- Yann Mainguet | Crée le 14.08.2022 à 17h03 | Mis à jour le 16.08.2022 à 10h55ImprimerDéwé Gorodey a fait partie de tous les gouvernements calédoniens de 1999 à 2019. Photo LNCFemme politique, femme de lettres, Déwé Gorodey est décédée ce dimanche d’une longue maladie, à 73 ans. Ses obsèques doivent se dérouler mardi 16 août, à 14 heures, à la tribu de l'Embouchure, à Ponérihouen.
Son dernier combat était trop inégal. Déwé Gorodey est décédée dimanche des suites d’une longue maladie. Cette figure indépendantiste du monde kanak, qui venait de fêter ses 73 ans le 1er juin, laisse une empreinte certaine dans l’histoire de la Nouvelle-Calédonie. Car ses engagements politiques mais aussi culturels ont participé à l’évolution contemporaine du pays. À la tribune, comme avec un stylo, cette femme de caractère militait pour la dignité de son peuple. " Nous, on nous a obligés à aller à l’école, on nous a asséné une culture qui n’était pas la nôtre " déplorait Déwé Gorodey dans une interview réalisée en 1997 par Blandine Stefanson, de l’université d’Adélaïde en Australie. " Il ne faut pas oublier que, moi, je suis très engagée. C’est un choix : je me situe du point de vue kanak ".
Après le lycée Lapérouse, la demoiselle fait le grand saut en 1969, direction l’université Paul-Valéry de Montpellier en Métropole. En parallèle d’études littéraires, conclues par une licence, puis plus tard un Capes, le militantisme est déjà actif auprès de l’association des Kanak en France avec, entre autres, Paul Néaoutyine. " Elle s’interrogeait sur la place des femmes, et plus largement, de la dimension coloniale " se souvient Jean-Paul Caillard, alors étudiant en médecine.
En 1973, de retour au pays, Déwé Gorodey intègre les foulards rouges, au côté de Nidoish Naisseline. Photo LNCDe retour au pays, en 1973, Déwé Gorodey intègre les Foulards rouges, puis l’année suivante, le Groupe 1878, en hommage à la révolte du grand chef Ataï. Ce mouvement créé par des jeunes de la Grande Terre, dont Elie Poigoune, est contestataire, revendicatif. L’axe premier, " les terres volées ". Les événements français de Mai 68 sont un des éléments déclenchants du réveil kanak. La native de Ponérihouen a " un tempérament fougueux, elle n’a pas la langue dans sa poche " selon ses copains de l’époque. Au point d’être emprisonnée trois fois, au Camp-Est, en 1974 et en 1977.
De tous les gouvernements
Le pas dans l’arène politique est presque naturel. L’enseignante participe en 1976 à la création du Palika, le Parti de libération kanak, alors la première formation politique fondée dans un but officiel de revendication d’indépendance. Elle ne quittera jamais l’organisation. " Dans le contexte colonial, le colonisé n’existe pas ", signalait Déwé Gorodey au cours d’une interview en 1997.
Déwé Gorodey, femme de lutte, a fait plusieurs passages au Camp-Est, en 1974 et en 1977. Photo LNCSes missions, en tant que chargée des relations extérieures du front indépendantiste, la conduisent dans le Pacifique, au Mexique, en Algérie, au Canada, ou encore à l’ONU. " Elle s’est détachée, petit à petit, de la lutte de terrain, pour faire de la lutte institutionnelle " analyse un observateur.
Elue en 1999 dans les rangs de l’UNI à l’assemblée de la province Nord, l’admiratrice d’Indira Gandhi " pour son courage politique " était la seule personnalité à avoir fait partie de tous les gouvernements calédoniens depuis la création de l’institution il y a dix-neuf ans, jusqu’à ce que la maladie ne l’en écarte en 2019. Cette particularité lui a valu un trait d’humour dans les couloirs de l’exécutif : " La loi organique prévoit que le gouvernement est composé de dix membres et de Déwé Gorodey ". La vice-présidence lui fut confiée à deux reprises. Dans son dernier portefeuille, figuraient la culture, la condition féminine, ainsi que la citoyenneté. Dont la Fête fut instaurée par ses soins. Tout comme furent poussées la création du Poemart, de la Sacenc, ou encore la mise en place du Salon international du livre océanien, le Silo. Mais " on est tous victimes du temps ", disait Déwé Gorodey.
Gorodé, la femme de lettres
Quand la femme politique se fait auteure, Déwé Gorodey se dépouille d’une lettre et devient Déwé Gorodé. Son premier recueil de poésie, Sous les cendres des conques, paraît en 1984. Son premier roman, L’Epave, en 2005. Ce sera le premier " roman kanak ". Ses recueils de nouvelles sont nombreux, et l’écrivaine s’essaie aussi au théâtre. Curieuse des autres artistes, Déwé Gorodé contribue aussi à plusieurs œuvres à quatre mains (avec Nicolas Kurtovitch, Weniko Ihage, Imasango…). Le Salon international du livre océanien, qu’elle contribue à créer en 2003, sera le terreau de nombreuses rencontres artistiques. Le documentaire Ecrire le pays suit le regard admiratif que lui porte le grand auteur maori Witi Ihimaera. La femme de lettres reste indissociable de sa prise de conscience politique. C’est lorsqu’elle est incarcérée au Camp-Est, dans les années 1970, qu’elle compose des poèmes qu’on retrouvera dans Sous les cendres des conques.
Le lien à la terre, fondement de la culture kanak — et de revendications politiques — est omniprésent. Pour beaucoup, c’est d’ailleurs quand elle écrit sa relation à la terre, les détails de la nature, ce " cordon ombilical " qui la relie à son pays que ses mots sont les plus beaux, les plus touchants.
Sa plume forte et puissante se met aussi parfois au service de sujets difficiles, comme les violences faites aux femmes dans L’Epave.
Dès l’enfance, Déwé Gorodé avait hérité de son père un goût pour les histoires et pour l’art de conter. Le patriarche racontait à la fratrie, en paîcî, les récits généalogiques, l’histoire des clans, le mythe de Téâ Kanaké, mais aussi de grands classiques français, comme Les Misérables. Lorsque la petite fille devait travailler aux champs, elle esquivait souvent la corvée en racontant des histoires pour distraire ses frères et sœurs. L’écriture était venue tôt, aussi, sur les papiers qui traînent, dans un calepin quand elle est adolescente. Mais le déclic poétique s’était fait en France, où elle étudie les lettres modernes. Un déclic lié autant à la nostalgie qu’à la prise de conscience politique. Elle écrivait, beaucoup, souvent. Il n’était pas rare de la voir s’installer sur sa terrasse à Nouméa, stylo à la main. Mais c’est chez elle, à Ponérihouen, qu’elle aimait le mieux se poser pour écrire. Elle gardait précieusement des cartons entiers d’écrits. Elle travaillait aussi sur les écrits de son père, pasteur proche de Leenhardt, en vue d’une édition.
Déwé Gorodey lors de la création du Palika. Photo LNCLes réactions institutionnelles et politiques
Le ministère des outre-mer
"Immense poétesse, romancière d'avant-garde, militante convaincue, amoureuse de sa terre calédonienne et du peuple qu'elle vit souffrir et chanter, Déwé Gorodey laisse orphelins non seulement les enfants de la culture calédonienne, mais tous les amoureux de la beauté et de la liberté.
Compagnonne des Foulards rouges, incarnation du 68 calédonien, poétesse inoubliable de Sous les cendres des conques, elle conféra avec L'Épave à la culture kanak son premier roman et la conquête d'un imaginaire populaire qui pleure aujourd'hui une subtile délicatesse.
Poétesse, romancière, nouvelliste, militante, Déwé Gorodey demeurera pour la culture kanak une pionnière, une fondatrice, une sculptrice d'élégances, de liberté et de dignité.
“L'air est doux /Au clair du jour / Tel l'amour / En appel / Au secours / en sa tour / prend garde " à quoi s'ajoutent plus vers plus loin " Oui /voici venu / le temps / de battre / le rappel / de mémoire”.
Ces vers de L'Orée du sable incarnent le défi que se lança Déwé Gorodey à elle-même de célébrer sa terre comme revanche de la tradition sur la modernité, de la dignité sur la soumission, de l'Histoire sur un âge contemporain trop instrumental.
Pionnière de la lutte féministe, elle eut le talent rare de faire converger les luttes en écrivant dans Uté Mûrûnû : " Et si nous n'avons pas demandé à venir au monde, si nous n'avons pas choisi de naître femmes, nous n'avons qu'une vie, ici et maintenant, alors tentons au moins de la vivre au lieu de la subir ".
Par son œuvre, Déwé Gorodey aura la force de continuer à insuffler aux vivants l'énergie de la conscience, de la liberté et de la beauté, sans quoi la vie demeure trop fade. Ne pas trahir sa mémoire sera toujours, outre de ne pas trahir ses colères, de continuer à la lire et à goûter, dans les plis de l'Histoire souvent trop linéaires, le charme imprévisible de ses éclairs et de ses fulgurances."
Hommage de la ministre de la Culture, Rima Abdul Malak
" Femme libre, femme politique, femme d'écriture, Déwé Gorodey était de tous les combats, mais surtout de tous les engagements ; aujourd'hui, elle s'est éteinte en Nouvelle-Calédonie, sa terre, mais c'est bien au-delà que sa lumière persiste, puisant dans une énergie incroyable qu'elle n'aura eu de cesse de mettre au service de la culture océanienne, mais également des femmes et de l'action publique. Plusieurs vies en une, mais la militante indépendantiste et la poète ont fait cause commune, car si elle a toujours enseigné, du français au collège jusqu'à la littérature à l'Université, il faut saluer la femme, parmi les premières, qui aura été élue puis membre sans discontinuer de tous les gouvernements depuis leur mise en place en 1999. L'action est vaste, multiple, mais retenons ce qui était sa bataille de cœur, la défense de la culture et de l'identité kanak - la recherche d'identité qu'elle définissait en mouvement : " le modèle, pour moi, il est devant soi, jamais en arrière. C'est une reformulation permanente ". Si elle n'en était pas moins prévue par les accords de Matignon et Nouméa, la reconnaissance du plurilinguisme et de la diversité culturelle n'est pas toujours allée de soi et il fallait bien une œuvre littéraire, celle de la conteuse et de l'écrivain, pour accompagner les actes de sa vie publique tels la création de l'Académie des langues kanak à laquelle elle a fortement contribué et dont elle était la présidente du Conseil d'administration ou le Salon international du livre océanien. Une femme-monde qui dans L'Épave, premier roman kanak publié en 2005, dira sans fard, courageusement, le désarroi des femmes abusées, brisant le silence autour des violences sexuelles. Une femme fière et généreuse à qui rendre hommage aujourd'hui est un devoir et un honneur. J'adresse à sa famille et à ses proches, mes plus sincères condoléances. "
Le gouvernement
"C’est avec une profonde émotion que les membres du gouvernement ont appris aujourd’hui le décès de Déwé Gorodey. Déwé Gorodey, femme politique indépendantiste et écrivain kanak de renom international, a marqué la vie du gouvernement collégial depuis sa création. Elle a été membre du premier exécutif présidé par Jean Lèques. Elle y restera jusqu’en 2019 sans interruption. Pendant plus de vingt ans, au fil de ses mandats, elle a occupé à cinq reprises la vice-présidence du gouvernement et s’est consacrée aux secteurs de la culture, de la condition féminine et de la citoyenneté, mais également à
la jeunesse, aux sports, aux affaires coutumières et aux relations avec le sénat coutumier. Le président du gouvernement, au nom du gouvernement collégial, adresse ses plus sincères condoléances à la famille de Déwé Gorodey, à ses enfants, à ses proches et à son clan."
Le Conseil économique, social et environnemental
"C’est avec une grande tristesse que nous apprenons le décès de Madame Déwé Gorodey, femme politique de premier rang et écrivaine kanak engagée. Au gouvernement, Madame Gorodey a travaillé sur deux dossiers particulièrement importants : l’enseignement des langues kanak et les signes identitaires dont elle présidait la Commission et qui a notamment permis l’adoption par le Congrès d’un hymne et d’une devise, " Terre de parole, terre de partage ". Elle est aussi à l’origine de la création de l’ALK (Académie des langues kanak), du lancement de la Fête de la Citoyenneté chaque 24 septembre et de l’installation d’une Maison de la condition féminine à Ponérihouen. Le Cese salue le parcours exceptionnel de Madame Déwé Gorodey au service du pays et présente à sa famille et à ses proches, ses sincères condoléances."
Le Palika
"Militante féministe engagée dès la première heure pour l’accession de Kanaky-NC à l’indépendance, le bureau politique apprend avec une grande tristesse la disparition de Mme Déwé Gorodey. Le bureau politique salue une figure du combat politique pour l’indépendance, qui aura consacré sa vie à la cause des femmes Kanak et calédoniennes. Son parcours de vie a été marqué par la volonté d’égalité et de liberté qu’elle a toujours fait transparaître dans ses écrits, dans sa vie d’enseignante et de femme engagée politiquement. Son engagement politique l’a conduit à participer à la création du Parti de libération kanak en 1976. Le bureau politique, au nom du Palika, adresse à son clan, à sa famille, ses enfants et à ses proches, ses sincères condoléances. Merci camarade "Déwé" !"
La province Sud
Femme de courage et de culture, Déwé Gorodey s’en est allée. C’est avec une profonde tristesse que nous avons appris sa disparition. La maladie contre laquelle elle luttait depuis tant d’années a fini par l’emporter et la disparition de Déwé crée un vide aujourd’hui. Militante indépendantiste convaincue, membre des foulards rouges puis du Palika, Déwé Gorodey aura mené tous ses combats avec dignité et sincérité tout en respectant les convictions des autres. À ce titre, elle fut un modèle. […] Au nom de tous ses élus, la province Sud présente ses condoléances attristées à sa famille, ses proches et son clan.
L’Union calédonienne
"C’est avec une grande peine que nous avons appris le décès de notre " sœur militante " Mme Déwé Gorodey veuve Pourouin. Déwé aura marqué l’histoire de son pays à tous les niveaux. Elue de la province Nord depuis 1999, elle a milité pour l’entrée des femmes en politique. Elle s’est frayé le chemin d’une femme de poigne au sein d’un monde pourtant encore hostile à l’arrivée des femmes dans le débat public. L’Union calédonienne salue la mémoire de cette militante qui se sera battue jusqu’à son dernier souffle contre toutes formes d’injustices envers le peuple Kanak. L’Union calédonienne adresse ses plus sincères condoléances au Palika et à tous ses compagnons de route, et ses plus tendres pensées à son clan, sa famille et ses enfants face au départ de cette femme d’exception pour la lutte vers notre émancipation."
Le FLNKS
"C’est avec une profonde tristesse que nous apprenons la disparition d’une grande dame de cœur et d’esprit. Femme engagée politiquement, indépendante et indépendantiste, membre fondateur du Palika, militante du Front de libération national kanak et socialiste, aux traits fins, Déwé Gorodey était connue pour sa franchise mais également sa fermeté. Elle a lutté de tout temps pour la liberté de son peuple et la pleine souveraineté de son pays. Elle nous quitte aujourd’hui, la veille de l’Assomption, telle une mère qui rejoint les étoiles pour veiller sur son pays. Que cette vie de luttes reste dans les mémoires et que chacun puisse s’en imprégner. Le FLNKS adresse ainsi ses plus sincères condoléances à toute sa famille, son clan, ses amis et ses proches."
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