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    Nouvelle Calédonie
  • LNC | Crée le 02.02.2025 à 05h00 | Mis à jour le 02.02.2025 à 05h00
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    François Gérard, le surveillant militaire, avec son épouse Marguerite et son unique fille, Marie-Louise Marguerite. Photo DR
    Les états de service du jeune militaire ne sont pas très élogieux, mais " cet incapable et paresseux" s’est par la suite révélé très débrouillard. Resté sur la colonie une fois sa retraite prise, François Gérard a su faire fructifier ses affaires. Évelyne Henriot et Claude Cornet, ses descendantes, ont à elles deux collecté quantité d’informations sur leur aïeul qu’elles retracent dans ce 37e épisode de notre sage consacrée aux familles issues du bagne.

    "Savais-tu que François Gérard était franc-maçon ? Il paraît que son insigne était dans la maison de grand-mère à Pont-des-Français. " Quand deux cousines – " nos mères étaient cousines germaines ", précise Claude Cornet – se rencontrent pour parler d’un aïeul commun, leur arrière-grand-père, les anecdotes ne manquent pas. Évelyne Henriot vient elle aussi de découvrir un détail que toutes deux ignoraient : " J’ai retrouvé, il y a quelques mois, dans le journal La Calédonie du 29 octobre 1903, l’oraison funèbre prononcée à son enterrement. Il est dit qu’un mal l’a terrassé et qu’il était atteint d’une maladie qui le rendait presque impotent. Je ne vois pas du tout de quel mal il est question, je pensais qu’il avait eu un accident de cheval ! "


    Évelyne Henriot (à gauche) et Claude Cornet. Deux cousines descendantes de François Gérard, leurs mères sont cousines germaines. Photo DR

    Si trente années de recherches ont rempli des classeurs énormes de feuilles jaunies, de photos et de coupures de journaux en tout genre, en généalogie, rien n’est donc jamais vraiment terminé. Toutefois, les archives d’Aix-en-Provence complétées d’un peu de tradition orale leur ont déjà permis de retracer les grandes lignes de la vie de ce surveillant militaire.

    Un début de carrière peu glorieux

    Évelyne Henriot retrace les états de service de leur arrière-grand-père : " François Gérard est né en 1847, d’un milieu issu de la terre. Il est d’abord instituteur du culte catholique avant de s’engager dans l’armée en 1868. Trois ans plus tard, il est incorporé en tant que sergent-major au régiment étranger avant d’être rétrogradé sergent six mois après pour incapacité, paresse et excessive mauvaise volonté. C’est inscrit tel quel dans son carnet militaire ! Il fait un passage au régiment de tirailleurs algériens puis il est rayé des contrôles en 1873.


    Photo de famille prise en 1907. Au centre de la photo, les deux sœurs Marguerite Mermet, épouse Gérard (à gauche), et Marianne Mermet, épouse Bontoux, toutes deux femmes de surveillants militaires. Puis de gauche à droite, le couple Sophie Hubert et François Alfred Gérard et deux de leurs enfants ; debout derrière leurs mères respectives, le couple Léon Gérard et Julia Bontoux. Leurs enfants, Félix et Loulou, en blanc, sont au premier plan. À droite, Prosper Limousin et son épouse, Marguerite Gérard, et leurs enfants, Emile et Francisque. Photo DR

    Redevenu instituteur, il rencontre alors notre arrière-grand-mère, Marguerite Mermet, qu’il épouse avant d’être nommé surveillant militaire de troisième classe. Il embarque à l’île d’Aix à bord de l’Orne en juin 1875. Arrivé à Nouméa en septembre, il prend ses fonctions à Bourail. "

    " Manifestement, tout ne se passe pas pour le mieux. " Claude Cornet sort de ses archives une lettre manuscrite signée du commandant du pénitencier agricole. " Visiblement François cherchait à gagner de l’argent sur le dos de l’école. De Giverday, le commandant, écrit qu'" il n’est pas possible de tolérer dans une ferme l’engraissement des porcs et l’élevage de la volaille sur une grande échelle. Le surveillant Gérard a fort mauvaise tête et je l’ai signalé plusieurs fois. J’ai l’honneur de prier instamment monsieur le directeur de le faire rentrer à l’île Nou et de pourvoir à son remplacement". Cette anecdote fait sourire les cousines, mais elle traduit un gène familial.

    Claude Cornet reprend : " Il n’était sans doute pas un excellent surveillant du point de vue de l’administration mais c’était un sacré débrouillard, un gros travailleur et il avait le sens des affaires. J’ai toujours vu les membres de notre famille beaucoup travailler. Quand je partais au collège tôt le matin, mon père, menuisier et tourneur sur bois, était déjà à son atelier et il y restait tard le soir. " Le pionnier quitte donc l’administration pour se lancer à son compte. Il démissionne le 16 janvier 1880.

    Une carrière variée et réussie

    François Gérard s’installe avec sa famille au Pont-des-Français et devient restaurateur. Évelyne Henriot a retranscrit une petite annonce qu’il faisait publier dans Le Néo-Calédonien (lire ci-dessous). " C’est probablement à cette époque qu’il acquiert sa première propriété dans ce même quartier. Il achète et revend des terres, et à la fin de sa vie il va posséder une grande partie de la presqu’île de Tina ! Il est également postier – j’avais une carte postale le montrant devant son relais en tenue – et élève du bétail. "


    Photo de famille prise en 1911. Assise au centre, Marguerite Gérard, épouse et veuve du pionnier au moment de la photo. Devant elle sur le siège est assise sa petite-fille, Marguerite Gérard, la mère d’Évelyne Henriot. Derrière elle sur sa droite, Julia Bontoux épouse Léon Gérard, la grand-mère maternelle d’Évelyne Henriot. Assis par terre, Léon Gérard et son fils Loulou. Photo DR

    François Gérard et Marguerite ont trois enfants, Léon Félix qui épouse sa cousine germaine Julia Bontoux (leurs mères sont sœurs et toutes deux ont épousé un surveillant militaire), les grands-parents d’Évelyne Henriot, puis François Alfred marié à Sophie Hubert, dont un des fils, Francis, va s’unir à Paulette Gervolino, descendante de transporté. Et enfin Marie-Louise Marguerite, la grand-mère de Claude Cornet. Après son internat aux demoiselles de La Conception (lire ci-dessous), elle épouse Prosper Limousin, un cultivateur de Yahoué.

    La famille attachée au Pont-des-Français

    Au décès de son père en 1903, Léon fait construire une petite maison sur son terrain pour que sa mère vive près de lui. Lui et sa sœur cadette restent sur les terres du pionnier et en développent l’activité. " Une partie des terres étaient en fermage. Mon frère, raconte Claude Cornet, se souvient des vignes. Dans le Mémorial calédonien, plusieurs pages racontent la fabrication de cette cuvée " Gloire de Yahoué ", mais a priori ce vin était une vraie piquette ! Mes grands-parents Limousin s’installent dans une petite ferme où ils élèvent des vaches laitières. Je me souviens de l’étable. Ils ont été les premiers à faire venir une machine à traire mécanique. "


    Une partie des terres de François Gérard a été mise en fermage. Un cultivateur a planté des vignes et a pu produire, en 1909, une cuvée " Gloire de Yahoué " qui, dans la mémoire collective, était une vraie piquette. Photo DR

    Du lait, ils faisaient un fromage, " le fromage du Pont-des-Français ", dont la recette et les secrets de fabrication sont expliqués dans quelques pages précieusement conservées (lire ci-dessous).

    Tout se fait en famille, la mère et l’oncle d’Évelyne Henriot aidaient à la tâche : " Ma mère me racontait qu’elle se levait à 3 heures du matin avec son frère Frédo pour traire les vaches. Ensuite Léon, leur père, faisait du fromage et livrait le lait sur Nouméa. "


    Mariage de Francis Gérard avec Paulette Gervolino, en 1934. Le petit-fils d’un surveillant épouse une descendante de transporté… Photo DR

    En faisant un rapide calcul, Évelyne compte dans ses ancêtres et ceux de feu son mari, un transporté et quatre surveillants. Claude, pour sa part, descend d’un déporté et du surveillant Gérard ainsi que d’un soldat français et d’un immigré prussien tous deux arrivés avant 1860.

    Les familles de ces cousines sont aujourd’hui à l’image de nombreuses autres familles calédoniennes, empreintes d’un mélange de diverses origines. Les deux femmes en parlent librement et volontiers, ne se souciant guère de ce que peuvent en penser les générations précédentes, encore trop souvent adeptes du non-dit.

    François Gérard fait sa pub dans Le néo-calédonien du 9 juin 1882

    Monsieur Gérard, restaurateur au Pont-des-Français, a l’honneur d’informer les habitants de Nouméa, qu’à partir du 18 juin, il viendra tous les dimanches matin prendre les personnes qui désireraient aller passer la journée à son hôtel. Il arrivera à Nouméa à 7 heures du matin à l’hôtel " Mérano " et en repartira à 8 heures précises. Le soir, il quittera le Pont-des-Français à 6 heures et ramènera ses clients à Nouméa. Les places pourront être retenues le samedi soir. Mr. Mérano sera chargé de l’inscription. Les personnes trouveront dans cet hôtel une table très confortable à des prix très modérés.

    Un fromage " Pont-des-Français"

    Marguerite Limousin, la grand-mère de Claude Cornet, et son mari Prosper ont créé un fromage officiellement baptisé " Le fromage du Pont-des-Français ". La recette et diverses notes ont été retranscrites, extrait :

    " Le fromage fabriqué au Pont-des-Français est le résultat de quarante années d’essais et de tâtonnements. Au cours de ces années, il y eut de nombreux échecs. Mais aujourd’hui la méthode employée donne beaucoup plus de sécurité. Elle peut être considérée comme définitive dans sa préparation. […]

    Conditions que doit réaliser un bon Pont-des-Français :

    L’odeur doit rappeler celle de la crème douce. La saveur, caractéristique du Pont-des-Français, doit être légère et appétissante. La couleur de la pâte " ambrée moyen ". La consistance telle que le fromage se coupe en tranches molles, pour s’étaler par la suite. "

    Les demoiselles de La Conception

    La fille du pionnier, Marguerite, a été interne dans cet établissement tenu par les religieuses. Extrait d’une interview donnée par une élève, Mercédès Laffete, née en 1879, à la France Australe :

    " On allait jusqu’au brevet ordinaire. On apprenait un peu de tout, de la musique, de la peinture, du piano. On nous donnait une bonne éducation de jeunes filles bien rangées. Les sœurs disaient qu’elles faisaient des Ladies […]. Lorsqu’on allait se baigner à la rivière de La Conception, dans le creek plutôt, à côté d’une cabane, on mettait des caleçons montants. La discipline était stricte mais pas trop. Il fallait être polie, gentille, pas grossière. "

    Note

    Cette série sur les destins de familles issues de la colonisation pénale, tirée du livre Le Bagne en héritage édité par Les Nouvelles calédoniennes, est réalisée en partenariat avec l’Association témoignage d’un passé. Cet article est paru dans le journal du samedi 10 septembre 2016.

    Quelques exemplaires de l’ouvrage Le Bagne en héritage, certes un peu abîmés, ainsi que des pages PDF de la parution dans le journal sont disponibles à la vente. Pour plus d’informations, contactez le 23 74 99.

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