
"Nous avons voulu nous défendre avec les armes modernes : des vidéos filmées par nos téléphones. Dès que j’ai compris que le magasin était menacé, j’ai passé le message à mes employés de venir pour tenter de contenir les émeutiers en faisant un barrage humain. Mais l’assaut a été donné avant qu’ils n’arrivent. Nous avons réussi à fuir en défonçant une barrière au volant de notre véhicule."
Deux semaines après le pillage et le saccage en règle du supermarché Korail, dans le village de Païta, dès le deuxième jour des émeutes, son gérant Christophe Vincent ne décolère pas. Déchets en putréfaction, odeur nauséabonde, réfrigérateurs éventrés, caisses enregistreuses détruites "à coups de chariot élévateur"… L’ampleur des dégradations est impressionnante.
Cette grande surface commerciale a littéralement été dévastée par des émeutiers puis par une "immense partie" de la population des quartiers alentour qui "a participé à ces vols et à toute cette casse", assure, amère, ce chef d’entreprise, qui a également vu sa quincaillerie subir le même sort, avant d’être incendiée. "Toutes les journées, des pick-up remplis de marchandises allaient et venaient depuis les magasins. Il y avait même des bouchons tant il y avait de véhicules."
Les pertes se chiffrent à 240 millions de francs rien que pour la marchandise volée dans ces deux enseignes. "Mais 90 % du problème vient des destructions, pas du vol. Dans quelles conditions allons-nous pouvoir rouvrir alors que tout est à reconstruire ? Le matériel est-il encore fiable ? À quel point nos chambres froides qui ont tourné à vide ont-elles été abîmées ? Tout cela devra d’abord être expertisé et contre-expertisé", martèle Christophe Vincent, qui l’affirme : "Je ne reconstruirai rien si je dois mettre un franc de ma poche."
S’il se garde bien d’avancer un montant précis, la facture s’avère d’ores-déjà très salée. Pour remplacer les caisses enregistreuses, à commander depuis l’étranger, il faut compter une centaine de millions de francs. Et ce qui peut sembler relever du détail risque vite d’alourdir la note : les étiquettes "électroniques" affichées en rayon pour chaque produit coûtent environ 700 francs l’unité. Or elles sont près de 10 000 à devoir être remplacées. "Chaque jour, nous découvrons de nouvelles conséquences financières. Cela devient monstrueux à la fin", poursuit le gérant de la VSN holding, qui craint de devoir se séparer de 70 de ses 75 salariés.
Du moins, le temps de la reconstruction qui pourrait prendre un an et demi. Et ce, à condition que les mesures et les aides d’urgence sur lesquelles planche actuellement Bercy, notamment en termes d’assurances, soient jugées "suffisantes" par cet entrepreneur, qui a investi 1,2 milliard de francs dans ce complexe commercial.
Maigre consolation pour Christophe Vincent : toutes les bandes des vidéos des caméras qui ont enregistré ces pillages sont désormais entre les mains de la gendarmerie. Des "centaines" de traces ADN ont d’ailleurs été prélevées par la police scientifique dans ces deux enseignes. De quoi, espère ce Calédonien, faire avancer l’enquête et traduire devant la justice certains pillards.