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    Nouvelle Calédonie
  • LNC | Crée le 17.11.2024 à 05h00 | Mis à jour le 17.11.2024 à 08h14
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    Cimetière du 4e Km. L’équerre et le compas, insignes classiques de la franc-maçonnerie, sont visibles sur la pierre tombale de Victor-François, Cécile et leurs deux enfants décédés en bas âge, Jeanne et Hector. Photo DR
    Républicain, pourfendeur des religions, Victor-François Cormier est exilé pour avoir participé au soulèvement de la Commune de Paris, en 1871. Libéré, ne se voyant aucun avenir sur sa terre d’origine, il choisit de rester à Nouméa, où il fait la rencontre d’une femme, Cécile Cacot, qui partage ses convictions et son lien avec la déportation. Il y embrasse aussi une belle carrière de greffier au tribunal. Avec d’autres libres penseurs, Victor-François contribue à la fondation de la deuxième loge maçonnique de la ville. Passionné d’histoire et héritier de la tradition laïque, son arrière-petit-fils Manu raconte l’histoire mouvementée du premier des Cormier sur le Caillou, dont il ne possède pas de photo. Découvrez le vingt-sixième épisode de notre saga consacrée aux familles issues du bagne.

    "L’histoire de Victor-François ne m’a jamais été cachée. Bien au contraire, on me l’a transmise, et je continue naturellement de la raconter. C’est pour moi une différence fondamentale entre les familles qui descendent de déportés politiques et celles issues de relégués et surtout de transportés, qui sont arrivés en Calédonie pour des histoires de délits ou de crimes. Jamais Victor-François ni ses enfants n’ont eu à porter sur leurs épaules le poids du regard condescendant de la société. Il n’a jamais été question de cacher un quelconque passé honteux. Depuis que j’ai l’âge de comprendre, je sais quelle a été la vie de mon arrière-grand-père. Mes recherches personnelles, entamées à l’âge de 20 ans, m’ont permis de découvrir les détails de son périple.


    Nouméa, le 21 janvier 2016. Manu Cormier est le directeur de Fort Téremba. Le voici au cimetière du 4e Km où reposent notamment ses arrière-grands-parents, Victor-François et Cécile. Photo DR

    Victor-François Cormier est né dans la commune de Bazouges, en Mayenne, en 1848. Il suit probablement des études secondaires, ce qui n’était pas vraiment courant en ces temps-là, puisqu’il obtient un emploi de clerc de notaire, chez Maître Robin. Il est rapidement animé d’un fort sentiment républicain et d’une aversion très prononcée pour la religion, ce qui ne manque pas de causer de fortes tensions au sein de la famille. Ceci a peut-être joué un rôle dans sa décision de quitter Bazouges en 1870, à l’âge de 22 ans, pour s’engager dans l’armée au moment du siège de Paris par l’armée prussienne. Victor-François devient caporal.

    Malheur aux vaincus

    "Grâce à ses compétences particulières, il est également secrétaire du trésorier du 29e régiment d’infanterie de ligne. Le 18 mars 1871, fameux jour où une grande partie de la population parisienne rejette la capitulation du gouvernement et fait sécession, donnant ainsi naissance à la Commune, il ne suit pas l’armée dans son mouvement de repli sur Versailles. Il devient alors sergent secrétaire du commandant du 122e bataillon fédéré, puis du 275e bataillon stationné dans le quartier de Reuilly. La révolte parisienne est rapidement écrasée par l’armée française, et Victor-François est arrêté le 27 mai. Quand j’étais étudiant en histoire-géographie à Paris, à la fin des années 70, j’ai retrouvé les minutes de son procès dans les archives militaires du château de Vincennes.


    Lucien, le grand-père de Manu, a été mobilisé pendant la Grande Guerre. Le voici, deuxième à gauche, en compagnie d’autres soldats, autour de 1916. Photo DR

    Le 22e conseil de guerre permanent lui reproche d’avoir été, si ce n’est acteur, du moins témoin de la prise en otage du curé de l’église Saint-Eloi, des préparatifs pour faire sauter l’édifice et de l’assassinat d’un dénommé Héron. Le 6 mars 1872, il est condamné à la dégradation militaire, et comme plus de 4 000 autres communards, à la déportation.

    Je crois que la rupture avec sa famille, trop attachée à la religion à son goût, lui a ôté sa principale raison de rentrer.

    Le 11 juin 1872, Victor-François embarque à Brest, avec 679 autres déportés, à bord de la Guerrière. La frégate mixte de premier rang lève l’ancre le 13 juin et arrive dans la rade de Nouméa le 2 novembre 1872. Deux cent trente-quatre personnes condamnées pour des motifs graves, comme la célèbre Louise Michel un an plus tard, sont enfermées dans l’enceinte fortifiée de Ducos. En compagnie de 444 autres déportés simples, Victor-François, matricule n°424, est envoyé en détention à l’île des Pins. Je n’ai aucune indication concernant le temps qu’il a passé en détention.

    L’impossible retour en arrière

    "J’ai la certitude que lorsqu’il est gracié en 1879, profitant de la clémence d’un régime qui commence à s’assouplir, il est déjà installé à Nouméa depuis un certain temps. Il a repris son travail de clerc de notaire, signe de sa réintégration dans la société civile. Il terminera même sa carrière en tant que greffier au tribunal. Le fait qu’il accède à un poste important de l’administration montre bien que la considération envers les déportés était très éloignée de celle réservée aux transportés et aux relégués.

    Contrairement à l’immense majorité des déportés qui ont retrouvé la plénitude de leurs droits, Victor-François prend la décision de rester en Calédonie. Il y vivra jusqu’à son décès en 1894.


    Une correspondance manuscrite de Victor-François, datée de 1886, adressée à son ancien supérieur au cabinet de notaires de Bazouges. Une des rares qui soient encore conservées. Photo DR

    À ma connaissance, ils ne sont que trente ou quarante à avoir fait ce choix. Je crois que la rupture avec sa famille, trop attachée à la religion à son goût, lui a ôté sa principale raison de rentrer. On peut aisément supposer que la rencontre avec Cécile Cacot, mon arrière-grand-mère, elle-même fille de déporté politique, a beaucoup joué. Cécile aussi est une républicaine, libre penseuse, qui a suivi son père au bout du monde après sa condamnation. Les deux premiers de leurs neuf enfants, Elie et Henri, sont nés avant le mariage de 1881.

    Un cercle se reforme

    " À Nouméa, ce couple d’anticonformistes a trouvé quelques compagnons de combat intellectuel. En 1882, avec d’autres déportés politiques, Victor-François fonde la deuxième loge maçonnique de Calédonie. Son nom, l’Union démocratique de propagande anticléricale, ne laisse aucun doute quant aux opinions de ses fondateurs. Cette loge remplace celle de l’Union calédonienne, interdite quelques années auparavant pour le soutien que certains de ses membres avaient apporté à l’évasion du célèbre journaliste et politicien Henri Rochefort. La tradition maçonnique ne s’est pas réellement installée dans la famille Cormier.


    Famille Cormier Quartier-Latin, 1958. Le jeune Manu, 1 an, entouré de sa famille : Yves et Jacqueline, les parents, debout, Lucien et Jacqueline, les grands-parents, assis. Photo DR

    Elle s’est perdue avec les deux générations suivantes, et je ne l’ai pas ressuscitée. On m’a pourtant proposé de devenir " frère " en 1976, pendant mes études à Paris. J’ai décliné. Je ne me sentais pas attiré par la franc-maçonnerie, même si j’ai été éduqué dans cet esprit, républicain et athée.


    Seule lettre écrite depuis l’île des Pins. Photo DR

    La première fois que je suis entré dans une église, c’était à l’âge de 19 ans, en Bretagne, dans le cadre d’une visite avec ma promotion de licence d’histoire-géo. Mais je ne suis pas du tout anticlérical comme l’étaient mes arrière-grands-parents. La preuve, j’ai enseigné pendant vingt-cinq ans au sein du collège catholique de La Foa. Victor-François doit se retourner dans sa tombe ! "

    Quand Victor-François avait entrepris de retracer l’histoire de France


    "En détention sur l’île des Pins mais aucunement astreints à des travaux forcés, les déportés politiques cherchaient le moyen de passer le temps, qui devait être bien long. L’artisanat, la culture de café ou de céréales occupaient les journées de certains. Dans une de ses correspondances, mon arrière-grand-père, passionné de lecture, a chargé sa mère de lui envoyer sa grande collection de livres. A l’arrivée du bateau, sur le débarcadère de Nouméa, la caisse de 50 kilos s’était volatilisée. Je conserve ce carnet d’une soixantaine de pages où Victor-François avait entrepris de retracer l’histoire de France. Un début de reconstitution de sa bibliothèque perdue. Ce feuillet recense les évènements marquants de l’histoire de France au milieu du XVIe siècle. "

    Note

    Cette série sur les destins de familles issues de la colonisation pénale, tirée du livre Le Bagne en héritage édité par Les Nouvelles calédoniennes, est réalisée en partenariat avec l’Association témoignage d’un passé. Cet article est paru dans le journal du samedi 30 janvier 2016.

    Une dizaine d’exemplaires de l’ouvrage Le Bagne en héritage, certes un peu abîmés, ainsi que des pages PDF de la parution dans le journal sont disponibles à la vente. Pour plus d’informations, contactez le 23 74 99.

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