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    Nouvelle Calédonie
  • LNC | Crée le 25.08.2024 à 05h00 | Mis à jour le 25.08.2024 à 05h00
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    Marc et son épouse, Ida Vincent. Ils se sont mariés le 17 décembre 1908 à La Foa. Ida est la fille d’Eléonore et de Louis Augustin Vincent, lui-même condamné au bagne. Elle est née le 6 août 1893 à La Foa. Photo DR
    Marc Thomas Boucher est condamné à six ans de travaux forcés et à cinq ans de surveillance. À l’issue de sa peine, après une période de résidence obligatoire de six ans, la loi lui aurait permis de revenir en Métropole, mais il choisit de s’établir à Farino et fonde, avec Ida Vincent, une famille très nombreuse. Pour ce quatorzième épisode de notre saga consacrée aux familles issues du bagne, Marguerite Boyer, avant-dernière de la fratrie, se souvient de ses années en Brousse. Une jeunesse heureuse, bien que rude.

    "Ce que je sais de mon père, je l’ai appris tard, j’étais mariée. Les recherches ont été compliquées car il y a des homonymes, alors comment savoir qui est qui ? Mon père s’appelait Marc, pourtant il est enregistré comme étant Thomas Boucher par l’administration pénitentiaire. Thomas est le nom de famille de sa mère Elisabeth qu’il portait accolé au patronyme de son père. Nous supposons donc qu’il s’agit bien de lui. "


    Marguerite Boyer. Photo DR

    Marguerite est le neuvième enfant de l’ancien forçat. Née en 1924, elle se souvient parfaitement de ses années de Brousse en famille. La vie y était dure, les concessionnaires pauvres, mais à l’image de tous les Calédoniens qui ont partagé cette époque, Marguerite en garde le souvenir d’une jeunesse heureuse où il fallait savoir se contenter de peu.

    " Marc Thomas Boucher est né dans la Creuse, le 2 avril 1863. Il a été condamné le 10 décembre 1883 par la cour d’assises de l’Indre à six ans de travaux forcés assortis de cinq ans de surveillance, "pour avoir soustrait frauduleusement une certaine quantité de numéraires", un vol qualifié. Il arrive dans la colonie par le Navarin le 2 octobre 1884, matricule 15107.

    Ils se sont vus au parloir et l’affaire était conclue. Seulement, elle était trop jeune, il a donc fallu qu’il patiente.

    Son dossier mentionne qu’il sait lire et écrire, et qu’il était militaire dans la cavalerie. Enfant, j’ignorais tout de son passé. Nous savions seulement qu’il venait de Métropole. Il semble ne jamais avoir été mis en concession. Comme dans toutes les familles de condamné, je présume, nous ne parlions pas de ces choses-là. Ma mère, elle-même fille du transporté Augustin Vincent, savait forcément, et peut-être même mes frères et sœurs les plus âgés.

    Pourtant, je n’en ai jamais entendu parler. Notre père est libéré de 1re catégorie en décembre 1889, puis, à l’issue de sa période de résidence obligatoire, libéré à la 2e catégorie, c’est-à-dire libre de pouvoir repartir de la colonie, le 14 décembre 1894, matricule 3000. "

    L’enracinement

    " Bien que libre, il n’est jamais reparti. Il a acheté un terrain dans le bas de Farino, en face du refuge de Mamie Fogliani, l’initiatrice du marché et des tables d’hôte. Juste en face de ce refuge, il y a une allée de manguiers. La tradition orale familiale dit qu’elle a été plantée par mon père. On nous a également raconté que les hommes célibataires se rendaient à l’orphelinat de Fonwhary, où les sœurs s’occupaient des filles de forçats, afin de trouver une épouse.


    Louis Boucher, l’aîné des dix enfants, en 1979. Photo DR

    " C’est ainsi que Marc Thomas, qui avait déjà 44 ans, a rencontré Ida Vincent. " Ils se sont vus au parloir et l’affaire était conclue. Seulement, elle était trop jeune, il a donc fallu qu’il patiente. Il est revenu la chercher quelques mois plus tard, en char à bœufs, et ils se sont mariés le 17 décembre 1908 à La Foa. Ida avait 15 ans et 4 mois ! Ensemble ils ont eu dix enfants. Mon père était quelqu’un de doux, il était sévère mais pas méchant. Je n’ai que de bons souvenirs. "

    La vie de famille

    " Plus tard, mon père a vendu sa propriété de la plaine aux Truies pour s’installer chez Louis Verger, un ancien forçat célibataire que nous appelions tous "Parrain". Mon père sciait du bois et le vendait à La Foa. Il faisait aussi du café.

    Ce qui hier était un tabou devient aujourd’hui un facteur d’ancrage. Avoir un ancêtre au bagne renforce l’enracinement familial.

    Il embauchait lors des récoltes des Mélanésiens qu’il payait à la touque : il allait jusqu’à Table-Unio à cheval, faire une coutume au chef et revenait avec des jeunes femmes avec qui nous ramassions le café et qui dormaient avec nous dans la maison. Nous faisions sécher les grains sur de grands cadres à l’abri de la pluie, puis, une fois secs, nous les entreposions au grenier pendant plusieurs mois avant de les trier. Le magasin Mariotti achetait notre récolte.


    Les femmes de la famille à Farino (de gauche à droite) : Josée, Ida, Cécile, Odette et Marguerite. Ne manque que Lucette. Photo DR

    Ma mère faisait office de sage-femme et a accouché toutes les femmes du village ! Elle allait à cheval et restait quelques jours avec la jeune maman. À la maison, chacune des filles avait son rôle. Odette cousait et raccommodait les vêtements de toute la famille, Cécile faisait le ménage, Joséphine les courses et moi la cuisine. Lucette, la dernière, était dispensée de tâches ménagères. Louis, l’aîné, était employé. Plus tard, il reprendra une partie de la propriété. René a commencé une carrière de menuisier puis s’est engagé dans l’armée.

    Il est parti en Métropole en 1938 et a été fusillé le 13 août 1944 alors qu’il avait pris le maquis dans l’Isère.

    Jean était postier à Farino, et enfin, Paul travaillait sur la propriété. Il faisait de l’essence de niaouli, puis il est entré dans l’administration. Le petit Marcel est décédé à 2 ans.

    Grâce au potager, aux arbres fruitiers, à la chasse et aux revenus du bois et du café, nous ne manquions de rien, mais il fallait travailler dur et pas question d’avoir le moindre cadeau à Noël. Je suis allée à l’école, mais comme mes sœurs, je n’y suis restée que peu de temps. "


    La mairie de Farino dans les années 1900. Photo DR

    Le départ en ville

    " Mon père est décédé le 11 novembre 1945. Ida, elle, s’est éteinte en 1987, à 94 ans. " Le décès du patriarche a entraîné le départ de la fratrie de la propriété. Jean mis à part, tous les enfants de Marc Thomas Boucher ont quitté Farino. Louis, l’aîné, est devenu conseiller municipal à Nouméa. Il a siégé de 1953 à 1985.


    Ida, Odette, Marguerite et René Boucher au radier du lavoir. René, en tenue, s’est engagé comme militaire de carrière en 1932 puis a rejoint le 4° régiment des tirailleurs sénégalais via Marseille en août 1938. Il a été fait prisonnier à Auch dans les Ardennes le 23 mai 1940. Après deux ans de détention dans les stalags, il est libéré en juin 1942. Photo DR

    Cécile, Marguerite, Joséphine et Lucette sont parties chercher du travail en ville. Elles ont débuté comme vendeuses dans un shop puis dans la maison Pentecost. " Avec notre premier salaire, on s’est acheté un kilo de pommes. On n’en avait jamais mangé et on en rêvait ! J’ai rencontré mon futur mari, Yves Boyer, à Nouméa, il rentrait tout juste de la guerre. C’était un ancien combattant du Bataillon du Pacifique. Ensemble, nous avons eu une fille, Sonia, devenue députée-maire de la ville. "


    Marguerite Boucher et Yves Boyer, son époux. Photo DR

    Aujourd’hui, Marguerite n’a plus que sa sœur Odette, âgée de 102 ans, dont la fille et le gendre ont fondé le domaine Ida-Marc sur les terres de la propriété familiale où ils continuent l’activité de café. Et bien qu’elle appartienne à cette génération qui cultive parfois le culte du secret, Marguerite parle sans gêne de ses parents. Assis a ses côtés, Louis, son petit-fils, archéologue et maître de conférences à l’Université de la Nouvelle-Calédonie, est à l’origine des recherches généalogiques de la famille. Il constate que les mentalités évoluent : " Ce qui hier était un tabou devient aujourd’hui un facteur d’ancrage. Avoir un ancêtre au bagne renforce l’enracinement familial, cela démontre la présence de générations successives sur le Caillou. Mais nous n’en sommes pas encore au point d’égaler les Australiens qui en font souvent une fierté. "


    Le Bataillon du Pacifique dans le désert de Libye. Yves Boyer, le mari de Marguerite, est assis à droite. Photo DR

    La famille Boucher


    De gauche à droite (debout) : Josée (Joséphine), qui épouse Paul Rivière, un mécanicien; ils ont une fille. Odette, mariée à André Fonbonne, ingénieur des Travaux Publics; ils ont une fille. Cécile, qui épouse Edgar Allégret avec qui elle a trois enfants. René, marié à Marthe Dupont, tué en août 1944 en Isère. Paul, qui ne se marie pas et devient huissier après sept ans d'armée. Jean, qui épouse Graciella Offlaville avec qui il a deux enfants.

    Au premier plan : Marc Thomas Boucher. Lucette, la petite dernière de la fratrie, qui se marie avec Arthur Waters, un jockey ; ils ont une fille. Ida, la femme de Marc. Louis Vergé, l'ami de la famille. Marguerite, future Mme Yves Boyer, avec qui elle a une fille. Louis, l'ainé, marié à Henriette Lemaître, et père de cinq enfants.

    Note

    Cette série sur les destins de familles issues de la colonisation pénale, tirée du livre Le Bagne en héritage édité par Les Nouvelles calédoniennes, est réalisée en partenariat avec l’Association témoignage d’un passé.

    Cet article est paru dans le journal du 11 février 2017.

    Une dizaine d'exemplaires de l'ouvrage Le Bagne en héritage, certes un peu abîmés, ainsi que des pages PDF de la parution dans le journal sont disponibles à la vente. Pour plus d'informations, contactez le 23 74 99. 

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