 milliards de francs (- 16 %), "ce qui confirme les impacts importants de la crise". Les collectivités vont être directement affectées par cette baisse des recettes fiscales. Le budget de répartition diminue de 21 % par rapport à 2023, pour s’établir à 102,5 milliards. Les trois provinces ont été privées 15,7 milliards de francs et les communes de 3,8 milliards (en lien avec la baisse de 20 % du FIP fonctionnement). Une diminution là aussi moins importante qu’anticipée : l’assiette fiscale (86 milliards) est supérieure de 4,8 milliards aux prévisions faites lors du budget supplémentaire, voté en juillet.
L’exécutif compte toutefois se montrer "prudent" dans l’élaboration du budget 2025. Une précaution d’autant plus nécessaire que le rendement fiscal risque d’être soumis "à une forte pression, alimentée par une conjoncture économique incertaine et des tensions persistantes sur l’offre et la demande". À cela s’ajoute l’incertitude institutionnelle qui continue de peser sur l’économie calédonienne. "La résolution rapide des tensions politiques et institutionnelles est essentielle pour stabiliser l’économie et favoriser une reprise durable", juge l’exécutif. Le fonds de roulement global s’élevait, à fin 2024, à 2,2 milliards, soit 11 jours de dépenses de la Nouvelle-Calédonie. Le niveau d’endettement de la collectivité a atteint 317 %, en hausse de 119 points (contre un niveau recommandé à 90 %), tandis que le taux d’épargne a chuté de 16 points (13 %). "La route est encore longue pour retrouver une situation financière acceptable", constate le gouvernement.