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    Nouvelle Calédonie
  • LNC | Crée le 03.11.2024 à 05h00 | Mis à jour le 03.11.2024 à 05h00
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    Fonwhary, autour de 1913. Blanche, Honoré et Louis-Just Chevrier. Photo DR
    Emmené loin de son pays et de sa famille pour une tentative de parricide qui lui vaut le bagne à perpétuité en 1884, le transporté Louis-Just ne reverra jamais ni l’un ni l’autre. Les recours en grâce intentés par son père, finalement convaincu de l’innocence de son fils, ne seront pas entendus. Devenu éleveur à Fonwhary, Louis-Just a fondé une famille avec Blanche Lacombe, elle-même fille de transporté. Découvrez le vingt-quatrième épisode de notre saga consacrée aux familles issues du bagne.

    Plus d’un siècle après son exil, ses descendants – dont son arrière-petite-fille Dominique – ont parcouru son chemin en sens inverse, à la rencontre de leurs cousins de l’Est de la France.

    "L’histoire du bagne, je baigne en plein dedans. J’habite à Pierrat, à Fonwhary, sur la propriété qui était celle de mon ancêtre transporté. Je travaille depuis quinze ans à Fort Téremba, sur un lieu historique de la colonisation pénitentiaire, qui a d’ailleurs été le déclencheur de mon envie de connaître la vie de mes aïeux. Le bagne, les vieux n’en parlaient pas, c’était un sujet complètement tabou.

    La génération de nos parents s’en fichait, ils avaient d’autres préoccupations. Avec ma cousine Catherine, nous avons dû repartir quasiment de zéro pour découvrir la vie de Louis-Just, le premier Chevrier en Calédonie.


    Blanche, Louis-Just, leur fille Louise et son mari Henri Miloud, dans les années 40. Photo DR

    Il est né en 1861 à Cornimont, près de Vagney, dans les Vosges, dans une famille de fermiers qui avaient du bien. Des premiers temps de sa vie, je sais peu de choses, à part qu’il effectue son service militaire dans les rangs du 7e régiment d’artillerie en poste à Épinal. Le drame qui enverra Louis-Just au bagne, c’est l’agression de son père dans la maison familiale, une nuit de 1883. Amputé d’un bras lors de la guerre de Crimée, le patriarche ne peut se défendre face à l’agresseur à la hache, mais il survit à ses blessures. Les soupçons se portent rapidement sur Louis-Just, qui est accusé par son propre père.


    La Foa, 19 octobre 1935. Le mariage d’Honoré Chevrier, fils de Louis-Just (ici en blanc), et d’Alice Guihard donnera trois garçons : Guy, Roger et André, le père de Dominique. Photo DR

    Trop tard pour arrêter la machine judiciaire

    " Le conseil de guerre permanent de Châlons-sur-Marne considère que "le mobile du parricide a été l’envie de se soustraire au service militaire après avoir vainement essayé tous les moyens. Il a tenté de devenir fils aîné de veuve". Le tribunal prononce une condamnation à la peine de mort et à la dégradation militaire. La sentence sera finalement commuée en travaux forcés à perpétuité au bagne de Nouvelle-Calédonie.

    Je vous prie en grâce d’examiner la situation de mon fils et de bien vouloir me le rendre, de façon que je puisse encore le voir avant de mourir.

    Louis-Just n’est plus là et son père est de nouveau agressé, à plusieurs reprises. Finalement convaincus que leur fils est innocent, les parents de Louis-Just tenteront pendant des années de le faire revenir auprès d’eux, usant de tous les recours possibles. Le jour de Noël 1894, près de dix ans après la transportation de Louis-Just, son père supplie encore le ministre des Colonies : "Je vous prie en grâce d’examiner la situation de mon fils et de bien vouloir me le rendre, de façon que je puisse encore le voir avant de mourir. Moi le père, qui ai été l’objet d’une tentative de meurtre pour laquelle il a été condamné, je vous assure que depuis ce temps, j’ai reconnu qu’il n’avait été pour rien dans la tentative et qu’il n’est pas coupable." Cette lettre, pas plus que les autres, ne sera entendue.


    Tamara N’Gadiman entourée de sa mère Cathy Chevrier (à droite) et de sa tante Dominique Chevrier. Photo DR

    Je n’ai pas retrouvé le nom du bateau qui a emporté mon arrière-grand-père, je sais simplement qu’il est arrivé le 20 octobre 1884 à l’île Nou. En détention, le matricule 15 240 devient effilocheur, un métier qui consiste à émietter des étoffes pour en faire de la ouate. Il y passera six longues années avant d’être mis en concession au pénitencier agricole de Fonwhary. Il occupe les dix hectares du lot n°42, à Focola, et loue également le lot voisin, le n°43. Il y commencera une vie de famille après sa rencontre avec la jeune Blanche Lacombe, fille de transporté, qui, le jour de 1904 où le mariage est célébré, n’a que 16 ans quand son époux en a 43.

    Le domaine s’agrandit

    " Mais à Focola, le nouveau départ tourne au cauchemar. Voici ce que dit alors un article du Bulletin du Commerce : "Le concessionnaire Chevrier […] vient d’être réduit à la plus complète indigence par un incendie dû à une main criminelle. Réveillé en sursaut par le crépitement du feu, il n’eut que le temps, avec sa femme, de s’enfuir de sa case tout en flammes."


    Fonwhary, vers 1990. L’ancienne maison de Pierrat où Louis-Just a terminé ses jours. Un jour de cyclone en 1948, c’est là qu’est né André, le père de Dominique. Photo DR

    Mon arrière-grand-père décide de déménager : il échange ses terres contre celles du transporté Claude Chantereau et obtient le lot n°1 de la même concession. Sur leur nouvelle propriété, qui s’agrandit au fur et à mesure des achats de terrain, notamment celui de Pierrat où j’habite aujourd’hui, mes arrière-grands-parents élèvent du bétail. Ils livrent du lait et de la viande à Farino. Le troupeau comptera jusqu’à 500 têtes, sur 1 250 hectares. Louis-Just, qui sait parfaitement lire et écrire, occupe le reste de son temps à écrire, que ce soit en tant que journaliste pour le Bulletin du Commerce, ou comme écrivain public. Il produit aussi de l’essence de niaouli avec un alambic. La vie sur le lot n°1 est plus tranquille, la famille peut s’agrandir. Mon grand-père Honoré naît en 1911, et il est rejoint quatre ans plus tard par une petite Louise.

    Louis-Just vivra jusqu’à l’âge de 90 ans, ce qui est assez exceptionnel pour un homme qui a connu un destin pareil. Il verra l’arrivée des peep troops américaines pendant la guerre, dont il gardera un souvenir mitigé puisque des soldats lui voleront son alambic pour distiller de l’alcool au campement ! Et il fumera la pipe jusqu’au bout ! "


    Photo LNC

    Rencontre avec les Chevrier des Vosges


    Sarraméa, 2007. Lors de la deuxième visite des cousins vosgiens: Michèle, à gauche, et Yves, troisième à droite, étaient venus voir Dominique, son père André, le bébé Christie, Arnaud, Cathy Chevrier ainsi que Ginevra Ollivier. Photo DR

    " À la fin des années 1990, ma cousine Catherine a remonté la trace des Chevrier jusqu’à leurs terres d’origine, les Vosges. Nous nous sommes dit qu’il y avait des chances pour que des Chevrier soient encore dans le coin. Nous avons contacté le journal de la région, l’Est républicain, et nous avons fait une demande de parution dans la rubrique généalogique. Et une Chevrier a répondu ! C’était Carole, une lointaine cousine. Nous avons beaucoup échangé à distance avec elle et avec ses parents, Michel et Michèle. Ils nous ont raconté l’histoire de leur branche, le travail de Michel dans les hauts fourneaux de Nancy, et nous avons décidé de nous rencontrer. Ils sont venus les premiers, en 2003 et en 2007, puis nous sommes allés là-bas en 2009. Nous avons été reçus comme des princes, ils sont d’une gentillesse infinie. Et les Vosges en hiver, sous la neige, c’était tellement beau ! Par contre, je n’ai jamais eu aussi froid ! Nous sommes allés voir la grange familiale de Vagney, que Carole avait réussi à retrouver, c’était très émouvant. J’espère que nous pourrons y retourner un jour. Nos cousins sont revenus nous voir en 2011."


    Vagney, dans les Vosges, en 2006. La ferme qui appartenait à la famille Chevrier au XIXe siècle tient encore debout. Photo DR

    Note

    Cette série sur les destins de familles issues de la colonisation pénale, tirée du livre Le Bagne en héritage édité par Les Nouvelles calédoniennes, est réalisée en partenariat avec l’Association témoignage d’un passé. Cet article est paru dans le journal du samedi 26 mars 2016.

    Une dizaine d’exemplaires de l’ouvrage Le Bagne en héritage, certes un peu abîmés, ainsi que des pages PDF de la parution dans le journal sont disponibles à la vente. Pour plus d’informations, contactez le 23 74 99.

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