
"François est né le 20 juin 1861 dans le Pas-de-Calais. Il intègre le corps des surveillants militaires le 4 octobre 1886, date a laquelle il pose le pied pour la première fois à Nouméa, descendant du Calédonien. Six ans plus tard, François repart à bord du Tanaïs pour six mois de congé en France. C'est là qu'il épouse Marie Leblond, une jeune institutrice. Le congé terminé, le couple prend la mer direction les îles du Salut, en Guyane, où son premier enfant, Henri, naît le 14 août 1893. Le séjour est de courte durée, la famille rentre en France, puis repart aussitôt pour l'ile Nou à bord du Calédonie."
Lorsque François arrive à Nouméa, le 25 février 1897, sait-il qu'il s'agit là du 75° et dernier convoi. La décision de mettre fin à la transportation, demandée par le gouverneur Feillet, date de 1894. Durant trente-trois années, près de 22 000 condamnés aux travaux forcés, 4 000 relégués ainsi que plus d'un millier de femmes transportées ou reléguées ont été emmenés à la Nouvelle. Une partie de ces hommes et ces femmes a fait souche, ainsi que certaines familles de surveillants ou commis. Avec ce dernier convoi se referme progressivement une page de l'histoire de la Calédonie, celle de la colonisation pénale. Le bagne calédonien ferme définitivement ses portes en 1931. André Jacquier, collectionneur averti et spécialiste de la présence américaine sur le Caillou, raconte l'installation de sa famille.
L'état civil et les dossiers administratifs des époux Havet permettent de retracer leur parcours. Ils vont déménager à de nombreuses reprises et, à chaque étape, Marie ne manque pas d'enseigner, notamment au service de l'administration pénitentiaire, jusqu'en 1901. " La famille s'agrandit rapidement après leur arrivée en Nouvelle-Calédonie. Mauricette voit le jour en 1897 à l'île Nou. L'année suivante, le surveillant part à l'ile des Pins. Marie y est nommée institutrice et donne naissance à leur troisième enfant, Maurice.
En 1900, la famille est à Thio, et là encore, Marie fait la classe puis mes grands-parents déménagent à Koné en 1901. L'année suivante, l'année de naissance d'Hectorette, un accident survient : alors qu'il est en service, François est blessé par un condamné.
Le dénommé Abdelkader le frappe à l'aide d'un poignard de cinq coups : un au poignet, un dans le bas-ventre et trois dans l'avant-bras gauche. Cette attaque est étonnante car nous avons de notre grand-père l'image d'un surveillant très humain. Il disait souvent : "Quand je pense que certains sont là pour avoir volé un morceau de pain." François est donc en convalescence quelques mois. Hector naît à Pouembout en 1909, Marie est institutrice à Koné jusqu'en 1913 puis à Bourail, où son mari est muté jusqu'en 1921.
En 1922, François est alors surveillant chef à Farino et demande sa mise à la retraite. Marie devient institutrice de première classe. La famille Havet continue de bouger, mon grand-père devenu juge de paix est nommé à Thio en 1929. Ma grand-mère achève sa carrière à Nouméa en tant que directrice de l'école communale des filles, l'école Suzanne-Russier. Elle décède le 12 février 1932. Veuf, François est nommé greffier à Canala en 1933 puis décède à son tour le 9 décembre 1934 à Nouméa.
" Comme de nombreuses familles calédoniennes, la famille Havet perd un fils sur le front. Henri, l'aîné, tombe à Barleux en septembre 1916. Quelques mois auparavant, il avait reçu une citation à l'ordre du 2° corps d'armée colonial : "Choisi comme volontaire pour faire partie d'une patrouille chargée d'une mission dangereuse, a contribué au succès complet de l'entreprise par son courage, son sang-froid et son esprit de discipline."
" Maurice, malgré son jeune âge (16 ans), est lui aussi volontaire en 14-18 et à nouveau, malgré ses 41 ans, en 1939, durant la Seconde Guerre mondiale. Il commandait ici en Calédonie une vedette de la Marine nationale cédée par les Américains. Fin limier sur mer, il est capitaine au grand cabotage et planteur aux Nouvelles-Hébrides.
Il y épouse, vers 1927, Violet Stephens avec qui il a deux enfants, Marie et Michel, aujourd'hui établis sur la Sunshine Coast en Australie, et à la descendance nombreuse. Le nom Havet y perdure donc.
" Hector, le troisième garçon de François et Marie, devient avocat à Paris. Il décède en 1946 dans des circonstances inconnues, on dit de lui qu'il a été tué en sortant de la cour d'appel. Il repose au cimetière du Père-Lachaise.
Mauricette et Hectorette sont, comme leur mère, des femmes au fort caractère, émancipées et instruites, ferventes défenseuses de la laïcité et très républicaines.
Mauricette est une des premières femmes à obtenir son brevet supérieur. Elle est mariée à Lucien Devambez, un homme sourd et muet avec qui elle gère, en plus de son métier d'institutrice, la propriété de Boulouparis dite Henderson. Pendant la guerre, il y avait des canons sur leur terrain. Les Américains s'entraînaient là et on les avait prévenus que Lucien n'entendait pas, il fallait dès lors faire attention quand ils tiraient. Ils ont eu ensemble un fils, Lucien, un bon vivant avec qui je surveillais les barrières pour le bétail.
" Hectorette, ma mère, est comme sa sœur, enseignante. Elles gèrent ensemble l'école du Faubourg-Blanchot et ont marqué l'esprit de bon nombre de petits élèves calédoniens.
Son mari, Ferdinand Jacquier, est employé au service de manutention au Nickel. Il a mis en fonction les grues " Titan ". Le 1° novembre 1943, je me souviens d'un terrible accident : sur le quai des Américains juste à côté de l'usine de Doniambo, des caisses de munitions étaient chargées et déchargées. L'une d'entre elles est tombée, il y a eu une énorme explosion. Heureusement, c'était un jour férié et l'usine était déserte. Nous étions logés sur place et mon père a été un des rares à avoir accès au quai. "
Le petit-fils d'Hectorette, Thierry Valet, se souvient de l'une des anecdotes qu'elle racontait parfois : " Toute fillette, en compagnie de son frère et de sa sœur, ils avaient tenté de dérober la gamelle d'un condamné arabe, occupé à sa prière du soir, pour voir ce qu'elle contenait. Celui-ci sen était plaint à leur père surveillant qui sut être convaincant !
Ils n'ont jamais recommencé... François Havet était de ceux qui respectent les hommes, quoi qu'ils fassent et quels qu'ils soient. "
Cette série sur les destins de familles issues de la colonisation pénale, tirée du livre Le Bagne en héritage édité par Les Nouvelles calédoniennes, est réalisée en partenariat avec l'Association témoignage d'un passé [2].
Cet article est paru dans le journal du samedi 10 juin 2017.
Quelques exemplaires de l'ouvrage Le Bagne en héritage, certes un peu abîmés, ainsi que des pages PDF de la parution dans le journal sont disponibles à la vente. Pour plus d'informations, contactez le 23 74 99.
Links
[1] https://www.lnc.nc/article/nouvelle-caledonie/grand-noumea/noumea/nouville/serie/histoire/culture/redecouvrez-78-portraits-de-familles-issues-du-bagne
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