- Baptiste Gouret | Crée le 10.04.2025 à 05h00 | Mis à jour le 10.04.2025 à 05h00ImprimerLe ministre des Outre-mer, Manuel Valls, a voulu "rencontrer les Calédoniens" lors de son dernier séjour sur le Caillou, comme ici lors d’une visite au marché de Moselle. Photo Archives LNC / Baptiste GouretLe ministre des Outre-mer a demandé aux responsables politiques de tenir secret le contenu du projet d’accord qui leur a été présenté le 30 mars. Une consigne qui se heurte au principe de transparence sur lequel Manuel Valls avait pourtant fondé sa méthode, promettant d’intégrer davantage les acteurs de la société civile. Toujours écartés des discussions, ces derniers s'inquiètent de l'absence de participation citoyenne dans l’élaboration d’un compromis.
Après un nouveau cycle de négociations politiques, le pays semble plus proche que jamais d’un compromis politique. Dans ce contexte, une partie des Calédoniens espéraient pouvoir prendre part au débat public et découvrir le "projet d’accord" soumis par Manuel Valls à l’ensemble des délégations politiques, le 30 mars. Des espoirs rapidement douchés par le ministre des Outre-mer. "Il restera entre les mains des partenaires", a-t-il affirmé à la presse le 1er avril.
Pas question de risquer un échec des négociations en dévoilant trop tôt le contenu d’un document sur lequel tout reste à faire. "Ce projet n’est absolument pas finalisé" et "ne fait l’accord d’aucune des parties prenantes", soulignait, au quatrième jour des discussions, Virginie Ruffenach, présidente du groupe Rassemblement au Congrès. Les Calédoniens ont dû se contenter d’une "déclaration commune" du ministre et des délégations, annonçant un nouveau cycle de négociations à compter du 29 avril avec l’objectif de parvenir à un accord global au terme de cette nouvelle séquence.
La transparence, un "pilier" des négociations
Cette confidentialité, justifiée par le besoin de préserver la sérénité des débats en huis clos, se heurte néanmoins aux propos du ministre sur la nouvelle méthode employée par l’État. Celle-ci se fonde en effet sur "trois piliers : le dialogue, la responsabilité et la transparence", avait dit Manuel Valls, en ouverture de la séance plénière au haut-commissariat, le 29 mars. Un dernier principe difficilement compatible avec le secret entretenu autour du contenu des négociations.
D’autre part, la discrétion en vigueur s’oppose à la volonté, exprimée par le ministre, d’intégrer davantage la société calédonienne au débat public. Manuel Valls en a même fait une condition à la réussite d’un éventuel compromis. "Si l’accord politique n’est pas accompagné d’un véritable projet de société, ça ne fonctionnera pas. Et ce projet de société, c’est à vous de le construire", avait-il déclaré, devant une centaine de responsables d’associations, d’étudiants et d’enseignants réunis à l’université, le 30 mars.
À l’UNC, Manuel Valls avait promis aux acteurs de la société civile une plus grande intégration dans le débat politique. Photo Archives LNC / Baptiste GouretMais dans les faits, "la société civile n’est pas du tout intégrée" aux discussions, regrette Jérôme Bétrancourt, président de Nos vies, nos avis, une association qui milite pour davantage de coopération citoyenne dans la gouvernance du pays. Pourtant, les outils ne manquent pas : convention citoyenne, ateliers participatifs, référendum d’initiative citoyenne… "Techniquement, on a tout à disposition pour appeler la population à participer à l’élaboration de l’accord", poursuit Jérôme Bétrancourt. Seul obstacle, selon lui : l’absence de volonté des responsables politiques calédoniens, inquiets de céder un peu de leur visibilité. Or, en suscitant l’adhésion et en créant la mobilisation, "ces dispositifs permettent d’obtenir de bons résultats, pour les élus eux-mêmes". Encore faut-il "se débarrasser de certains préjugés".
Des élus "hors mandat"
"Je comprends, vu le contexte et les émotions suscitées par ces discussions, qu’ils préfèrent d’abord faire le travail entre eux, nuance, sous couvert d’anonymat, un responsable d’association. C’est une sécurité, le diffuser trop tôt à l’opinion publique représente un risque d’embrasement." Porte-parole du Collectif pays pour le dialogue, fondé au lendemain des émeutes pour donner la parole à des Calédoniens traumatisés, Gérald Cortot est plus dubitatif. "Personnellement, je ne suis pas sûr que cette confidentialité soit une bonne chose." Les membres du collectif ont été reçus par la cheffe de cabinet de Manuel Valls, il y a deux semaines. "On lui a dit que le danger, c’était d’échanger uniquement avec une classe politique intégralement pointée du doigt par les Calédoniens, et qui sera peut-être très différente après les prochaines élections", estime Gérald Cortot.
En dehors des parlementaires, les responsables politiques calédoniens sont en effet confrontés à un manque de légitimité provoqué par l’extension de leur mandat, qui aurait dû prendre fin avec les élections provinciales de 2024, finalement reportées à décembre 2025. "On nous parle de légitimité démocratique, mais on a quand même des élus qui négocient hors mandat depuis plus d’un an", estime le responsable d’association interrogé.
Consultation des Calédoniens
Conscient que l’opacité autour du projet d’accord pourrait irriter des Calédoniens très préoccupés par l’impasse politique actuelle, Manuel Valls a garanti qu’un éventuel compromis politique entre indépendantistes et non-indépendantistes sera obligatoirement soumis à l’approbation de la population. "C’est une attente de tous et je vous confirme que s’il y a un accord, il devra, d’une manière ou d’une autre, être conforté", a assuré la ministre. "Les Calédoniens seront les seuls décideurs, a confirmé Sonia Backès, cheffe de file des Loyalistes. Il ne faut pas considérer qu’il se passera quoi que ce soit dans leur dos."
Reste à voir si cette seule consultation suffira à satisfaire le besoin exprimé par un certain nombre de citoyens d’être intégrés au processus. "Si on finit par nous dire : 'voilà notre accord, dites-nous si c’est oui ou non', ça n’a aucun intérêt, et ça montrera qu’on n’a rien appris de nos erreurs", estime un responsable d’association. "Ce ne serait pas du tout satisfaisant, abonde Jérôme Bétrancourt. S’il n’est construit que par les responsables politiques, il y a le risque qu’il soit rejeté ou, au mieux, qu’il soit accepté seulement par une partie de la population." Un résultat qui mettrait à nouveau en évidence les fractures de la société calédonienne. Au risque de mettre à mal la redéfinition d'un destin commun.
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