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    Nouvelle Calédonie
  • LNC | Crée le 13.10.2024 à 05h00 | Mis à jour le 13.10.2024 à 05h00
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    A gauche, la seule représentation existante d’un des frères Campot (2e ligne, portrait à l’extrême gauche). Étienne se faisait également appeler Jean ; son frère Jean, lui, se faisait appeler Jean le jeune ou parfois Aimé ! A droite, Marguerite-Marie Camp Photo DR
    Jean et Étienne Campot ont participé au "crime des braves gens", un fait divers sanglant du Périgord. Tandis que son frère décède rapidement, Jean, condamné à rester à la Nouvelle, se marie et fonde une famille de onze enfants. De chaque côté du globe, deux archéologues, cousins éloignés sans le savoir, ont mené des recherches parallèles. Dans ce vingt et unième épisode de notre saga consacrée aux familles issues du bagne, Christophe Sand et Magnolia Houvenaghel racontent aujourd’hui une histoire, sciemment oubliée.

    "En livrant cette histoire aujourd’hui, j’ai un peu le sentiment de trahir la mémoire de ma grand-mère. Elle ne voulait pas en parler, et c’était un refus totalement assumé." À défaut d’avoir fait parler son aînée, Christophe Sand a puisé l’histoire de ses aïeux maternels dans les cartons des Archives d’outre-mer. Jamais l’archéologue calédonien n’aurait pu révéler l’origine de la famille Campot si Mina Lounès avait encore été de ce monde.

    " Cette histoire est assez caractéristique du pays du non-dit et de l’oubli de la mémoire. Aucune des informations que je détiens sur Jean Campot ne m’a été donnée par tradition orale, aucune. Une anecdote familiale traduit bien l’esprit. Alors que mes parents étaient enseignants à Nouméa dans les années 1960, une des élèves de mon père lui dit à la fin du cours : "nous sommes de la même famille, ma grand-mère était aussi une Campot".

    Mon père rentre à la Vallée-du-Tir déjeuner chez ses beaux-parents et parle de la réflexion de cette jeune fille. Silence. Aucune réaction. Cela s’est arrêté là !

    La mort d’Alain de Moneys

    "Aux confins du Limousin et de la Charente, en août 1870, alors que les prémices de la défaite de la guerre contre les Prussiens se font sentir, la foire agricole annuelle est organisée à Hautefaye. Tout le monde est inquiet. Un noble est parmi les convives et pour une raison inconnue, un homme ivre l’accuse d’avoir dit "L’empereur est perdu et vive la République. Alors que tous ces gens sont a priori d’honorables paysans sans histoire, va suivre une pure folie collective. Les coups succèdent aux coups. Torturé, le malheureux Alain de Moneys finit sur un bûcher.


    A gauche : Christophe Sand, archéologue et arrière-arrière-petit-fils de Jean Campot. A droite : Magnolia Houvenaghel, étudiante corse en archéologie, descendante du petit frère de Jean Campot, lui aussi prénommé Jean. Photo DR

    La gendarmerie arrête tout le monde, une soixantaine de personnes se retrouvent à la prison de Nontron et, après enquête, vingt et une sont accusées. C’est la honte sur le village, personne ne parle. Entre-temps, Napoléon III est tombé, la période est instable. Les journaux parlent alors du " crime des braves gens " et évoquent " des actes de cannibalisme ".

    Le 20 décembre 1871, la cour d’assises de Dordogne condamne quatre leaders à mort, neuf aux travaux forcés, cinq à la prison, deux jeunes sont envoyés en maison de correction et un troisième jeune rendu à ses parents. Parmi ces condamnés se trouvent deux frères de 20 et 21 ans, Jean et Étienne Campot. Le premier, accusé d’homicide avec préméditation, échappe à la peine de mort mais est condamné aux travaux forcés à perpétuité. Son frère aîné, accusé de complicité, est lui aussi condamné aux travaux forcés mais pour une durée de huit ans. Après quelques mois passés au bagne de Toulon, ils embarquent à bord de la Sibylle le 5 octobre 1872 en laissant derrière eux cinq frères et sœurs et leurs parents. "

    Magnolia Houvenaghel est une des descendantes d’un de ces frères restés en Métropole, lui aussi prénommé Jean. Ce cadet a eu neuf enfants. Alors que bien des familles ont définitivement coupé les ponts avec les branches calédoniennes, la jeune étudiante en archéologie a mené des recherches sur ces bagnards inconnus.


    L’acte de condamnation de Jean Campot. Photo DR

    " Personne n’a jamais parlé de ces deux frères. En France aussi le non-dit est très présent, et les informations glanées l’ont été à l’extérieur de la famille. Je suis persuadée que ni ma mère ni ma grand-mère n’étaient au courant. Après le drame, personne n’a quitté la région, or le fait divers a vraiment marqué les esprits ; aujourd’hui encore, il est difficile de l’évoquer, cette histoire reste tabou. Quand, il y a dix ans, j’ai commencé les recherches généalogiques des Campot, de modestes cultivateurs, je n’imaginais pas que celles-ci me mèneraient si loin ! L’association Le fil d’Ariane m’a aidée à démêler cette pelote familiale. "

    Deux frères à Bourail

    D’après Christophe Sand, " Étienne, semble-t-il très tatoué, s’est bien comporté, sauf deux écarts qui lui ont valu de légères punitions pour avoir oublié le labeur et jeté des miettes de pain à un autre détenu. Son dossier ne comporte pas de mise en concession, peut-être vivait-il chez son frère ou chez un employeur. Il décède, célibataire et sans enfant, à Bourail " à son domicile " le 16 mars 1884 à l’âge de 34 ans.

    Jean a l’air plus indiscipliné. A Toulon, alors qu’ils attendaient pour embarquer, il s’est vu infliger une peine de 30 jours de prison. Puis entre février 1873 – date de son arrivée à l’île Nou – et 1882, il commet une série d’actes répréhensibles qui lui valent 242 jours de punitions dont 121 jours de fers, 46 jours de retranchement et 75 nuits de prison. Malgré cela, il est mis en concession en 1883 à Boghen.

    Ma grand-mère connaissait la généalogie de la moitié de la Grande Terre ! Comment aurait-elle pu ignorer son propre état civil ?

    Son cas illustre la manière dont les géomètres de l’époque découpaient des lots sans trop se soucier de la qualité des sols ni de savoir s’ils étaient propices à l’installation ou non. Son lot numéro 14 est particulièrement infertile, et Jean va demander de façon répétée à en changer, ce qui est finalement autorisé en 1899. Entre-temps, en 1885, il se marie avec Jeanne-Marie dite Julia Mirante ou Mirande selon l’orthographe, fille d’un couple de bagnards, née à Bordeaux. Sa mère emprisonnée en Métropole, après avoir multiplié les demandes, a pu finir sa peine en Nouvelle-Calédonie ; son père, lui, est considéré comme dangereux et peu recommandable. L’année du mariage, Jean Campot a 35 ans, Julia 16. Elevée au couvent de Bourail, elle est bien éduquée et exerce la couture.

    Une vie simple

    Jean et Julia donnent naissance comme beaucoup de leurs contemporains à une grande famille. Entre 1885 et 1909, ils ont onze enfants, et tous arrivent à l’âge adulte. Ils resteront paysans tout au long de leur vie. Quand son fils aîné Henri-Pierre est en âge de travailler, Jean Campot demande une concession pour l’installer. Mon arrière-grand-mère Marguerite-Marie, septième de la fratrie, naît en 1900. Comme sa sœur aînée Marie-Louise, elle se met en couple avec un " Arabe ", Lounès, mais nulle part je n’ai trouvé d’acte de mariage. En menant des recherches sur la vie de Lounès, j’ai trouvé dans son dossier une lettre mentionnant, en 1909, l’existence d’une autre épouse et d’un enfant, dont nous n’avons aujourd’hui aucune autre trace. Si cette femme a bien existé, cela pourrait expliquer pourquoi mes arrière-grands-parents ne se sont jamais mariés. Ils ont eu ensemble quatre enfants, dont Mina, ma grand-mère.


    Le mariage d’André Cubadda avec Mina Lounès, les grands-parents de Christophe Sand. A droite, André et Mina, jeunes parents, sont accompagnés de Thérèse (la mère de Christophe Sand) dans le berceau. Photo DR

    Dans l’entre-deux-guerres, Lounès et Marguerite-Marie quittent la Brousse pour Nouméa. De cette période je n’ai récolté que quelques bribes de tradition orale. Sans doute mes arrière-grands-parents remontaient-ils de temps en temps visiter le frère aîné des Campot resté sur la concession de leur père. Mina a un jour confié qu’elle détestait y aller car quand les hommes travaillaient aux champs, il fallait qu’elle porte le panier de déjeuner entre Boghen et Nessadiou. "

    Le droit à l’oubli

    Pour Christophe Sand, " lorsque l’on retrace ces vies, on comprend mieux pourquoi nos anciens, et surtout les femmes, ne voulaient pas transmettre leur histoire. Cette génération voulait être transparente et effacer les souffrances. Le silence qu’on leur reproche aujourd’hui était souvent assumé. Ils n’ont d’ailleurs, pour la plupart, pas compris la revendication kanak. Pour eux, c’était l’échec du non-dit.


    La demande de grâce rejetée de Jean Campot. Photo DR

    L’indigénat au même titre que le bagne faisait partie des choses du passé qu’il fallait taire et oublier. Je dis oublier car je n’imagine pas que les enfants et petits-enfants aient pu ignorer leurs origines. Que ce soit à Nessadiou ou à Bourail, presque toute la population était liée au bagne, les descendants ne pouvaient pas ne pas savoir. Ma grand-mère connaissait la généalogie de la moitié de la Grande Terre ! Comment aurait-elle pu ignorer son propre état civil ? "

    Un fait divers, des livres


    Portrait d’Alain de Moneys, la victime du drame qui a conduit les frères Campot au bagne.

    Près d’une dizaine d’ouvrages ont été consacrés à cette affaire. Un des plus connus est l’œuvre de Jean Teulé parue en 2009, Mangez-le si vous voulez, qui a fait grand bruit, et même scandale en Dordogne. L’histoire de Hautefaye y est romancée, " trop " selon les historiens et habitants de la région. Le titre du livre, qui a également inspiré une pièce de théâtre éponyme, serait une phrase prononcée par le maire de la commune lors de l’assassinat d’Alain de Moneys, faisant de ce crime, un acte de cannibalisme.

    L’écrivain Georges Marbeck est l’auteur de Hautefaye, l’année terrible, paru en 1982.

    Cet ouvrage est reconnu comme une fidèle reconstitution historique du massacre.

    Note

    Cette série sur les destins de familles issues de la colonisation pénale, tirée du livre Le Bagne en héritage édité par Les Nouvelles calédoniennes, est réalisée en partenariat avec l’Association témoignage d’un passé.

    Cet article est paru dans le journal du 20 août 2016.

    Une dizaine d’exemplaires de l’ouvrage Le Bagne en héritage, certes un peu abîmés, ainsi que des pages PDF de la parution dans le journal sont disponibles à la vente. Pour plus d’informations, contactez le 23 74 99.

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