- Anthony Tejero | Crée le 06.02.2024 à 05h00 | Mis à jour le 06.02.2024 à 07h41ImprimerAnyssa Husson, Nathalie Ehnyimane, Athéna Sakilia et Sorona Xolawawa vont partir s’envoler mercredi 7 février pour Dijon où elles effectueront une prépa-médecine d’une durée de six mois avant la rentrée universitaire de septembre. Photo Anthony TejeroAnyssa Husson, Nathalie Ehnyimane, Athéna Sakilia et Sorona Xolawawa s’apprêtent à quitter le pays pour commencer une classe préparatoire en vue de passer le difficile concours d’entrée aux études de médecine. Ces jeunes femmes originaires de Lifou et de Maré bénéficient d’un dispositif sur-mesure d’accompagnement et de prise en charge des billets d’avion par la province des Îles qui espère, à terme, enrayer la pénurie de professionnels de santé dans les Loyauté. Témoignages.
"Dans ma famille, beaucoup de gens ont été évasanés jusqu’en Australie voire jusqu’en France. Cela m’a marqué. C’est tellement triste de passer les derniers jours de sa vie si loin de ses proches et de chez soi par manque de médecins et de moyens." Mais du haut de ses 18 ans, Athéna Sakilia, est loin d’être fataliste. C’est pourquoi elle compte bien se retrousser les manches pour tenter de changer la donne.
Cette jeune bachelière originaire de la tribu de Koumo, à Lifou, qui s’imagine déjà chirurgienne, fait partie des quatre Loyaltiennes sélectionnées cette année par la province des Îles, qui s’apprêtent à partir en Métropole pour intégrer une classe préparatoire, à Dijon. Objectif : mettre toutes les chances de leur côté pour tenter de réussir le ô combien difficile concours d’entrée aux études de médecine.
Car face à la pénurie de professionnels de santé, la province a lancé, l’an dernier, un dispositif d’accompagnement sur-mesure qui permet à ses étudiants les plus prometteurs qui veulent étudier la médecine de bénéficier d’une bourse et d’un billet d’avion offert. Un précieux sésame qui leur a été remis en main propre, ce lundi après-midi, au campus des îles.
"Je me sens prête à certains sacrifices"
Deux jours avant ce grand saut vers l’inconnu, l’appréhension et l’excitation se mêlent chez ces jeunes femmes sous le regard ému de leurs parents.
"Je suis stressée mais également très enthousiaste de partir car j’ai l’envie d’être médecin depuis que je suis au collège, glisse Alyssa Husson, qui est née à Koumac et a grandi à Maré. Ma maman vient de Ouégoa où il n’y a pas de médecin et où les gens ont des consultations en visio au dispensaire. C’est triste et alarmant. Si on parvient à avoir plus de médecins calédoniens, je pense que ce sera plus facile pour eux de s’adapter et donc de rester longtemps sur place."
La jeune femme de 17 ans, qui rêve à une carrière de pédiatre, a d’ailleurs conscience de la "chance" qu’elle a de pouvoir être suivie et soutenue par la province. "Je suis très heureuse d’avoir été retenue. Ça permet à des jeunes comme nous d’essayer de réaliser leur rêve tout en étant utiles au pays. Et c’est pour ça que je me sens prête à certains sacrifices : partir loin dans un endroit inconnu ; me mettre à fond dans les études et donc changer de rythme parce que sur les îles, on vit plutôt à la cool…"
"Il y a un gros problème de prise en charge des patients en Nouvelle-Calédonie"
Si la tâche s’avère ardue, ces étudiantes puisent toutes leur motivation de leur vécu. A 19 ans, Nathalie Ehnyimane espère devenir psychiatre. Une vocation qui ne doit rien au hasard. "Ma mère est psychologue à Nouméa et je sais qu’il y a de gros problèmes de prise en charge des patients en Nouvelle-Calédonie et un manque de moyens, explique cette habitante d’Hunete. À Lifou par exemple, les gens sont obligés de partir sur la Grande Terre s’ils veulent être soignés. Comme j’ai toujours été intéressée par les sciences et la biologie, ça me semble naturel de m’orienter vers des études de médecine. Et si jamais je n’y parviens pas, il y a beaucoup d’autres voies possibles dans la santé."
Les parents et les agents de la province sont très fiers de donner des ailes à leurs jeunes étudiantes. Photo Anthony TejeroDe son côté, Sorona Xolawawa, 17 ans, a elle aussi une idée bien précise déjà en tête : devenir dentiste. "Sur les îles, même à Lifou où je vis, il n’y a presque pas de spécialistes. Une fois, j’ai vu une grand-mère au dispensaire qui souffrait probablement d’une rage de dents et qui a attendu jusqu’au milieu de la nuit pour avoir une consultation. Cela a été ma première prise de conscience, raconte cette habitante de Qanono, "stressée mais hyper motivée et enthousiaste" : "Ce sera difficile mais je garde espoir et j’essaie de ne pas me décourager car qui ne tente rien n’a rien dans la vie. D’autant plus que cette aide, c’est une opportunité qui nous est offerte que beaucoup d’autres jeunes n’ont pas."
"En province des Îles, nous n’avons pas de médecins de chez nous"
Marie-Rose Waïa accompagnera les quatre futures étudiantes dans l’Hexagone où elle en profitera pour rencontrer les autres jeunes inscrits en médecine suivis par la province des Îles.Entretien avec Marie-Rose Waïa, directrice du service de l’action communautaire et sanitaire à la province des Îles.
Le lancement de ce dispositif, l’an passé, part de quel constat de la province des Îles ?
Il y a le constat de la pénurie médicale généralisée à l’échelle nationale, en Métropole, puis à l’échelle de la Nouvelle-Calédonie et encore plus de la province des Îles, où nous n’avons pas de médecins de chez nous. Quant aux médecins du pays, nous les comptons sur les doigts de la main.
Cela fait donc plus de 30 ans, depuis les accords de Matignon-Oudinot que nous devions vraiment investir dans ce domaine de la santé où nous n’avons pas la ressource. Mais force est de constater que nous ne sommes pas allés jusqu’au bout de cette démarche, c’est pourquoi nous mettons davantage l’accent sur ce point pour le faire aujourd’hui.
Quelles sont les pénuries les plus criantes sur les îles ?
Les pénuries ont été criantes jusqu’en 2020 où sur Maré, par exemple, au lieu d’avoir sept médecins, il n’y en avait plus un seul. J’ai dû faire venir à Nengone deux médecins de Lifou. Nous avons aussi eu une pénurie à Ouvéa où il faut normalement trois à quatre médecins.
Depuis fin 2021, grâce à une politique d’attractivité pour laquelle nous avons décidé de miser sur l’accueil et la communication, nous sommes bien dotés, avec 21 médecins sur les Loyauté, ce qui est plus que correct.
D’où viennent ces médecins ?
Ils sont essentiellement métropolitains. Sur les 21 médecins, un médecin est en CDI et les autres sont en contrat temporaire. La plupart de ceux qui restent sont ceux qui se déplacent avec leur famille, lorsqu’il faut scolariser les enfants, etc. C’est pourquoi nous avons développé sur les îles l’accueil de ce type de médecins afin qu’ils restent au moins une année scolaire entière.
Pour les autres, nous avons aujourd’hui une nouvelle génération de médecins qui ont passé toute leur vie à faire des études pendant douze à quinze ans et qui, à la sortie de leur formation, ont besoin de voir du monde, de voir du pays. C’est ce que nous appelons des médecins sac à dos qui s’engagent à rester trois à six mois, voire plus pour ceux qui s’y plaisent, notamment lorsqu’ils rencontrent des gens du pays avec lesquels parfois ils se marient. Mais la plupart d’entre eux ne restent qu’un temps avant de partir ensuite exercer à Tahiti, à Wallis-et-Futuna, dans les Caraïbes, etc.
Cette aide vise donc à " calédoniser " les effectifs de médecin afin de stabiliser les effectifs…
Exactement. À long terme, notre objectif c’est que des gens de chez nous puissent exercer dans le milieu médical afin de freiner ce turn-over et pérenniser l’offre de soins. C’est plus facile de capter dans la durée les gens de chez nous qui ont déjà les attaches coutumières et familiales. Nous comptons sur ça pour qu’ils s’ancrent sur notre territoire et exercent de manière pérenne.
Combien de jeunes sont actuellement engagés dans cette démarche ?
Nous avons lancé ce dispositif l’an dernier avec sept étudiants qui sont actuellement en première année de médecine. Nous attendons les résultats de leurs examens du premier semestre. Nous avons les quatre jeunes filles qui s’apprêtent à partir, à leur tour, en prépa à Dijon.
Mais la province des Îles a également le dispositif de bourses normales pour les étudiants qui suivent des études en médecine par d’autres biais, ce qui représente cinq autres étudiants. Au total, nous suivons donc seize jeunes des Loyauté dans leur cursus en médecine.
Quelles sont les contreparties demandées aux étudiants qui bénéficient de ce dispositif ?
Comme pour toute bourse, il y a des critères de réussite, de présence aux cours, etc. Toute bourse demande de l’assiduité. Cette prépa à Dijon leur permet d’avoir des cours intensifs, des remises à niveau afin de mettre toutes les chances de leur côté pour réussir.
Et s’ils sont diplômés, la contrepartie, c’est de pouvoir revenir en Nouvelle-Calédonie exercer en province des Îles pendant une période d’au moins trois ans. Après, la pénurie est tellement généralisée à tout le territoire que si la personne revient pour travailler au Médipôle ou à l’hôpital de Koné, la province des Îles ne s’y opposera pas, notamment pour certaines spécialités. Notre dispositif vise à bénéficier autant aux populations des Loyauté qu’à l’ensemble du pays.
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