
"Théotime Bray est né le 7 mars 1859 à Thibivillers, dans l’Oise. Il s’engage dans l’armée où il porte l’uniforme des zouaves en Algérie de 1882 à 1884. Le 25 octobre 1884, il épouse Claire Clabaux et leur fils Gérald naît à Paris en 1885. Puis il rentre dans l’administration pénitentiaire. Nommé surveillant militaire de troisième classe, il est affecté à l’encadrement du bagne à la Nouvelle et embarque avec sa famille à Bordeaux sur le San Martin.
Il arrive à Nouméa le 19 mai 1886. "
Jacques Fayard fait partie de la famille des passionnés de généalogie. Il connaît l’histoire de ses ascendants dans les moindres détails et son arbre renferme plus de 7 000 noms. Autour de lui, ses cousins et sa sœur sont eux aussi attachés à la mémoire de la famille. Porcheron, Tournier ou Fayard, quelle que soit la branche, ils se sont volontiers retrouvés pour parler de cet illustre aïeul qui leur a notamment laissé pour héritage des cartons remplis de centaines de petites plaques de verre, ancêtres de nos déjà vieux négatifs.
" Nous connaissons le parcours de Théotime à partir de 1890, l’année de naissance de sa fille Edmée à Ouaco. Il sert respectivement au camp de Montravel en 1890 puis à l’île Nou en 1893, année au cours de laquelle il accède au grade de surveillant de première classe. Puis il est affecté au redoutable camp Brun, camp disciplinaire réservé aux bagnards de la cinquième classe considérés comme irréductibles. On le retrouve à Téremba où, le 13 avril 1896, alors chef du poste, il obtient un témoignage officiel de satisfaction du gouverneur de Nouvelle-Calédonie pour "le zèle, l’activité, l’intelligence et le courage dont il a fait preuve à l’occasion de la capture en mer d’un cotre monté par huit libérés et en faisant ainsi avorter un projet d’évasion". Passé surveillant-chef en 1897, il est en fonction sur le centre minier de Népoui en 1899.
Durant toute cette période, notre arrière-grand-père s’est passionné pour la photographie. Pour le compte de l’administration pénitentiaire et pour sa famille, il a réalisé des centaines de prises de vue (lire ci-dessous).
Lorsqu’il repart en France fin 1900, les convois de transportés ont cessé depuis trois ans. Il est nommé en Guyane qu’il rejoint en famille en juin 1901. En 1903, son fils Gérald, malade, contraint la famille à rentrer en Métropole. Théotime fait alors valoir ses droits à la retraite et quitte une nouvelle fois la France pour la Nouvelle-Calédonie. "
Pour une grande partie de la famille, cette première vie calédonienne est restée inconnue. Alain Tournier a connu le passé de surveillant de son arrière-grand-père il y a peu : " C’est lors d’un des tout premiers spectacles de Téremba où il a été question du surveillant Bray que j’ai fait le rapprochement ! Aujourd’hui, en regardant de plus près les multiples alliances de la famille, on retrouve beaucoup de personnes liées à la colonisation pénitentiaire, d’un côté ou de l’autre des barreaux. Finalement, le bagne est notre identité."
" La famille s’installe d’abord à La Foa. En 1910, Théotime y loue une concession rurale et est considéré comme un habitant "libre, surveillant retraité". Sa passion pour… la photographie ne l’a pas quitté. À l’époque, il rinçait ses plaques de verre au collodion dans la rivière de Fonwhary, ce qui ne plaisait pas du tout à son voisin, qui l’accusait de polluer la rivière. Il travaille ensuite à Nouméa, dans le commerce et à la SLN."
Le 12 novembre 1916, à 57 ans, Théotime se porte volontaire et part à la guerre. " Claire était folle d’angoisse. Dès la fin de la Grande Guerre, il est de retour dans sa famille qui réside à la 2e Vallée-du-Tir. Ce quartier va, justement, devenir le berceau de la famille d’Edmée, la fille de Théotime et Claire, mariée à William Porcheron. Tandis que leur fils Gérald et son épouse Denise Tuband s’installent dans les années 1930 à Moindou, où Théotime décède le 21 mai 1936. "
" La famille était très unie. " Jean-Michel Porcheron a toujours entendu que, dans leur jeunesse, tous les cousins se retrouvaient à chaque période de vacances à Moindou :
" Ma grand-mère Edmée était, selon mon père, une femme très affectueuse, pleine d’attention envers ses enfants. Elle est décédée jeune et a laissé trois enfants adolescents.
Charles et Willi sont restés avec leur père à la Vallée-du-Tir, devenu un point de ralliement de toute la famille, tandis que Marguerite a été recueillie par la famille Bray avant d’épouser Emile Savoie, qui fait du commerce maritime avec l’Australie.
"En 1941, ses frères rejoignent le Bataillon du Pacifique et partent combattre au Moyen-Orient, en Italie et en France. Charles est tué en août 1944 en Provence, il avait 27 ans ; lors du même combat, son cadet est grièvement blessé. Quelques années après son retour, Willi épouse Michelle Audrain puis dirige le sanatorium du col de la Pirogue. "
Gérald, le grand-père de Jacques, a commencé sa vie professionnelle au sein de la Société havraise : " Il était le chauffeur particulier de la direction. Denise était alors couturière. Ensemble ils ont eu quatre filles, Jeanne, Edmée, Yvonne et Claire décédée en bas âge. Puis ils ont tenu l’hôtel du Garage à Moindou, connu sous le nom d’hôtel Bray, qui était une étape des Messageries automobiles calédoniennes, comme Tontouta et Bourail.
Notre grand-mère était une maîtresse femme, elle conduisait un camion, c’était d’ailleurs une des premières Calédoniennes à avoir son permis, et nous avions le droit de monter dans la benne. Elle portait un casque colonial, des manches longues pour se protéger du soleil et montait à cheval à califourchon. Jeanne, notre mère, a acheté une propriété à Téremba avec ses premiers salaires d’infirmière et possédait une jument, Messaouda. Elle a épousé notre père Charles Fayard en 1942. Edmée, sa sœur, sest unie à Honoré Tournier, tandis qu’Yvonne, la troisième, a épousé Robert Burck, un instituteur venu s’installer au village.
À l’époque la famille entretenait régulièrement des correspondances. Nous avons beaucoup de cartes postales.
Ajoutées aux photos de notre arrière-grand-père, cela représente un trésor familial. Nous savons que d’autres clichés existent et qu’ils se sont un peu éparpillés dans la nature pour diverses raisons. Aussi, nous sommes toujours à la recherche de nouvelles photos ou cartes postales ! "
L’appareil de Théotime Bray était un Roussel Bi Anastigmat pour lequel il disposait d’au moins deux objectifs. Armé de son appareil, le surveillant a beaucoup photographié le bagne entre 1890 et 1901, au travers de commandes que lui passait l’administration pénitentiaire. L’héritage photographique du surveillant Bray constitue un fonds exceptionnel. Il renseigne non seulement sur les bâtiments de l’époque, mais également sur les activités et la vie quotidienne des fonctionnaires de l’administration. Il est à noter que les condamnés, bien qu’eux aussi aient été photographiés dans leurs tâches journalières, restent, à quelques exceptions près, anonymes. Ils ne sont pas nommés et souvent en groupe. On peut penser que l’administration pénitentiaire ne souhaitait pas la personnification des condamnés, sans doute devaient-ils rester des matricules. (Sources L.-J. Barbançon)
Cette série sur les destins de familles issues de la colonisation pénale, tirée du livre Le Bagne en héritage édité par Les Nouvelles calédoniennes, est réalisée en partenariat avec l’Association témoignage d’un passé. [2]
Cet article est paru dans le journal du samedi 7 janvier 2017.
Une dizaine d’exemplaires de l’ouvrage Le Bagne en héritage, certes un peu abîmés, ainsi que des pages PDF de la parution dans le journal sont disponibles à la vente. Pour plus d’informations, contactez le 23 74 99.
Links
[1] https://www.lnc.nc/article/nouvelle-caledonie/grand-noumea/noumea/nouville/serie/histoire/culture/redecouvrez-78-portraits-de-familles-issues-du-bagne
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