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    Nouvelle Calédonie
  • Baptiste Gouret | Crée le 03.10.2024 à 16h00 | Mis à jour le 03.10.2024 à 17h31
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    Le premier chantier de démolition post-émeutes a concerné l’immeuble Tagaï, à Dumbéa-sur-Mer, incendié aux premiers jours de la crise. Photo Sciage Béton
    Les premiers chantiers de démolition des bâtiments incendiés ou saccagés pendant les émeutes ont commencé mi-juillet dans l’agglomération. Face à une situation inédite, tant par la quantité que par la nature de la déconstruction, les opérateurs tentent de s’adapter à une demande qui tarde toutefois à arriver.

    On aurait raisonnablement pu penser, près de cinq mois après le déclenchement des émeutes, qu’il serait devenu difficile de déceler la trace des premières nuits de chaos dont a été victime le Grand Nouméa, mi-mai. Pourtant, force est de constater que les stigmates des incendies sont encore visibles partout dans l’agglomération. Les bâtiments incendiés ou saccagés dès les premières nuits de violences font désormais partie d’un décor figé auquel les Calédoniens se sont habitués. Ce n’est que mi-juillet qu’un premier chantier de démolition a démarré, avec la mise à terre de l’immeuble Tagaï, à Dumbéa-sur-Mer.

    Le bâtiment, qui abritait notamment une salle de sport et un fast-food, a été détruit en deux mois. Aux manettes, Sciage Béton, une entreprise spécialisée dans la découpe du béton et le démantèlement contrôlé de bâtiments. "Le propriétaire de l’immeuble nous a contactés dès qu’il a touché les premières indemnisations de l’assurance", explique Joël Langouet, à la tête de la société fondée en 2002. Le risque que représentait ce bâtiment ravagé, situé au centre d’une zone densément peuplée, a accéléré le démarrage du chantier. "L’expert a jugé que c’était trop dangereux de laisser traîner."

    Entre 400 et 500 bâtiments à détruire

    Après la mise en sécurité du site, la pose de signalétique et la "mise à nu" du bâtiment (retrait des cloisons, du plafond, du mobilier…), les ouvriers ont attaqué la déconstruction de l’immeuble "en partant du toit", relate Joël Langouet, pour faire progressivement tomber le bâtiment de quatre étages. À EMC, entreprise spécialisée dans le traitement des déchets ferreux également engagée dans la déconstruction, le premier chantier de démolition remonte à "fin août, à Normandie", expose Hiro Mattaliano, le gérant.

    Depuis, pour les deux opérateurs spécialisés, le carnet de commandes tarde à se remplir. "On fait beaucoup de devis, mais rien ne démarre", remarque Hiro Mattaliano. La faute à des délais de traitement conséquents du côté des experts et des assurances, qui retardent le versement des indemnisations et la capacité des propriétaires des bâtiments à financer la démolition. Résultat : "sur les 500 entreprises sinistrées, il y a 10-20 dossiers qui sont sortis", estime le gérant d’EMC. Les entreprises se préparent toutefois à l’accélération prochaine des commandes.


    Les pinces hydrauliques, qui permettent de découper facilement le béton, sont les engins les plus utilisés dans les chantiers de déconstruction. Photo Sciage Béton

    Alors que le marché représente "quatre-cinq entreprises", comment absorber une telle demande à venir ? "On a tous la capacité de monter rapidement en puissance, pense Hiro Mattaliano. Ceux qui prendront plus de marchés vont se développer, investir et embaucher." A l’image de Joël Langouet, qui a déjà engagé sept ouvriers supplémentaires et investi dans une nouvelle pelle hydraulique.

    Mais les spécialistes "historiques" de la déconstruction sur le territoire ont été rejoints, ces derniers mois, par de nouveaux acteurs. Des entreprises, souvent issues du BTP et victimes d’une commande publique en berne, attirées par les juteux contrats d’un marché en plein essor. "On s’en doutait un peu", souligne le patron de Sciage Béton, bien conscient qu’il ne pourra de toute façon pas "démolir 400 bâtiments à moi tout seul". Ce qui ne l’empêche pas de déplorer une concurrence déloyale à certains égards. "Il y a un cadre juridique et des règles de sécurité à respecter. Nous, on est équipés, on forme nos gars chaque année. Alors, quand on voit certains qui construisaient des villas individuelles prendre leurs pelles et proposer leurs services de démolition, on est un peu surpris."

    Un constat partagé par Hiro Mattaliano : "On comprend que certaines entreprises cherchent des relais économiques en ces temps de crise, et ce n'est de toute façon pas un marché réservé, mais pour assurer une concurrence saine il faut que tout le monde respecte les mêmes règles. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas", regrette le gérant d’EMC.

    L’importance du traitement des déchets

    Ce décalage des pratiques entre des sociétés qui maîtrisent la procédure et de nouveaux opérateurs moins scrupuleux se remarque particulièrement sur le traitement des déchets, un enjeu crucial de la déconstruction. Alors que des règles strictes ont été établies par les autorités afin d’éviter notamment les dépôts sauvages, cette nouvelle contrainte est encore trop souvent ignorée, juge une partie des acteurs. "Des déchets ont disparu dans la nature, c’est certain", confirme Gaël Pierre, co-gérant de la Calédonienne des services publics, en charge du traitement des déchets dans l’agglomération.

    Dès mi-juillet, la CSP s’est organisée pour créer une zone de stockage dédiée aux déchets non-dangereux issus de la démolition sur le site de l’ISD de Gadji. Une "procédure d’acceptation des déchets" a été instaurée, explique Marc Le Roux, responsable des exploitations. Les démolisseurs doivent désormais contacter la CSP, qui se rend sur le site concerné afin de recenser les déchets qu’ils doivent acheminer jusqu’à Gadji. Pour l’instant, seules 850 tonnes de déchets non-dangereux ont été déposées au casier de l'ISD, représentant environ "65 chantiers", dévoile Marc Le Roux.


    Avant d’entamer la démolition du bâtiment, les ouvriers procèdent au déblaiement. Les déchets sont triés entre ceux jugés dangereux et exportés et ceux non-dangereux traités localement. Photo Sciage Béton

    Le 12 septembre, la province Sud a adopté une délibération pour s’assurer que les propriétaires de bâtiments voués à la destruction gèrent correctement leurs déchets. Le texte punit d’une amende de 8,9 millions de francs l’abandon des déchets, le refus de fournir les informations exactes les concernant et l’obstruction d’éventuels contrôles des agents habilités. Il définit également une "zone de transit, tri ou regroupement de déchets dédiée spécifiquement à cet effet", située à Koutio-Kouéta, pour recevoir notamment les gravats que la CSP n’accepte pas. "Ce sont des déchets inertes, style béton et carrelage, de moins de 50 cm et dont la ferraille a été retirée", détaille Georges Devillers, gérant de la SARL Dzumac, en charge du site de Koutio-Kouéta dans le cadre d’un contrat de délégation de service public passé avec la province Sud. "Pour l’instant, on n’a rien reçu en provenance de chantiers de déconstruction", indique-t-il.

    De quoi laisser supposer que les traces des émeutes feront partie, pour de longs mois encore, du paysage calédonien.

    La saison cyclonique et les bâtiments saccagés, un dangereux cocktail

    Au rythme auquel progresse actuellement la déconstruction dans le Grand Nouméa, on imagine mal comment les centaines de bâtiments incendiés durant les émeutes pourraient avoir été mis à terre avant l’arrivée de la saison cyclonique, en fin d’année ou au début de l’année prochaine. "Il va falloir que les experts et les assurances s’activent, parce que si on prend une dépression dans les prochains mois, ça va être dangereux", remarque Joël Langouet, directeur de Sciage Béton. Les débris générés par les incendies et les saccages pourraient être emportés par les vents et faire courir un risque important aux habitants à proximité. "Avec des vents à 200 km/h, on va avoir des tôles qui volent dans tous les sens", alerte également Hiro Mattaliano, gérant d’EMC.

    En attendant le compte rendu des experts, certains propriétaires de bâtiments anticipent déjà en sécurisant les sites sinistrés, bien souvent sur demande des assurances. "En général, elles veulent que le propriétaire procède en priorité au déblaiement, au curage et à la sécurisation." Ce qui explique l’apparition récente de barricades autour d’un certain nombre de bâtiments sinistrés. Pas sûr toutefois que cela suffise à empêcher l’envol de débris. "Il faudrait peut-être revoir les seuils d’alerte cyclonique, pour que les gens se mettent à l’abri même pour des phénomènes modestes", propose Hiro Mattaliano. À sa connaissance, aucune réflexion sur le sujet n’a encore été entamée par les autorités.

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