- Propos recueillis par Anthony Tejero | Crée le 30.05.2024 à 04h45 | Mis à jour le 30.05.2024 à 04h45ImprimerDavid Guyenne, président de la CCI, est venu constater par lui-même l’ampleur des dégâts au Super U de Kaméré. Photo Anthony TejeroLe président de la Chambre de commerce et d'industrie est, comme bon nombre d’entrepreneurs, frappé de plein fouet par les destructions engendrées par ces émeutes qui ont généré des dégâts colossaux qui pourraient atteindre 170 milliards de francs. Des chiffres vertigineux qui peuvent encore évoluer. Du côté de l’emploi, le constat est également très alarmant. Rien que dans les entreprises totalement détruites, près de 3 500 Calédoniens devraient perdre leur travail. Interview.
Pourquoi vous déplacez-vous à Kaméré ce mercredi matin ?
Je suis venu voir un de mes collaborateurs qui habite le quartier et qui tenait, avec moi, la boulangerie du Super U qui a brûlé dès le lundi soir (le 13 mai). Je suis donc venu lui expliquer la suite, c’est-à-dire qu’il y aura une rupture de contrat en raison de l’impossibilité de reprendre l’activité. Pour autant, j’essaie de trouver des solutions pour lui car on avait préparé un plan sur plusieurs années afin qu’il reprenne à son compte ce commerce et qu’il se lance dans l’entrepreneuriat. C’est notre chemin commun et son rêve d’entrepreneur qui se brise.
Je voulais également voir le Super U car je l’ai lancé en 2002. C’était ma première affaire quand je suis revenu de mes études et de ma petite carrière en Métropole. J’ai beaucoup d’attaches dans ce quartier parce que je les connais tous. J’ai vécu avec eux pendant dix ans. J’étais à la fois à la caisse, dans les rayons. Ça me fait assez bizarre de voir qu’il sera détruit.
Quelle est l’ampleur des dégâts dans ce centre commercial ?
Il n’y a rien à récupérer. Il y a eu trop de feu, trop de chaleur, trop de fumée. Ce n’est pas que de la destruction physique. Toutes ces substances rendent la solidité de la structure trop aléatoire et risquée.
Ce super U n’est qu’un exemple parmi tant d’autres entreprises incendiées par les émeutiers. Que sait-on aujourd’hui de l’ampleur de ces destructions ?
On avait annoncé 120 milliards de francs de dégâts, mais c’est probablement le minimum. Le coût de la reconstruction est évalué plutôt entre 120 et 170 milliards de francs aujourd’hui. Et en venant dans Kaméré, on s’aperçoit, au-delà des chiffres, que c’est une vie de quartier qui est détruite. Il y avait une pharmacie, un centre médical, une boulangerie, un tabac, un supermarché etc. Désormais où est-ce que les habitants iront faire leurs courses ? Il reste encore un petit magasin, mais ça fait moins de choix et c’est un bon kilomètre de plus pour ces riverains qui sont souvent à pied. Il y a tout un tissu économique mais aussi social à reconstruire au sein de ces quartiers.
Lors son déplacement, Emmanuel Macron a annoncé une aide d’urgence exceptionnelle pour l’économie et la reconstruction. Comment accueillez-vous ce discours ?
Je vois qu’il y a énormément de travail mené par des experts et des financiers de Bercy qui sont actuellement là et qui travaillent tous les jours avec les institutions et les acteurs économiques pour trouver des solutions. Ce sera à eux de trancher et de faire des annonces. Tout ce que je peux dire, c’est qu’on essaie vraiment de faire en sorte qu’il n’y ait pas de trou dans la raquette, non seulement pour la partie entreprises, qui elle sera couverte par les assurances, mais aussi pour la partie infrastructures et organisation de la Nouvelle-Calédonie. On sait que le nombre de personnes à soutenir sera considérable et bien au-delà de la capacité de la Nouvelle-Calédonie, qu’il s’agisse de la Cafat, de la sécurité sociale, de la santé, etc. La Nouvelle-Calédonie est autant ruinée que ses commerces.
Combien d’emplois pourraient être perdus ?
Rien que pour les entreprises totalement détruites, qui ne pourront pas recommencer même à moyen terme, on est déjà à 3 500 pertes d’emplois, ce qui est énorme. Et quand on prend les effets de bord, on est sur un chiffre bien plus important. La présidence de la Cafat évalue entre 10 000 et 20 000 potentiellement cette destruction d’emplois. C’est du jamais vu en Nouvelle-Calédonie. Même lors des Événements, la magnitude de la destruction et de la reconstruction n’a pas été de cette ampleur.
Le Super U de Kaméré devra être rasé, avant d’être potentiellement reconstruit. Photo Anthony TejeroSachant que la Nouvelle-Calédonie était déjà plongée dans une profonde crise du nickel…
C’est dans ce contexte que suivant les scénarios (fermeture d’usines, etc.), on pourrait monter jusqu’à 20 000 pertes d’emplois.
Qu’est-ce qui pourrait permettre de reconstruire à court terme et limiter des départs massifs du pays ?
Le message doit être très clair. Le seul moyen de s’en sortir, c’est déjà de retrouver de la confiance, c’est-à-dire qu’on sorte tous par le haut de cette crise. Cela implique déjà d’arrêter ces exactions, ensuite de retrouver un espace pour reconstruire et surtout de changer. Aujourd’hui, on voit qu’il y a une profonde fracture. Quand on entend parler de résistance, oui il faut résister, mais il ne faut pas résister indépendantistes contre loyalistes. Il ne faut pas résister sur des lignes de front politique. Il faut résister sur la question de la reconstruction de la Nouvelle-Calédonie. Le débat n’est même plus politique. C’est un challenge économique qui s’ouvre. Il faut gagner cette guerre de reconstruction économique et de reconstruction de la société. Pour moi, c’est ça la vraie résistance : comment parvient-on à ne pas céder à cette force des extrêmes qui essaient de nous perdre ? Le vrai combat aujourd’hui, c’est celui-ci.
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