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    Nouvelle Calédonie
  • LNC | Crée le 22.12.2024 à 05h00 | Mis à jour le 22.12.2024 à 05h00
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    Bartolomeo Donati, Nathalie Glaises, son épouse, et leur fils aîné, Louis. Photo DR
    Bartolomeo Donati était terrassier à Paris. Immigré originaire de Bergame, en Italie, il a été condamné à huit ans de travaux forcés en 1893 pour avoir participé à un réseau de faux-monnayeurs. Il avait alors 34 ans. Bernard Berger, le célèbre auteur de la Brousse en folie, est l’arrière-petit-fils de celui que tout le monde surnommait Bartolo. Entouré de sa mère et de son oncle André, il nous reçoit à Païta, là où reposent ses aïeux. Dans ce trentième-et-unième épisode de notre saga consacrée aux familles issues du bagne, ils remontent ensemble le fil de la vie de cet ancêtre bagnard devenu contremaître et de ses nombreux descendants, dont un certain… Tonton Marcel.

    "Je me souviens que je déjeunais avec mon frère Patrick. Pépé, mon grand-père Louis, venait de décéder. Nous parlions du bon temps, de nos grands-parents. Nous nous sommes demandé pourquoi Louis avait fait son service militaire à presque 40 ans alors qu’il était né ici, et, de fil en aiguille, est venue dans la discussion la question : comment notre famille était-elle arrivée sur le Caillou ? " Bernard Berger se rappelle parfaitement comment il a appris le passé pénitentiaire de Bartolo.


    Suzanne Berger, mère de Bernard et petite-fille de Bartolomeo, avec son frère André Donati et Bernard Berger. Photo DR

    " Nous étions en 1995 et personne ne savait quoi que ce soit. L’histoire familiale faisait état d’un vague problème entre son père Bartolo et la police. Je me suis renseigné et c’est Louis-José Barbançon qui m’a tout révélé. Nous avons tous été surpris. C’était une époque où l’on ne parlait pas, j’ai douté de la bonne foi de ma mère, j’étais persuadé qu’elle savait et qu’elle ne disait rien ! Pour les générations précédentes, c’était une tare d’avoir un bagnard comme aïeul, aujourd’hui ce serait presque une fierté, même si c’est la première fois que nous racontons l’histoire de notre famille. Il y a encore quelques années, cela aurait été impossible… Mais, après tout, qui n’a pas de condamné dans sa famille ? "

    Une tour Donati à Florence

    Autour de la table familiale sur une terrasse ombragée, tout le monde parle volontiers et le récit se fait à trois voix. L’oncle André a des souvenirs d’enfant encore très présents, il raconte avec plaisir les vieux, les vieilles, les amis de la famille, les Goyetche et les Kaddour. Suzanne Berger, sa sœur cadette, a depuis fait de nombreuses recherches. Document après document, elle garde précieusement l’histoire familiale dans une pochette devenue bien épaisse.


    Bartolomeo, son épouse et ses trois enfants, en 1919, à Dumbéa. Photo DR

    "Je me suis rendue à Bergame et à Aix-en-Provence sur les traces de notre aïeul… La pêche a été maigre, impossible de retrouver la famille de Bartolo restée en Europe, il a dû être banni ! Je voulais contacter tous les Donati pour les questionner, mais il y en a des pages entières d’annuaire, une tour à Florence porte même ce nom. Nous savons qu’il a été une première fois marié à Aubusson en France, à Marguerite Lagorce, mais nous avons assez peu de détails personnels de sa vie en Nouvelle-Calédonie car, lorsqu’il est décédé, ses enfants étaient jeunes, ils n’ont pas pu nous transmettre d’anecdotes ou de souvenirs. "

    Les informations sur Bartolo Donati sont effectivement succinctes, et son arrière-petit-fils doit parfois réfléchir pour remettre dans le bon ordre les épisodes de sa vie.

    Le forçat devient contremaître

    " À sa libération en 1900, il lui était interdit de repartir en France. Il est devenu contremaître pour les Ponts et Chaussées à La Foa pendant trois ans avant de partir travailler pour la SLN, toujours comme contremaître, sur les mines de Thio. Là-bas il a rencontré et a épousé une fille de colons originaires de l’Allier, Nathalie Glaises.

    Une grande partie de sa famille est repartie, mais pas elle. Elle avait 19 ans, trente-trois ans de moins que Bartolo !

    Ensemble, ils ont eu trois enfants, tous nés à Thio, Louis mon grand-père, le fameux Marcel et Caroline.


    Le relais de La Tamoa. Crédit photo : collection Irène Letocart

    Bartolo s’est ensuite installé à La Tamoa. Il tenait le relais appelé " Le Pavillon ". C’était un comptoir, une agence postale et en même temps une boulangerie, et a priori les Ballande en étaient les propriétaires. C’est là qu’il s’est éteint en 1924 après avoir honorablement refait sa vie. Sa femme est décédée trois ans plus tard. Une histoire horrible qui a marqué les esprits. Elle s’est fait arracher des dents à Nouméa et, en revenant à cheval, elle est morte d’une hémorragie sur le trajet. Elle laisse alors derrière elle trois jeunes orphelins. Marcel et Caroline ont vécu en Brousse près de Thio avec Edouard Glaises, leur oncle ; mon grand-père Louis, quant à lui, a été élevé à Saint-Léon, l’orphelinat de Païta. Dès que possible, il est retourné dans le Nord et est devenu, comme son père, contremaître pour la SLN.

    Les descendants dans les pas du père

    " Avec sa femme Théodorine née Marino (elle-même fille d’un condamné d’origine italienne) et ses cinq enfants, ils étaient logés par l’entreprise dans une grande et belle maison. Ma mère se souvient même qu’il y avait une Javanaise et une Chinoise à leur service, c’est dire s’il avait une bonne situation ! Il partait à la mine à cheval et s’occupait des va-et-vient, des wagons de minerais. Louis a également travaillé pour la municipalité de Thio, et aux puits sur la base de Tontouta en 1946. C’était un homme calme et doué de ses mains, tout le monde a un meuble fait par lui dans la famille.

    Marcel n’a pas eu d’enfants, il a fait tous les métiers et était capable de réparer tout et n’importe quoi. C’était un homme extraordinaire et peu commun, c’est lui Tonton Marcel. Alors que l’on visitait la mine de Thio, le guide nous a raconté que le premier bulldozer qui a ouvert la piste était conduit par mon grand-oncle !

    Jeanne-Marie Maharikassa, originaire du Vanuatu, partageait sa vie. Il est d’ailleurs le seul à ne pas être enterré à Païta dans le carré des Italiens où les Donati sont inhumés aux côtés des Paladini. Lui, il voulait reposer "aux côtés de sa vieille", en Brousse.


    Marcel Donati et Jeanne-Marie. Photo Nicolas Lebreton

    Caroline est décédée en 2014, à presque 98 ans. Elle a eu deux enfants avec Emile Paimbouc, un ingénieur dont une passerelle porte le nom à Thio. Puis elle a divorcé et s’est installée à Poindimié, où elle a eu trois autres enfants.

    Nous sommes presque une centaine de descendants de Bartolo. Nous avons connu nos origines récemment, les anciens n’ont donc pas été la cible de moqueries, on les traitait plutôt de "macaronis" ; à l’époque les mariages avec les immigrés étaient mal vus.

    Aujourd’hui, ces récits bâtissent l’histoire du pays, dans toutes ses facettes, il n’y a aucune raison de les cacher ou de les renier. Je trouve dommage, par exemple, que " Le Pavillon" à Païta ait été détruit. Si ce passé était reconnu à sa juste valeur, le patrimoine pourrait être conservé. "

    Tonton Marcel, fils de forçat !


    " Lorsque j’ai créé La Brousse en folie en 1982 à ma sortie d’école de l’art, j’ignorais totalement les origines de Tonton Marcel. Mais depuis, si les lecteurs sont attentifs, ils auront compris qui il est, car je fais parfois quelques allusions, il n’y a aucune raison de le cacher. C’est un Européen, et comme beaucoup d’entre eux, il descend d’un condamné. On peut aussi deviner que sa femme, Mimine, est fille de colon. Je voulais raconter, au travers d’un personnage, l’histoire de la famille. Et Tonton Marcel, c’est juste le personnage idéal ! C’était un vrai Broussard, il avait une Jeep, un singe et des centaines de cornes de cerf. Il lui est même arrivé de mettre sa jument dans sa Jeep. Un sacré bonhomme que tout le monde connaissait et appréciait. Il était né à Thio et avait vraiment fait son trou là-bas.

    Un mélange de tous mes oncles

    Je me souviens qu’il racontait les histoires debout, jamais assis. Mes oncles André et Loulou (les fils du grand-père Louis) étaient pareils, ils faisaient toujours des grands gestes. Et puis ce n’était pas des histoires qu’ils nous racontaient, c’étaient des épopées ! Il leur arrivait toujours des trucs invraisemblables ! Par exemple, Loulou était parti pour un coup de plongée. Il connaissait les coins par cœur et il tombe avec son fils sur une patate qu’il ne connaissait pas nous dit-il. Il a un doute.

    Le jeune, lui, plonge et il s’avère que ce n’était pas une patate mais des requins collés entre eux ! Il a fallu qu’il tire d’un seul coup son fils par la peau du cou pour ne pas qu’il se fasse croquer ! Tonton Marcel est un mélange de tous mes oncles, du fils et des petits-fils de Bartolo."

    Note

    Cette série sur les destins de familles issues de la colonisation pénale, tirée du livre Le Bagne en héritage édité par Les Nouvelles calédoniennes, est réalisée en partenariat avec l’Association témoignage d’un passé. Cet article est paru dans le journal du samedi 26 décembre 2015.

    Une dizaine d’exemplaires de l’ouvrage Le Bagne en héritage, certes un peu abîmés, ainsi que des pages PDF de la parution dans le journal sont disponibles à la vente. Pour plus d’informations, contactez le 23 74 99.

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