Comment se sont déroulés les faits hier soir ?

Ils sont d’abord restés toute la journée autour du rond-point mais cela restait très pacifique. Et à 17 heures, cela a commencé à s’amplifier, comme si cela coïncidait avec la sortie d’école, car plein de petits jeunes sont venus et ont commencé à s’exciter.

À 18 heures, ils ont commencé à prendre les poubelles à côté du magasin pour les tirer sur la route et les cramer. C’est à ce moment-là qu’on a décidé de fermer les rideaux vers 18h30. On est partis derrière le magasin pour continuer la fermeture et là on a commencé à entendre des jets de cailloux sur le toit. Puis des cris de rassemblement et ils ont couru vers le volet roulant. Ils s’y sont mis à vingt pour le casser et ils sont rentrés 30 secondes le temps de voler l’alcool et les cigarettes. C’est tout ce qui les intéressait.

Où étiez-vous à ce moment-là ?

On était à l’abri, derrière le portail et un des vigiles a même réussi à rentrer dans le tas mais sans pouvoir les attraper.

Dans quel état d’esprit étiez-vous ?

Jusqu’à ce qu’ils balancent les cailloux, on était vraiment très sereins parce que cela faisait plusieurs jours qu’ils étaient sur le rond-point et il n’y a jamais eu d’altercations avec nous. Mais hier soir, ça a débordé sûrement à cause de la manipulation de certains jeunes qui voulaient trouver de l’alcool et des cigarettes. Ils étaient très jeunes. La grande majorité était des mineurs. D’ailleurs des gens du quartier en ont retrouvé vers 3 heures du matin derrière la montagne en train de boire l’alcool volé.

J’ai connu 1984 mais là, c’est vraiment violent.

Jusqu’à ce braquage, on était sereins. Mais ensuite, comme je ne pouvais pas réparer le volet roulant dans la nuit, il a fallu que je reste sur place pour veiller et lancer les alertes à la police qui était déjà débordée. Hier soir, ce n’est qu’avec l’envoi des CRS que la situation a pu se calmer, vers 22 heures. Ils ont fait du très bon travail.

Comment avez-vous vécu la nuit dernière ?

Je n’ai pas dormi et au moindre bruit, on observait, on allait voir. En fonction de l’état d’excitation qu’il va y avoir ce soir, on va essayer d’être sereins. Il faut surtout rester calmes et essayer de ne pas paniquer.

Avez-vous connu les Évènements ?

J’ai connu 1984 mais là, c’est vraiment violent. La différence, selon moi, par rapport à 1984, c’est qu’on a l’impression qu’il y a vraiment des minorités qui essayent de profiter de cette situation politique pour casser. Un peu comme pendant les gilets jaunes à Paris. On a l’impression que ces gens-là n’adhèrent pas à la cause. Ils ne savent pas pourquoi ils sont là si ce n’est pour s’amuser et ils braquent les magasins. J’ai été l’un des premiers et puis dans la nuit, au fur et à mesure, j’ai bien entendu que ça continuait, et ce fut le tour des entreprises incendiées.

Ce matin, la police scientifique est sur place dans votre magasin…

Elle fait le tour des magasins et des prélèvements car il y a du sang à cause de bris de verre. La police fait un travail d’investigation elle vient de me dire qu’il y a des personnes en garde à vue donc je vais aller voir si elles correspondent aux faits qui sont arrivés dans mon établissement.

Comment vous sentez-vous ce matin ?

Très très tendu et vraiment sous le choc. C’est tellement aléatoire ce qu’il se passe, certains commerces sont cassés, d’autres brûlés. C’est ce à quoi on pense en tant que chef d’entreprise. Là, on est sous tension. Et ce soir, je crains le pire parce que quand la nuit tombe, c’est là que les exactions s’amplifient.

Pensez-vous rouvrir dans la journée ?

Non. Autour de nous, aucun établissement commercial n’est ouvert. Les employés ne peuvent pas venir et on ne prendra pas le risque car hier soir, ce qui nous a sauvés, c’est qu’on était déjà fermés. Sinon, ils auraient tout saccagé et les dégâts auraient été bien plus graves.

Pour les jours à venir, comment envisagez-vous la suite ?

Cela dépendra de l’évolution de la situation. On ne fait que s’adapter et réagir par rapport à l’évolution de cette situation. Le tout, c’est de bien réagir. Mais si dans les jours qui viennent cela s’amplifie, je vous avoue que j’ai vraiment très très peur.

Que pensez-vous de la décision d’instaurer un couvre-feu ?

Je le demande depuis plus d’une semaine. C’est le seul moyen. Pendant les Événements de 1984, il n’y a que le couvre-feu qui nous a sauvés. Cela permet aux forces de l’ordre de pouvoir se concentrer sur les points les plus chauds. S’il y a un couvre-feu, toute personne encore dehors est suspecte et peut être embarquée. Et on peut mieux maîtriser la situation. Le couvre-feu, c’était inévitable. Je ne comprends pas pourquoi on l’a déclenché si tard.