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  • © 2020 AFP | Crée le 09.07.2020 à 15h23 | Mis à jour le 09.07.2020 à 15h25
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    Sur la place San Martino à Seborga (nord-ouest de l'Italie), village auto-proclamé "principauté", le 5 janvier 2020 MARCO BERTORELLO-AFP

    Selon la légende locale, les Templiers y auraient caché le Saint Graal. Un millénaire plus tard, le "royaume" autoproclamé de Seborga, coquet village surplombant la Riviera italienne, suscite toutes les convoitises, entre folklore médiéval, prétentions au "trône" et soupçons d'escroqueries.

    "C'est comme un conte de fées", dit à l'AFP, avant l'épidémie de coronavirus, Nina Menegatto, élue en novembre première "princesse" dans la longue histoire du village.

    Cette femme d'affaires allemande de 41 ans, yeux bleus et cheveux tirés en arrière - à la manière de Caroline de Monaco -, rend visite à ses sujets, bébé contre la poitrine, déambulant dans les ruelles pavées de ce hameau de montagne de 300 âmes.

    "Jamais je n'aurais pu imaginer devenir une princesse un jour", confie cette gestionnaire d'une société immobilière à Monaco, dont l'ex-mari Marcello fut neuf ans "prince" titulaire de Seborga.

    Marcello a abdiqué l'an passé et tout naturellement Nina s'est présentée à sa succession, élue par une poignée de Séborgiens face à une unique challenger.

    Pour les gens du pays ou les touristes de passage, sa clinquante couronne est exposée à l'office de tourisme, qui sert aussi de boutique à souvenirs kitsch et autres babioles royales.

    - Vente jamais prouvée -

    Et pourtant, on ne badine apparemment pas avec la monarchie à Seborga.

    Les "monarques" de ce territoire de quelques km2, accroché à la montagne en pleine Ligurie italienne près de Vintimille et de la frontière française, revendiquent le statut de micronation et font valoir des documents du XVIIIème siècle attestant selon eux que l'endroit n'a jamais été légalement intégré à l'Italie.

    Leur combat est aussi économique: stimuler le tourisme, attirer de nouveaux habitants et éviter le dépeuplement qui a vidé les centres historiques de nombreuses localités transalpines.

    La "princesse" Nina souhaite ainsi réintroduire une monnaie locale, le Luigino, construire un hôtel de luxe sur une colline voisine qui proposerait une vue sur quatre "pays": la France, Monaco, l'Italie et... la "Principauté de Seborga", ou encore un téléphérique pour relier le village à la côte.

    Seborga n'est pas la seule micronation non reconnue au monde: de la "Principauté de Hutt River" en Australie occidentale, à la "République du Saugeais" dans l'est de la France, plusieurs "pays souverains" autoproclamés frappent monnaie et font flotter au vent leurs propres couleurs.

    Mais les Séborgiens l'affirment: le statut spécial de leur "principauté" repose sur des faits et non sur du vent, et ils sont déterminés à ce que le gouvernement de Rome le reconnaisse.

    - Roi du mimosa -

    En 954, le village est devenu propriété de moines bénédictins et ses habitants racontent qu'en 1079, leur abbé a été fait prince du Saint-Empire romain. La puissante dynastie royale de Savoie l'a ensuite acheté en 1697 mais la transaction n'a jamais été officiellement enregistrée.

    Pour les Séborgiens, cette erreur a rendu la vente caduque et indiquerait même qu'elle n'a jamais eu lieu, alors que les historiens conviennent que l'acte original n'a jamais été retrouvé. Des années de négociations avec le duc de Savoie Victor-Amédée II, futur roi de Sardaigne, pour faire ratifier la vente n'ont jamais abouti.

    Pour les habitants, cela signifie donc que la "principauté" a été exclue de l'acte d'unification de l'Italie en 1861 et de la formation de la République italienne en 1946.

    Y a-t-il donc lieu de considérer ce pittoresque hameau de retraités, qui ne compte qu'une rue principale, comme un État indépendant ?

    Matthew Vester, professeur d'histoire à l'université américaine de Virginie occidentale, estime que non, en vertu de "documents montrant que des agents du roi de Sardaigne ont effectivement pris possession de Seborga en 1729, avec le consentement et le soutien des habitants locaux".

    Le gouvernement italien ignore ce qu'il considère comme des élucubrations. Contacté par l'AFP, le ministère des Affaires étrangères à Rome n'a pas répondu.

    La Cour européenne des droits de l'Homme de Strasbourg a déjà rejeté une requête des villageois. Mais Nina Menegatto reste déterminée à poursuivre son combat pour son "royaume" enchanté, avec une nouvelle équipe d'avocats.

    Pour Paolo Calcagno, professeur associé d'histoire à l'université de Gênes, l'idée repose en fait sur un mythe car les abbés qui dirigeaient Seborga "n'étaient pas des princes, le titre n'apparaissant jamais dans les documents médiévaux", explique-t-il à l'AFP.

    Ce qui n'empêcha pas un cultivateur de mimosa, Giorgio Carbone, de relancer dans les années 1960 l'idée de la "Principauté de Seborga".

    Et, devenu "prince", de rédiger une Constitution, créer un hymne, un blason royal et même une devise "Sub umbra sede" (Asseyez-vous à l'ombre), comme le raconte Gustavo Ottolenghi, retraité autochtone de 88 ans.

    Le "prince" Giorgio leva aussi une "armée", qui ne compte aujourd'hui qu'un seul homme, Secondo Messali, 64 ans, qui fut aussi "ministre" de l'Intérieur, des Finances et ancien "Premier ministre"...

    Dans le bar du village, des habitants expliquent que Nina Menegatto l'a emporté aux élections (par 122 voix contre 69), parce qu'elle avait un programme ambitieux visant à promouvoir le tourisme dans une région qui vit principalement de l'agriculture et de l'industrie florale.

    Sa rivale malheureuse est la fille de Giorgio Carbone. "Mon père a tout donné pour Seborga et j'aurais fait de même", regrette Laura Di Bisceglie, qui tient la boutique de souvenirs près d'un "ministère des Affaires étrangères" au fronton duquel claque au vent le drapeau à rayures bleues et blanches de Seborga.

    Mais nombreux aujourd'hui sont les déçus de Giorgio Carbone qui, après l'avoir rallié sur l'idée d'une principauté, lui reprochent son incapacité à "réparer une route ou un simple réverbère", estime M. Ottolenghi.

    - Saint Graal -

    Si en hiver, seules quelques poignées de randonneurs français viennent sillonner les ruelles tranquilles de la bourgade, la population monte en été à 2.000 personnes, lorsque les bus remplis de touristes viennent pour des excursions d'une journée.

    Ils sont généralement accueillis par l'unique soldat de la "principauté", béret bleu et uniforme impeccable, qui plastronne au garde-à-vous dans une guérite sur la place centrale.

    M. Messali dit se sentir "à la fois Italien et Séborgien". Comme tous les habitants du village, il paie ses impôts à Rome, vote aux élections italiennes. Mais il assure que Seborga est "sa terre d'adoption".

    En plus de son tour de garde quotidien, il veille jalousement sur les clés de la minuscule prison, une pièce en pierre au sol recouvert de paille qui n'a pas servi depuis des siècles.

    Persuadé de détenir le "grand secret" du Saint Graal, le village n'a pas hésité à en faire la publicité en décorant ses anciennes maisons de pierre avec des images de chevaliers du Temple ou d'orienter les touristes vers une petite place pittoresque où les pavés forment la croix de l'ordre.

    Même si la théorie selon laquelle le Graal y serait caché est un "mythe moderne", selon Elena Bellomo, experte des ordres templiers à l'université de Cardiff. Il n'y a même "aucune preuve de la présence des Templiers dans la région de Seborga au Moyen-Age", dit-elle.

    - LuiginoCoin -

    Pour ajouter à ce folklore limite ubuesque, voilà qu'un Français débarqué de nulle part revendique depuis 2016 la couronne, s'autoproclamant "prince de Seborga" avec le titre "d'Altesse Sérénissime" Nicolas Ier.

    Entouré de "conseillers" à costume sombre et lunettes noires, "S.A.S" Nicolas Mutte s'est installé dans une résidence du village. Il a monté son site internet sur son "Etat-nation", proclamant sa foi dans les "valeurs universelles et fondamentales" ou "la protection de l'environnement".

    Il y commercialise un "registre d'état civil à la e-résidence", de même qu'une monnaie numérique -le LuiginoCoin - permettant "une exploitation minière avec une très faible empreinte carbone".

    - Saint-Sépulcre, VOSS et VEOSPSS -

    M. Mutte est inculpé en France dans le cadre d'une enquête toujours en cours pour fraude et fabrication de faux passeports et de fausse monnaie, des accusations qu'il nie.

    Il explique à l'AFP avoir entamé des démarches visant à faire reconnaître son titre de "prince" à l'étranger, à commencer par le Brésil qui, affirme-t-il, lui aurait accordé une reconnaissance diplomatique. Contacté par l'AFP, le ministère brésilien des Affaires étrangères à Brasilia dément.

    L'homme et ses acolytes ont quitté les lieux en mars, peu avant le confinement imposé pour endiguer le coronavirus.

    "Personne ne peut empêcher quiconque" de se proclamer roi, duc ou princesse du coin, dit le retraité Gustavo Ottolenghi, auteur d'un livre sur l'histoire de Seborga.

    Car il y a d'autres prétendants au titre. Une femme se faisant appeler "Princesse" Yasmine von Hohenstaufen Anjou Plantagenet, aurait non seulement déclaré être la "souveraine" légitime en 2006 mais aurait aussi proposé de rendre la principauté à l'État italien.

    Il y a aussi le "Grand maître" d'un mystérieux "ordre souverain" de Seborga, "Venerabilis Ordo Sancti Sepulchri", de prétendus héritiers des "Templiers" - avec compte facebook - qui affirment "défendre le centre chrétien" de Seborga et jugent que leur grand maître devrait porter la couronne.

    Ou encore leurs rivaux du VEOSPSS (Venerabilis Equester Ordo Sacri Principatus Sancti Sepulchri) ou du VOSS (Venerabilis Ordo Sancti Sepulchri), actifs localement mais non reconnus par la "Principauté".

    Au milieu de ce bazar, un homme reste déterminé à faire prévaloir la légalité dans le village, le maire Enrico Ilariuzzi, qui assure être en contact permanent avec la police italienne: "Qui que ce soit, les faux princes ou les escrocs ne sont pas les bienvenus à Seborga."

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