fbpx
    Nouvelle Calédonie
  • LNC | Crée le 22.09.2024 à 05h00 | Mis à jour le 22.09.2024 à 05h00
    Imprimer
    Théotime Bray en uniforme de surveillant-chef, une grande tenue blanche. Le cliché s’est pris au château Escande à Muéo, Népoui. (Source : L.-J. B.). A droite, Claire son épouse. Photo DR
    L’ancien surveillant arrivé en Nouvelle-Calédonie en 1886 est le témoin des derniers convois de bagnards. Passionné de photographie, il laisse à l’administration pénitentiaire comme à sa famille des centaines de clichés. Revenu comme colon après sa retraite, il s’éteint à Moindou en 1936. Aujourd’hui, ses arrière-petits-enfants entretiennent l’histoire et le patrimoine familial qu’ils nous décrivent dans ce dix-huitième épisode de notre saga consacrée aux familles issues du bagne.

    "Théotime Bray est né le 7 mars 1859 à Thibivillers, dans l’Oise. Il s’engage dans l’armée où il porte l’uniforme des zouaves en Algérie de 1882 à 1884. Le 25 octobre 1884, il épouse Claire Clabaux et leur fils Gérald naît à Paris en 1885. Puis il rentre dans l’administration pénitentiaire. Nommé surveillant militaire de troisième classe, il est affecté à l’encadrement du bagne à la Nouvelle et embarque avec sa famille à Bordeaux sur le San Martin.

    Il arrive à Nouméa le 19 mai 1886. "


    Au premier rang : Alain Tournier, fils d’Edmée Bray et Honoré Tournier, et sa fille Isabelle. Au deuxième rang : Jean-Michel Porcheron tenant la soupière de Théotime, fils de Willi Porcheron et Michelle Audrain, entouré de Jacques Fayard et sa sœur Marie-Jo, fils et fille de Jeanne Bray et Charles Fayard. Photo DR

    Jacques Fayard fait partie de la famille des passionnés de généalogie. Il connaît l’histoire de ses ascendants dans les moindres détails et son arbre renferme plus de 7 000 noms. Autour de lui, ses cousins et sa sœur sont eux aussi attachés à la mémoire de la famille. Porcheron, Tournier ou Fayard, quelle que soit la branche, ils se sont volontiers retrouvés pour parler de cet illustre aïeul qui leur a notamment laissé pour héritage des cartons remplis de centaines de petites plaques de verre, ancêtres de nos déjà vieux négatifs.

    Une carrière sans heurt

    " Nous connaissons le parcours de Théotime à partir de 1890, l’année de naissance de sa fille Edmée à Ouaco. Il sert respectivement au camp de Montravel en 1890 puis à l’île Nou en 1893, année au cours de laquelle il accède au grade de surveillant de première classe. Puis il est affecté au redoutable camp Brun, camp disciplinaire réservé aux bagnards de la cinquième classe considérés comme irréductibles. On le retrouve à Téremba où, le 13 avril 1896, alors chef du poste, il obtient un témoignage officiel de satisfaction du gouverneur de Nouvelle-Calédonie pour "le zèle, l’activité, l’intelligence et le courage dont il a fait preuve à l’occasion de la capture en mer d’un cotre monté par huit libérés et en faisant ainsi avorter un projet d’évasion". Passé surveillant-chef en 1897, il est en fonction sur le centre minier de Népoui en 1899.


    Ses descendants disent de lui que Théotime était militaire dans l’âme et patriote avant tout. À 18 ans, il contracte un engagement dans l’armée qui, du 1er novembre 1882 au 24 septembre 1884, le conduit en Algérie où il porte l’uniforme des zouaves de l’infanterie française. Puis, plus de trente ans après, le 12 novembre 1916, Théotime Bray, alors âgé de 57 ans, se porte volontaire et part sur le front en Métropole. Photo DR

    Durant toute cette période, notre arrière-grand-père s’est passionné pour la photographie. Pour le compte de l’administration pénitentiaire et pour sa famille, il a réalisé des centaines de prises de vue (lire ci-dessous).

    Lorsqu’il repart en France fin 1900, les convois de transportés ont cessé depuis trois ans. Il est nommé en Guyane qu’il rejoint en famille en juin 1901. En 1903, son fils Gérald, malade, contraint la famille à rentrer en Métropole. Théotime fait alors valoir ses droits à la retraite et quitte une nouvelle fois la France pour la Nouvelle-Calédonie. "


    Théotime et Claire avec leurs deux enfants entourés de membres de la police indigène de l’administration pénitentiaire. Gérald naît à Paris le 23 août 1885. Il épouse Denise Tuband le 22 août 1914. Edmée naît à Ouaco le 1er janvier 1890, elle épouse William Porcheron le 5 août 1916. Photo DR

    Pour une grande partie de la famille, cette première vie calédonienne est restée inconnue. Alain Tournier a connu le passé de surveillant de son arrière-grand-père il y a peu : " C’est lors d’un des tout premiers spectacles de Téremba où il a été question du surveillant Bray que j’ai fait le rapprochement ! Aujourd’hui, en regardant de plus près les multiples alliances de la famille, on retrouve beaucoup de personnes liées à la colonisation pénitentiaire, d’un côté ou de l’autre des barreaux. Finalement, le bagne est notre identité."

    Une deuxième vie calédonienne

    " La famille s’installe d’abord à La Foa. En 1910, Théotime y loue une concession rurale et est considéré comme un habitant "libre, surveillant retraité". Sa passion pour… la photographie ne l’a pas quitté. À l’époque, il rinçait ses plaques de verre au collodion dans la rivière de Fonwhary, ce qui ne plaisait pas du tout à son voisin, qui l’accusait de polluer la rivière. Il travaille ensuite à Nouméa, dans le commerce et à la SLN."


    Charles et Willi, les deux frères, se serrent la main à Bir Hakeim. Charles décède en Provence en 1944, il sera nommé compagnon de la Libération à titre posthume. Willi est grièvement blessé lors du même combat. À son retour en Calédonie, il est décoré de nombreuses médailles dont la croix de guerre avec deux citations et la Médaille militaire. Photo DR

    Le 12 novembre 1916, à 57 ans, Théotime se porte volontaire et part à la guerre. " Claire était folle d’angoisse. Dès la fin de la Grande Guerre, il est de retour dans sa famille qui réside à la 2e Vallée-du-Tir. Ce quartier va, justement, devenir le berceau de la famille d’Edmée, la fille de Théotime et Claire, mariée à William Porcheron. Tandis que leur fils Gérald et son épouse Denise Tuband s’installent dans les années 1930 à Moindou, où Théotime décède le 21 mai 1936. "

    Les six cousins

    " La famille était très unie. " Jean-Michel Porcheron a toujours entendu que, dans leur jeunesse, tous les cousins se retrouvaient à chaque période de vacances à Moindou :

    " Ma grand-mère Edmée était, selon mon père, une femme très affectueuse, pleine d’attention envers ses enfants. Elle est décédée jeune et a laissé trois enfants adolescents.

    Charles et Willi sont restés avec leur père à la Vallée-du-Tir, devenu un point de ralliement de toute la famille, tandis que Marguerite a été recueillie par la famille Bray avant d’épouser Emile Savoie, qui fait du commerce maritime avec l’Australie.


    Les six cousins Bray-Porcheron, le jour du départ à la guerre en mai 1941 de Charles et Willi Porcheron. Seul Willi (assis) reviendra. De gauche à droite : Edmée Bray épouse Tournier, Marguerite Porcheron épouse Savoie, Charles décédé en 1944 en Provence, Jeanne Bray épouse Fayard, Yvonne Bray épouse Burck et Willi, assis, futur mari de Michelle Audrain. Photo DR

    "En 1941, ses frères rejoignent le Bataillon du Pacifique et partent combattre au Moyen-Orient, en Italie et en France. Charles est tué en août 1944 en Provence, il avait 27 ans ; lors du même combat, son cadet est grièvement blessé. Quelques années après son retour, Willi épouse Michelle Audrain puis dirige le sanatorium du col de la Pirogue. "


    Gérald, le fils du surveillant, devient chauffeur pour la Société havraise. Il se tient debout à gauche de la voiture sur le bac de La Tontouta. Photo DR

    Gérald, le grand-père de Jacques, a commencé sa vie professionnelle au sein de la Société havraise : " Il était le chauffeur particulier de la direction. Denise était alors couturière. Ensemble ils ont eu quatre filles, Jeanne, Edmée, Yvonne et Claire décédée en bas âge. Puis ils ont tenu l’hôtel du Garage à Moindou, connu sous le nom d’hôtel Bray, qui était une étape des Messageries automobiles calédoniennes, comme Tontouta et Bourail.


    Edmée chez elle à la Vallée-du-Tir. Fille de Théotime et épouse de William Porcheron. Photo DR

    Notre grand-mère était une maîtresse femme, elle conduisait un camion, c’était d’ailleurs une des premières Calédoniennes à avoir son permis, et nous avions le droit de monter dans la benne. Elle portait un casque colonial, des manches longues pour se protéger du soleil et montait à cheval à califourchon. Jeanne, notre mère, a acheté une propriété à Téremba avec ses premiers salaires d’infirmière et possédait une jument, Messaouda. Elle a épousé notre père Charles Fayard en 1942. Edmée, sa sœur, sest unie à Honoré Tournier, tandis qu’Yvonne, la troisième, a épousé Robert Burck, un instituteur venu s’installer au village.

    À l’époque la famille entretenait régulièrement des correspondances. Nous avons beaucoup de cartes postales.


    L’hôtel du Garage connu sous le nom d’hôtel Bray. Gérald, le fils de Théotime, a pris la gérance de l’établissement pour le compte des Messageries automobiles calédoniennes dans les années 30. Le bâtiment date de l’époque du bagne. Denise, son épouse, est restée à Moindou jusqu’à son décès en 1971. L’hôtel est resté dans la famille et a été restauré dans les années 2000. L’hôtel Bray s’appelle aujourd’hui l’Auberge historique. Photo DR

    Ajoutées aux photos de notre arrière-grand-père, cela représente un trésor familial. Nous savons que d’autres clichés existent et qu’ils se sont un peu éparpillés dans la nature pour diverses raisons. Aussi, nous sommes toujours à la recherche de nouvelles photos ou cartes postales ! "


    Photo prise par le surveillant militaire Théotime Bray. Certaines de ses photos sont signées de son nom dans un coin. Photo DR

    Un fonds photographique exceptionnel


    L’appareil de Théotime Bray était un Roussel Bi Anastigmat pour lequel il disposait d’au moins deux objectifs. Armé de son appareil, le surveillant a beaucoup photographié le bagne entre 1890 et 1901, au travers de commandes que lui passait l’administration pénitentiaire. L’héritage photographique du surveillant Bray constitue un fonds exceptionnel. Il renseigne non seulement sur les bâtiments de l’époque, mais également sur les activités et la vie quotidienne des fonctionnaires de l’administration. Il est à noter que les condamnés, bien qu’eux aussi aient été photographiés dans leurs tâches journalières, restent, à quelques exceptions près, anonymes. Ils ne sont pas nommés et souvent en groupe. On peut penser que l’administration pénitentiaire ne souhaitait pas la personnification des condamnés, sans doute devaient-ils rester des matricules. (Sources L.-J. Barbançon)

    Note

    Cette série sur les destins de familles issues de la colonisation pénale, tirée du livre Le Bagne en héritage édité par Les Nouvelles calédoniennes, est réalisée en partenariat avec l’Association témoignage d’un passé.

    Cet article est paru dans le journal du samedi 7 janvier 2017.

    Une dizaine d’exemplaires de l’ouvrage Le Bagne en héritage, certes un peu abîmés, ainsi que des pages PDF de la parution dans le journal sont disponibles à la vente. Pour plus d’informations, contactez le 23 74 99.

    MERCI DE VOUS IDENTIFIER
    X

    Vous devez avoir un compte en ligne sur le site des Nouvelles Calédoniennes pour pouvoir acheter du contenu. Veuillez vous connecter.

    J'AI DÉJA UN COMPTE
    Saisissez votre nom d'utilisateur pour LNC.nc | Les Nouvelles Calédoniennes
    Saisissez le mot de passe correspondant à votre nom d'utilisateur.
    JE N'AI PAS DE COMPTE

    Vous avez besoin d'aide ? Vous souhaitez vous abonner, mais vous n'avez pas de carte bancaire ?
    Prenez contact directement avec le service abonnement au (+687) 27 09 65 ou en envoyant un e-mail au service abonnement.
  • DANS LA MÊME RUBRIQUE
  • VOS RÉACTIONS