
Le lagon est un monde qui bruisse d’une multitude de sons différents : un paysage sonore délicat qui se trouve de plus en plus perturbé par les activités humaines. Depuis quatre ans, Lana Minier travaille sur l’impact de cette pollution sonore sur les organismes vivants dans le lagon de Bora-Bora. La scientifique a présenté sa thèse à la mairie mardi 18 mars.
La chercheuse, formée aux sciences de l’ingénieur et plus particulièrement à l’acoustique, a d’abord constaté que le niveau sonore dans le lagon a bel et bien augmenté : 12 décibels en plus depuis 20 ans. En 2005, le bruit n’est pas encore mesuré dans les eaux de Bora-Bora, mais il l’est dans d’autres lagons du monde. Lana Minier se base sur ces chiffres pour établir des comparaisons.
De précédentes études sur les effets du bruit du trafic maritime sur les poissons ont montré qu’il constituait une source de perturbation majeure, ayant des effets sur l’anatomie, la physiologie et le comportement. "Cela augmente leur stress, ils ventilent beaucoup plus, leurs organes sonores et auditifs se modifient", résume Lana Minier, qui a ciblé ses recherches sur le comportement alimentaire de deux espèces de poissons : la demoiselle Dascyllus enamo ou ‘atoti, et le poisson chirurgien Acanthurus triostegus ou manini. Le résultat est sans appel : quand il y a trop de bateaux, ces espèces se nourrissent moins. Conséquence : ils grossissent, grandissent et se reproduisent moins. Bref, trop de bruits signifie moins de poissons.
Ces perturbations ont d’autres effets. Le changement de comportement du manini, un herbivore, a par exemple un impact sur son milieu quand il est dérangé par le bruit : "Il va manger moins d’algues. Ces dernières vont proliférer et cela peut empêcher le corail de se développer".
C’est grâce à des hydrophones plongés dans le lagon et la création d’un logiciel pensé spécialement pour traiter toutes les données enregistrées, que Lana Minier a pu faire ses mesures. Le programme "Coral Sound Explorer", développé en collaboration avec d’autres universitaires et spécialistes, est unique au monde. "On a utilisé l’intelligence artificielle, précise Lana Minier. Ce logiciel est une innovation. Il en existe d’autres pour les milieux océaniques ou d’eau douce, mais celui-ci est une première mondiale pour les récifs coralliens."
Pour pérenniser le système, trois bouées acoustiques devraient être installées dans le lagon. Leur rôle ? Enregistrer en continu le bruit au fond de l’eau et envoyer des alertes directement à la commune ou aux associations gestionnaires de la zone. La commune de Bora-Bora, qui a entrepris d’importantes réflexions sur la préservation de son lagon, a soutenu depuis le début les travaux de la doctorante. Lana Minier espère que d’autres collectivités, voire d’autres pays qui ont des lagons ou des plans d’eau à l’écosystème fragile à gérer suivront.