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    Nouvelle Calédonie
  • Lionel Jospin   | Crée le 29.05.2024 à 07h07 | Mis à jour le 29.05.2024 à 07h07
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    Le 5 mai 1998, Lionel Jospin, alors Premier ministre, signait les accords de Nouméa avec Roch Wamytan (à gauche sur la photo), Jacques Lafleur (à droite) et Paul Néaoutyine. Photo Archives LNC
    Dans une tribune adressée au " Monde " et aux "Nouvelles calédoniennes", l’ancien Premier ministre regrette que l’exécutif se soit écarté de la " méthode consensuelle " qui prévalait jusque-là dans l’archipel et note qu’Emmanuel Macron est resté " ambigu sur l’essentiel " : la question de l’élargissement du corps électoral. Lionel Jospin pense également que "l’accord à construire demain" pourrait faire évoluer les relations entre la Nouvelle-Calédonie et la France, ouvrant la voie vers une "émancipation plus complète".

    Les violences qui endeuillent aujourd’hui la Nouvelle-Calédonie sont une tragédie accablante. Pour tous ceux qui vivent sur ce territoire, bien sûr, mais aussi pour les Français attachés à cette terre lointaine, avec sa diversité de cultures, et qui veulent pour elle un avenir pacifique et prospère.

    Rétablir là-bas la sécurité des personnes et des biens est une nécessité. Il est de l’intérêt de tous de veiller à l’approvisionnement en nourriture, de garantir l’accès aux soins, d’assurer la libre circulation des personnes, de restaurer les services publics et de faire repartir l’économie. Rien ne peut justifier les meurtres, les pillages et la destruction de biens collectifs ou privés et de lieux de production.

    Pour sortir du mieux possible de l’actuelle épreuve, il faut impérativement renouer avec le désir de concorde et la recherche de consensus qui ont guidé les forces politiques néo-calédoniennes quand elles étaient assurées de l’impartialité de l’État. Cette manière d’agir a permis à la paix civile de prévaloir sur ce " caillou " fertile tandis que s’engageait un indispensable et original processus de décolonisation au sein de la République.

    Laissons le passé nous éclairer. En 1988, des communautés s’affrontent en Nouvelle-Calédonie depuis quatre ans, au bord de la guerre civile, jusqu’au paroxysme du drame d’Ouvéa, le 5 mai. Le calme revient quand, le 26 juin, des accords sont signés à Matignon par Jacques Lafleur, Jean-Marie Tjibaou et Michel Rocard, trois personnalités courageuses et novatrices.

    Leurs objectifs ont été de garantir une paix durable fondée sur la reconnaissance mutuelle, le dialogue, le rééquilibrage entre les communautés et les régions, le développement et la formation. Un référendum devait permettre, au bout de dix ans, de choisir entre le maintien dans la République et l’indépendance. Le peuple français a solennellement approuvé ces accords le 6 novembre 1988. Ministre d’État dans le gouvernement Rocard, j’ai travaillé au rééquilibrage dans le champ crucial de l’éducation. Sur le terrain, j’ai découvert la Nouvelle-Calédonie et je l’ai aimée.

    Mais dix ans, c’était court pour apaiser les esprits et réaliser les objectifs ambitieux fixés, et la décision fut prise, avec l’approbation de tous, de rechercher au terme de la période un nouvel accord évitant de raviver les divisions par un choix binaire.

    La légitimité de toutes les communautés de Nouvelle-Calédonie " à y vivre et à continuer de contribuer à son développement " était proclamée.

    Devenu Premier ministre en 1997, j’ai eu l’honneur de signer à Nouméa, le 5 mai 1998, un nouvel accord, avec Jacques Lafleur, Roch Wamytan et Paul Néaoutyine. Celui-ci prolongeait et approfondissait les accords de Matignon. L’autonomie était poursuivie grâce à un large transfert de compétences. Une citoyenneté de Nouvelle-Calédonie était instituée au sein de la nationalité française. Dans un préambule à l’accord, un récit partagé du passé visait à mieux fonder l’avenir. Le traumatisme de la colonisation pour les Kanak était reconnu, et l’apport des populations immigrées affirmé. La légitimité de toutes les communautés de Nouvelle-Calédonie " à y vivre et à continuer de contribuer à son développement " était proclamée. Il s’agissait de constituer, au-delà des divisions, " une communauté affirmant son destin commun ". Parallèlement, mon gouvernement apportait des réponses positives, tant économiques que politiques, aux demandes des milieux économiques et des nouvelles autorités provinciales sur l’importante question du nickel. La paix régnait sur le territoire, et l’habitude d’y gouverner ensemble s’installait.

    Michel Rocard et moi-même avions appartenu à la génération engagée dans les luttes anticoloniales et nous avions connu des indépendances. Quand a surgi le conflit néo-calédonien, militants devenus gouvernants, nous comprenions la pensée des acteurs du conflit. Et nous n’entendions pas laisser la France tomber à nouveau dans le piège d’un conflit colonial.

    Quant à la méthode, nous avons été constamment guidés par la conscience de la complexité de la situation sur place et des risques du retour de la violence. C’est pourquoi nous avons écouté les meilleurs connaisseurs de la réalité néo-calédonienne, nous avons choisi des interlocuteurs variés, et nous avons associé au processus institutionnel en cours les représentants et les forces du territoire en les assurant de l’impartialité de l’État.

    Après 2002, j’ai eu le plaisir de constater que la Nouvelle-Calédonie restait une préoccupation et un motif d’intérêt pour les gouvernants français, de droite et de gauche. L’état d’esprit qui nous avait animés a été pour l’essentiel préservé.

    En Nouvelle-Calédonie, l’impact du Covid-19, la crise du nickel et les frustrations d’une partie oubliée de la jeunesse ont assombri le climat.

    Et puis, un glissement s’est opéré. En Nouvelle-Calédonie, l’impact du Covid-19, la crise du nickel et les frustrations d’une partie oubliée de la jeunesse ont assombri le climat. Les divisions se sont durcies chez les indépendantistes comme chez les non-indépendantistes. Or, c’est le moment où l’exécutif français s’est écarté de la méthode consensuelle qui jusque-là prévalait. Négligeant le facteur temps, il s’est montré impatient.

    En 2021, les responsables kanak ont demandé que la tenue du troisième référendum sur l’indépendance soit repoussée de quelques mois. Ils souhaitaient que leur communauté, durement touchée par l’épidémie de Covid-19, fasse son deuil dignement. Considérée, à tort, comme un prétexte, cette requête a été rejetée. Cette réaction a blessé, et le scrutin a été boycotté par une grande partie des Kanak, ce qui a affecté sa légitimité.

    En 2022, une élue non indépendantiste radicale a été nommée au gouvernement sans avoir à renoncer à la présidence de sa province. Cela a été perçu comme le signe d’une préférence et un manquement à l’impartialité de l’État, un principe cardinal pour le traitement de la question néo-calédonienne.

    En 2024, enfin, une majorité incluant l’extrême droite vient de voter au Parlement une réforme élargissant le corps électoral en Nouvelle-Calédonie. Elle n’est pas consensuelle, puisque les indépendantistes, qui n’étaient pas hostiles à tout élargissement, demandaient que cette réforme soit incluse dans un accord global. Et comme le président de la République a indiqué qu’il était prêt à convoquer rapidement le Congrès pour approuver cette réforme, la démarche a été assimilée à un passage en force. Alors se sont produits les troubles qui ont mis en péril la paix civile régnant depuis trente-cinq ans en Nouvelle-Calédonie.

    Si le retour au calme est à l’évidence urgent, des gestes politiques forts sont nécessaires pour le garantir.

    Le président de la République s’est rendu à Nouméa le 23 mai. Il est bon qu’il y soit allé, puisqu’il a pu rencontrer sur place des élus de tous bords. Il a demandé à ceux-ci de contribuer à la levée des barrages et au retour au calme. Il a aussi appelé à la reprise du dialogue politique. Excluant un " passage en force ", il a fait sien l’objectif d’un " accord global ", comme le demandaient les indépendantistes. Une mission de médiation et de travail composée de trois hauts fonctionnaires est restée sur place. Cela sera utile.

    Toutefois, le président est resté ambigu sur des questions essentielles : l’élargissement du corps électoral pour les élections provinciales ; le sort de la réforme votée dans les deux Chambres ; la convocation ou non du Congrès. Comme du côté des non-indépendantistes, les plus rigides soutiennent l’idée que la position du président n’a pas changé, des clarifications rapides de sa part sont nécessaires. Le chef de l’État devrait aussi s’interdire la tentation de l’ultimatum.

    Si le retour au calme est à l’évidence urgent, des gestes politiques forts sont nécessaires pour le garantir. Il faut renouer avec la méthode consensuelle. La suspension du projet de loi de révision constitutionnelle et donc le report de la convocation du Congrès sont nécessaires pour parvenir à s’entendre sur un accord global. Les choix prochains des autorités de notre pays seront cruciaux si l’on veut sortir par le haut de la crise actuelle.

    En pensant aux temps qui viennent, je souhaite m’adresser aux trois acteurs historiques qui, avec les accords de Matignon et de Nouméa, ont ouvert un chemin nouveau pour la Nouvelle-Calédonie.

    L’accord à construire demain doit permettre de fonder un nouveau contrat social entre les communautés qui vivent sur une même terre.

    Le peuple kanak est la force motrice qui a arraché sa terre au statu quo colonial. Deux référendums non contestés ne lui ayant pas ouvert la porte de l’indépendance, il réaffirme son aspiration à la souveraineté. Il ne l’obtiendra pas par la violence et le chaos, car le territoire, alors abîmé et meurtri, deviendrait une proie. La Nouvelle-Calédonie est un pays pluriethnique où plusieurs communautés sont destinées à vivre ensemble.

    Les autres communautés ont contribué activement au développement de la Nouvelle-Calédonie. L’accord de Nouméa a salué leur apport. Nombreux sont ceux qui se sentent profondément attachés à la terre qu’ils ont rejointe, parfois depuis longtemps. Qu’ils ne cèdent pas, même en période de tension, à l’illusion qu’ils pourraient trouver leur salut dans un retour à la logique du conflit colonial. La France, distante de 17 000 kilomètres, n’entrera pas à leur côté dans un engrenage répressif, au risque de son honneur. Les personnes venues d’Europe, d’Asie ou d’Océanie doivent être des partisans de l’évolution.

    Les Français mesurent la complexité de la question néo-calédonienne et le doigté qu’exige sa résolution. Ils ont accompagné leurs responsables, qui ont avancé à pas mesurés depuis trente ans. Ils refuseraient que leur nation s’expose à un nouveau drame colonial. Ils comprennent que leur pays soit encore aujourd’hui garant de la paix civile et du redressement économique. Mais ils savent que la France ne jouera durablement un rôle dans le Pacifique que si les pays de la zone constatent qu’elle est acceptée par tous en Nouvelle-Calédonie.

    L’accord à construire demain doit permettre de fonder un nouveau contrat social entre les communautés qui vivent sur une même terre. Il pourrait aussi ouvrir le chemin d’une évolution des relations de la Nouvelle-Calédonie avec la France conduisant le moment venu à une émancipation plus complète.

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