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    Nouvelle Calédonie
  • LNC | Crée le 12.01.2025 à 08h20 | Mis à jour le 12.01.2025 à 08h20
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    Maria-Margharita Gastaldi, née Barale, épouse de Christophoro. Pendant trois générations, les Gastaldi sont restés Italiens. Photo DR
    C’est l’histoire intemporelle d’un homme qui fuit son pays pour échapper à la pauvreté, d’un père qui abandonne les siens dans le seul espoir de les retrouver heureux. Loin des champs italiens, Christophoro Gastaldi a finalement réussi à donner à sa famille un toit, une terre et une vie décente, mais pas de la façon qu’il imaginait. Il ne fait que quelques pas en France avant d’être rattrapé par un vol qui lui vaut les travaux forcés. Sur la concession de Bourail, puis à Hienghène et à Koumac, les descendants Gastaldi écriront l’histoire rêvée par Christophoro. Dans ce trente-quatrième épisode de notre saga consacrée aux familles issues du bagne, Josette Mouraud raconte l’aventure que les Gastaldi n’ont plus aucune raison de cacher.

    "On a refait le chemin coutumier. C’est une expression que j’aime beaucoup, et c’est la description la plus éloquente de ce voyage que nous avons entrepris en 1995, mon mari Robert et moi-même. Nous sommes allés en Italie, à Peveragno, le village de Christophoro, et nous avons suivi ses pas jusqu’en France. Nous n’avons pas fait le chemin à pied de bout en bout, mais l’intention était là ! Nous avons traversé les villages qu’il a traversés. Nous avons vu les paysages du Piémont qui ont défilé devant ses yeux. Nous avons dormi au col de Tende, comme il l’a fait en 1866. Christophoro est alors âgé de 31 ans. Sa fiche anthropométrique m’aide à dresser son portrait malgré l’absence d’image : 1,55 m, le teint basané de l’agriculteur journalier, les cheveux châtains et les yeux bleus. De nombreuses cicatrices sur le corps attestent de sa vie difficile. Son deuxième fils vient tout juste de naître, et c’est le cœur lourd qu’il laisse sa famille pour se lancer dans la traversée des Alpes. Avec l’argent de son dur labeur en France, il espère tirer de la pauvreté sa femme, Maria-Margharita, et leurs enfants, Bartholomeo et Sebastiano, et un jour les faire venir à ses côtés. Ce rêve est anéanti avant même le bout du chemin, en forêt du Luc, non loin de Draguignan, le 30 avril 1866.

    Le vol qui lui brisa les ailes

    " De ce jour funeste, voici ce que dit le jugement de la cour d’assises, prononcé le 30 juillet suivant : Christophoro est reconnu coupable d’avoir "soustrait frauduleusement une somme d’argent, une montre et un manteau au préjudice du Sieur Fournier, d’avoir commis le vol pendant la nuit, sur un chemin public, à l’aide de violences et en réunion de plusieurs personnes". La sentence s’élève à huit ans de travaux forcés.


    De gauche à droite : Eric Mouraud, sa mère Josette, et ses cousins Ronald et Serge Gastaldi. Photo DR

    Mon arrière-grand-père place ses derniers espoirs en un pourvoi en cassation, qui sera rejeté. On l’emmène au bagne de Toulon, sous le matricule 18299. Détaché de la chaîne, il est embarqué le 12 février 1867 à bord de la frégate Iphigénie. En route pour cinq mois et demi de mer, direction le bagne de Nouvelle-Calédonie. A son arrivée, le transporté est désormais affublé du matricule 638. Bagnard sans histoire, il se bâtit une réputation d’honnête travailleur, apprécié du personnel de surveillance. Il bénéficie d’une remise de peine de dix-huit mois, accordée le 12 août 1870. Il est ensuite mis en concession sur le lot 64 de la gendarmerie, qui est devenue plus tard la Taraudière.

    Les conditions sont désormais réunies pour que l’administration coloniale autorise Maria-Margharita et les enfants à le rejoindre. Le 16 mai 1872, ils débarquent de la frégate le Rhin, et le 27 février suivant, Christophoro est libéré. C’est ainsi que débute la seconde vie du foyer, bien loin de l’Italie natale. Elle ne sera malheureusement pas bien longue. Pour une raison qui m’est encore inconnue, Christophoro décède à Bourail après seulement sept années de sa liberté nouvelle, en 1879, à l’âge de 44 ans. Entre-temps, la famille s’est agrandie : Bartholomeo et Sebastiano ont été rejoints par André, Marie-Catherine et Marie-Magdeleine.

    Les fils prennent la relève

    " Maria-Margharita doit nourrir cinq enfants, elle est seule et parle très mal le français. Elle se remarie rapidement avec Louis Blampain, avec qui elle aura une fille, Emilie, décédée à 2 ans. Par la force des choses, mon grand-père Bartholomeo et son frère Sebastiano, âgés de 13 et 15 ans, deviennent les chefs de famille. Grâce à leur travail acharné sur la concession agricole, devenue définitive en 1876, ils établiront durablement les Gastaldi du côté de Bourail. Toute la fratrie s’y est mariée. C’est la raison pour laquelle on retrouve aujourd’hui dans notre ascendance un grand nombre de noms bien connus en Calédonie.


    A gauche : Bartholomeo, fils de Christophoro et de Maria-Margharita. A droite : Sebastiano, le deuxième fils de Christophoro, eut quatre enfants avec Berthe Robelin, puis deux autres avec Justine Champion, qu’il épousa en secondes noces. Photo DR

    La cadette, Marie-Magdeleine, épouse Pierre Duluc. Marie-Catherine s’unit avec Pierre Goyetche et lui donne pas moins de quatorze enfants. André, dont l’assassinat en 1924 devant la propriété familiale restera dans les mémoires comme "le crime de Bourail", prend pour épouse Louise Campot. Bartholomeo, devenu Barthélémy puis Emile, se marie avec Catherine Cogulet, avec qui il aura douze enfants. Sebastiano francise également son nom en Sébastien et partage la vie de Berthe Robelin, puis celle de Justine Champion.

    Deux frères à la conquête du Nord

    Les aînés ne se quitteront jamais. Ensemble, autour de 1900, ils partent de Bourail pour le Grand Nord, qu’ils

    "colonisent" avec leurs nombreux enfants. Sébastien s’oriente vers le commerce, il exploite différents magasins à Hienghène. Bartholomeo installe sa famille à Nehoué, à Koumac, et devient propriétaire de Koulnoué, à Hienghène, où son premier troupeau arrive en 1907.

    Il sera éleveur-boucher. Il achète ensuite 116,80 hectares à la société John Birch et Cie, en 1913 à Nehoué, au prix de 1600 francs de l’époque. Pour gérer de front ces deux stations d’élevage, le travail est partagé entre les douze enfants. Les affaires marchent bien, et la vie est paisible jusqu’en 1917, quand la révolte kanak éclate.


    La grande famille des inséparables Bartholomeo et Sebastiano, 2e et 4e à gauche, au dernier rang. Leurs épouses respectives, Catherine Cogulet (à gauche) et Berthe Robelin, sont assises devant eux. Photo DR

    Catherine, l’épouse de Bartholomeo, est seule à Koulnoué avec les plus jeunes enfants à ce moment-là. Ils doivent s’enfuir en bateau pour se réfugier à la gendarmerie de Hienghène. Après une longue attente dans l’angoisse, parents et enfants embarquent sur le Tour de côte, qui les déposera à Tiébaghi.

    À la suite de cet épisode douloureux, la famille ne quittera guère plus Koumac. Pendant quatre-vingts longues années, ma tante Berthe regrettera en silence son paradis perdu de Hienghène. Ce n’est que dans les dernières années de sa vie que mon mari trouvera les mots magiques pour faire jaillir ce vœu, et l’exaucer aussitôt. Berthe qui revoit enfin Hienghène, un instant de bonheur à nul autre pareil. "


    Les 100 ans de Berthe, en 2002, fêtés à Koumac en compagnie de plusieurs dizaines de descendants de Christophoro. Photo DR

    Berthe, le trait d’union de la famille


    " C’était une figure bien connue du Nord, la "vieille avec sa 2 CV" ! Née en 1902 à Koumac, ma tante Berthe était la mémoire de la vie des Gastaldi dans le Nord. Mais attention, hors de question de s’aventurer au-delà de ses propres souvenirs, en direction de la venue de son grand-père Christophoro en Nouvelle-Calédonie. Pour beaucoup de gens de son époque, il n’y avait pas le temps de se pencher sur le passé. La seule préoccupation, c’était le présent. Avoir à manger, fonder une famille, tout simplement. Il fallait accepter cela pour que Berthe accepte de vous parler. Je lui ai posé des questions sur sa vie, son enfance à Hienghène.

    Elle m’a dit : "Tu es la première à t’intéresser à ces choses-là, on ne ma jamais rien demandé." Alors elle a parlé. Elle m’a raconté son histoire. Elle m’a montré l’endroit où elle gardait toutes les photos, tous les documents de famille, et elle m’a dit : "Tu les prends. N’attends pas que je ne sois plus là, tu les prends." Ces documents nous ont beaucoup aidés à préparer les grandes cousinades qu’ont été les 95 ans et les 100 ans de Berthe, en 1997 et en 2002 à Koumac. Deux évènements marquants de l’histoire récente de la famille. Sur d’immenses panneaux et à l’aide de papier millimétré, nous avions établi des arbres généalogiques d’une grande précision, où figurait chacun des 680 descendants de Christophoro alors recensés. "

    Note

    Cette série sur les destins de familles issues de la colonisation pénale, tirée du livre Le Bagne en héritage édité par Les Nouvelles calédoniennes, est réalisée en partenariat avec l’Association témoignage d’un passé. Cet article est paru dans le journal du samedi 1er octobre 2016.

    Une dizaine d’exemplaires de l’ouvrage Le Bagne en héritage, certes un peu abîmés, ainsi que des pages PDF de la parution dans le journal sont disponibles à la vente. Pour plus d’informations, contactez le 23 74 99.

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