Pour la deuxième fois en cinq ans, la Chambre territoriale des comptes (CTC) s’est penchée sur la situation financière et la gestion budgétaire de la province des Îles Loyauté pour les exercices de 2018 à 2022. Ses conclusions ont été rendues publiques, lundi 18 novembre. À la lecture du rapport, force est de constater que les recommandations formulées par la CTC en 2017 ont été peu suivies par l’exécutif provincial. Carences dans la gestion budgétaire, situation financière tendue, manque de fiabilité des comptes et contrôle défaillant… Les difficultés persistent. On fait le point sur les observations de la Chambre.

Un pilotage budgétaire "déficient" et des comptes peu fiables

La province des Îles dispose d’un budget de 15,7 milliards de francs et compte environ 830 agents. Dans son rapport publié lundi, la Chambre territoriale des comptes pointe, en premier lieu, des manquements dans les informations financières fournies par l’exécutif. La CTC constate en effet "des insuffisances en ce qui concerne la production des annexes budgétaires et l’information donnée aux membres de l’assemblée sur l’état des participations de la province au capital de sociétés et sur l’activité de celles-ci". Par ailleurs, elle pointe un pilotage budgétaire "déficient", notamment en raison de "réévaluation substantielle" du budget en cours d’année, démontrant "les manquements de la prévision initiale".

Enfin, face à un inventaire des dépenses incomplet, des dotations insondables et des risques mal provisionnés, la Chambre territoriale des comptes note les difficultés de la province à respecter les dispositions comptables. "D’importantes carences dans la fiabilité des comptes de la province, déjà relevées à l’occasion du précédent contrôle des comptes et de la gestion, subsistent."

Une situation financière "très tendue"

Si peu de collectivités calédoniennes affichent une bonne santé financière, la situation de la province des Îles est particulièrement inquiétante, fait remarquer la CTC. En 2022, le taux d’épargne brute n’était que de 3,5 %, "ce qui est particulièrement faible". Les recettes de fonctionnement, elles, sont restées "atones" entre 2018 et 2022, tandis que les charges de personnel et les dépenses de fonctionnement ont explosé.

Par ailleurs, la province a mené d’importants travaux d’infrastructures, alourdissant son endettement. En 2022, la dette de la collectivité s’élevait à treize années d’épargne brute, "bien au-delà du seuil prudentiel de sept années auquel se réfère la province". Le pari du Wadra Bay, nouvel hôtel cinq étoiles situé à Lifou, fait également peser un risque conséquent sur les finances de la province, estimé par la Chambre à un milliard de francs. La collectivité est engagée indirectement dans ce projet, porté par une filiale de la société d’économie mixte dont elle est l’actionnaire principal.

Des dépenses de personnel mal maîtrisées

La Chambre territoriale des comptes a consacré un chapitre important aux dépenses de personnel de la province des Îles, qui présente certaines anomalies. À commencer par l’évolution des postes non permanents, pour lesquels les dépenses ont augmenté de 273 % entre 2018 et 2022. Selon la CTC, la province profiterait d’un "cadre juridique très souple en Nouvelle-Calédonie" pour employer un grand nombre de personnes sur des postes de collaborateurs. Une accusation illustrée par un chiffre : en décembre 2022, 116 personnes étaient rémunérées en tant que collaborateurs de cabinet ou de groupes d’élus, soit 13 % des effectifs de la province. "Dans l’hexagone, le cabinet du président d’un conseil départemental de moins de 100 000 habitants ne peut compter plus de trois collaborateurs", compare la Chambre des comptes.

Un manque de respect des règles de commande publique

Afin de contrôler les pratiques de la province des Îles relatives à la commande publique, la CTC s’est concentrée sur un échantillon de marchés publics constitué de la reconstruction du pont de Lékine (Mouli), à Ouvéa, et de la fourniture de véhicules de fonction et de service. Si les règles de publicité semblent respectées, la Chambre constate toutefois "des critères de jugement des offres qui présente d’importantes lacunes". Elle observe également que le chantier du pont de Lékine a donné lieu à un dépassement d’un an du délai d’exécution et un surcoût d’un milliard de francs par rapport à l’estimation initiale.

Concernant les marchés à moins de vingt millions de francs, la chambre remarque que la province se soustrait régulièrement aux règles encadrant les marchés publics. "Il appartient à la province, même en dessous du seuil de 20 millions de francs, de mettre en œuvre des règles de publicité et de mise en concurrence adaptées, ce qui n’est pas le cas actuellement."

Compte tenu de l’ensemble de ces observations, et afin de "remédier aux dysfonctionnements ou irrégularités qu’elle a identifiées", la Chambre territoriale des comptes formule six recommandations et douze rappels du droit dans son rapport.