- Propos recueillis par Anthony Tejero | Crée le 16.12.2024 à 04h55 | Mis à jour le 16.12.2024 à 04h55ImprimerGeorges Selefen, directeur général d’Aircalin, à Paris, pour acter l’achat de deux Airbus A 350-900. Photo Anthony TejeroAu lendemain de son vol inaugural Nouméa-Paris via Bangkok, Aircalin a annoncé faire l’acquisition de deux nouveaux Airbus A350-900, qui devraient être livrés entre fin 2026 et 2030, pour opérer cet " extra-long courrier ". Une ouverture de ligne, dont le calendrier a été nettement avancé en raison de la crise qui a fait chuter le nombre de passagers de 54 %, notamment sur le trafic régional. Cet investissement très important, que la compagnie " peut se permettre ", ne fera pas augmenter le prix des billets, assure son directeur général Georges Selefen. Entretien.
Vous venez d’inaugurer le vol commercial Nouméa-Paris via Bangkok, initialement prévu en 2026. Pourquoi avoir accéléré ce calendrier ?
On se préparait en effet pour une ouverture de ligne fin 2026, début 2027 sur la base d’un plan stratégique qui a été présenté lors des 40 ans d’Aircalin, en 2023. Ce plan comporte plusieurs axes. Bien évidemment, l’ouverture de Paris, ce qui implique de disposer des avions adaptés pour le faire.
Les autres axes concernaient notamment notre engagement sur le développement durable. Et le 13 mai est venu percuter ce plan stratégique. Il a donc fallu faire preuve d’agilité et s’adapter à la nouvelle situation puisque notre trafic de passagers a été impacté de plus de la moitié, soit une baisse de 54 % en 2024.
Notre objectif est donc de ne pas laisser Aircalin dans une situation économique compliquée. C’est pourquoi on a avancé, et même bousculé ce projet d’ouverture de ligne. Il s’agit de nous permettre de survivre à cette situation et d’aller chercher le revenu dont on a besoin sur le segment Asie-Europe. On a ainsi travaillé sans relâche ces six derniers mois pour y arriver.
Concrètement, en quoi opérer ce deuxième tronçon jusqu’à Paris peut-il être intéressant pour Aircalin ?
Jusqu’à présent, Aircalin avait comme rayon d’action le régional et l’Asie comme destination long-courrier. À partir de l’Asie, nos clients étaient repris par nos différents partenaires. Sur un tronçon comme le Nouméa Singapour pour aller à Paris, Aircalin ne prend que 40 % du revenu. En opérant de bout en bout une ligne comme un Nouméa Asie-Europe, on prend 100 % du revenu. Et c’est pour cette raison qu’on a ouvert cette ligne. Il fallait arriver à compenser la réduction du trafic.
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On va donc chercher ce revenu qui nous manque, en assurant nous-mêmes le transport des clients. En parallèle, on maintient Singapour qu’on continue à opérer avec nos différents partenaires. Il s’agit de proposer deux offres complémentaires. Les gens ont le choix, soit ils veulent du Calédonien, et c’est ce qu’on leur offre désormais, soit ils ont accès via cette route Singapour à toute une série de partenaires d’Aircalin, parce que nos clients calédoniens aiment aussi aller découvrir d’autres compagnies.
Comment comptez-vous être compétitif sur ces tronçons Paris-Bangkok, où il y a une énorme concurrence ?
Vous avez déjà dû voir les effets de l’ouverture de la ligne et des tarifs très compétitifs qu’on a pu offrir à nos clients, qui de facto, ont poussé nos partenaires à s’aligner, voire à passer en dessous de nos tarifs. J’avais annoncé autour des 200 000 francs un aller-retour en fonction de la haute ou la basse saison, et en fonction des promos qui sont offertes, mais on peut être autour des 180 000 francs aller-retour sur les premiers tarifs de la grille en basse saison. Et avec un seul bagage.
Nous misons sur un retour à une situation équivalente à 2023 courant 2026.
Sur la compétitivité, il y a un deuxième élément important, c’est que nous le faisons avec un effectif constant et un moyen constant. C’est-à-dire qu’au regard de la baisse de notre programme sur les autres destinations, on concentre nos efforts sur cette ligne. Donc avec nos coûts de production actuels, on arrive à opérer un extra-long courrier à des prix hyper compétitifs.
On va donc chercher ce revenu qui nous manque, en partie du moins, puisqu’on maintient quand même Singapour qu’on continue à opérer avec nos différents partenaires. En parallèle, nous assurons nous-mêmes le transport de nos clients de bout en bout (via Bangkok).
Les passagers à destination de Paris ont embarqué, le mercredi 11 décembre, pour ce premier vol d’Aircalin reliant Bangkok à la ville lumière. Photo Anthony TejeroEn 2024, 270 000 passagers sont attendus, contre initialement 450 000. Pour 2025, vous misez sur un trafic légèrement plus bas. Quelles sont vos perspectives ?
Nos projections s’appuient sur nos chiffres, entre mai 2013 et décembre 2024. Et c’est la raison pour laquelle on est légèrement en baisse parce qu’on ne pouvait pas faire du copier-coller 2024-2025. Ce sont des chiffres prudents […] qui devront être réévalués. Nous misons plutôt sur un retour à une situation équivalente à 2023 courant 2026.
Depuis le 13 mai, est-ce que vous observez des changements de comportements de la clientèle, compte tenu de la baisse du pouvoir d’achat et du manque de visibilité ?
Oui. Les achats ont largement évolué depuis le 13 mai. Avant, l’habitude était d’acheter un voyage 6 mois, voire un an à l’avance. Aujourd’hui, on observe plutôt des achats à moins de 3 mois. Ce qui est difficile pour nous, parce que ça nous donne moins de visibilité sur les perspectives. Et on voit aussi une espèce de congestion sur la haute saison.
Vous avez déclaré que le vol Nouméa-Paris " ouvre le champ des possibles ". Quelles sont ces possibilités ?
Quand on fait le pari d’ouvrir un extra-long courrier comme Bangkok et Paris, il y a deux axes possibles de développement qui sont assez incroyables. Bangkok ouvre le champ des possibles sur l’Asie du Sud-Est et tout ce qu’on peut imaginer autour : le Vietnam, la Malaisie, les Philippines, etc.
Et Paris ouvre la voie sur l’Europe parce qu’en emmenant l’Hibiscus nous-mêmes à Paris, on est notre propre promoteur de la destination calédonienne. Traditionnellement, il y a toujours eu quelques touristiques italiens et allemands par exemple.
C’est aussi pour les partenaires économiques de Nouvelle-Calédonie et ceux des destinations desservies, une opportunité d’avancer sur ces axes de développement.
"L’acquisition de ces deux Airbus A350-900 est un choix mûrement réfléchi"
Wounter Van Wersch, vice-président exécutif à l’international d’Airbus, a scellé un accord avec Georges Selefen, directeur d’Aircalin, jeudi matin, à Paris, pour l’acquisition de deux A350 900.Vous avez acté l’acquisition de deux Airbus A350-900, pourquoi miser sur un tel investissement alors que le renouvellement de la flotte d’Aircalin est relativement récent ?
C’est un choix qui n’est pas précipité et qui a été mûrement réfléchi. Beaucoup d’études ont été menées avec différents types d’avion pour pouvoir réaliser notre ouverture d’un extra-long courrier comme le Nouméa-Paris alors qu’on n’avait pas encore identifié le point intermédiaire (Bangkok). Il s’est révélé que le meilleur avion pour faire ce type de trajet est l’A350-900. Pour ouvrir une destination comme Paris, il faut être outillé.
Bien évidemment, on sait que les A330 ont été acquis par la compagnie et livrés en 2019. C’était un événement majeur puisqu’ils ont une capacité de réduction de consommation de carburant entre moins 15 % et moins 20 %, ce qui est assez important.
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Pourquoi Aircalin va-t-elle faire l’acquisition de deux Airbus A350-900 ?
Mais pour assurer ce long trajet, il a fallu imaginer le renouvellement de cette flotte. Et quand on parle de renouvellement de la flotte, on parle d’un futur qui est assez éloigné. On sait qu’aujourd’hui, pour disposer d’un avion auprès d’un constructeur, que cela prend entre 4 et 5 ans. On ne va pas acheter un avion comme on va chez Renault pour acheter une Dacia. Aujourd’hui, dans le marché des constructeurs d’avions, pour se placer, il faut vraiment se battre.
Quand ces avions devraient-ils être livrés ?
La livraison est prévue d’ici fin 2026, début 2027 pour le premier et entre 2028 et 2030 maximum pour le second. On a une fenêtre assez large car rien n’est encore arrêté puisque tout dépend de notre capacité à pouvoir financer ces avions.
Justement, quel est le coût de cet investissement ?
La compagnie peut se le permettre. Vous imaginez bien que le prix d’un avion est une information éminemment confidentielle. Notre partenaire (Airbus) ne souhaite surtout pas le faire savoir au regard des autres compagnies avec qui il travaille. On peut imaginer que le prix d’un appareil vendu à Air France ne sera pas le même que celui vendu à Aircalin. Ce que je peux vous dire, c’est que cela se situe entre 15 et 25 milliards de francs par appareil.
Comment comptez-vous mener à bien un tel financement ?
Dans son schéma de financement, la compagnie a prévu une part d’auto-financement, qui représente entre 15 et 20 % de cette somme. Il y a une part très importante de la défiscalisation, puisqu’on est éligible à ce dispositif. Et enfin, il y a aussi une grande partie qui sera issue du produit de la vente d’un de nos A330neo, dont on se séparera une fois le second A350-900 livré. On disposera alors d’une flotte de cinq avions avec deux A350-900, un A330 neo et deux A320.
Vous cherchez depuis quelque temps des financements privés pour ce projet. Ces tractations ont-elles concrètement avancé ?
Cela aurait été très compliqué pour nous d’annoncer publiquement l’acquisition et l’achat d’un avion si on n’avait pas l’assurance d’aller jusqu’au bout du schéma de financement. Aujourd’hui, on a plusieurs offres de partenaires privés, des établissements bancaires importants spécialisés dans le financement de l’aéronautique, qui souhaitent nous accompagner dans ce développement et ce réajustement de notre outil industriel.
Comment se matérialise ce partenariat ? À travers des prêts ?
Oui c’est vraiment du financement, c’est-à-dire un prêt bancaire.
Donc rien ne change au niveau de l’actionnariat, la Nouvelle-Calédonie étant l’actionnaire ultra-majoritaire de la compagnie ?
Tout à fait, elle le reste à hauteur de 99,5 %. On ne peut pas imaginer le développement d’une entreprise sans le soutien de son actionnaire. Malgré ce que des gens peuvent dire, dans toute entreprise aujourd’hui, qu’elle soit privée ou publique, c’est important que l’actionnaire participe aux projets de développement.
Les prix n’ont jamais augmenté, ils ont même baissé
Il ne faut pas considérer comme incohérent qu’une contribution de la part de l’actionnaire soit possible. Évidemment, ce serait un atout pour nous si notre actionnaire nous accompagnait, mais on ne sera pas dépendant si, pour telle ou telle raison, l’actionnaire ne venait pas en appui.
En particulier dans le contexte actuel de crise des financements publics depuis les exactions….
C’est important de le souligner. Je sais qu’il y a beaucoup de personnes qui sont mal intentionnées. Mais aujourd’hui, Aircalin s’organise pour financer ce projet de développement sans la nécessité d’être aidée. Bien évidemment, c’est nécessaire que l’actionnaire nous accompagne, mais si demain ça ne devait pas être le cas, on fera sans.
Dans le contexte de crise que vous traversez, comment comptez-vous arriver à supporter vos différents emprunts, dont ceux déjà contractés qui ne sont pas entièrement remboursés ? En clair, Aircalin peut-elle se permettre un tel investissement aujourd’hui ?
On est toujours sur l’idée d’une capacité d’endettement de la compagnie. Aujourd’hui, bien évidemment, avec la réduction de l’activité par deux, notre capacité a été impactée. Mais elle reste quand même soutenable pour pouvoir financer ce type de projet. C’est pour ça que je prends mes dispositions.
Bientôt un A320 en location ?
"Dans les solutions trouvées pour les mesures d’économie de l’entreprise, figurait également la mise en location de notre deuxième A320. Je pense qu’on est en train de concrétiser un accord avec un partenaire. Si ça se confirme, notre A320 sera loué quasiment entre février et janvier sur une compagnie régionale, dont ne va pas citer le nom.
Ce qui veut dire qu’on va réduire notre capacité d’action sur le régional, mais ce n’est pas un problème parce qu’on voit bien qu’aujourd’hui le marché touristique australien n’est pas au rendez-vous et on pense que l’année prochaine il va revenir, mais timidement. À partir de là, en fonction de l’observation qu’on va faire du trafic, on sera peut-être amené à réexaminer la possibilité d’ouvrir Melbourne et d’augmenter les fréquences sur les autres destinations."
Vers un déménagement d’Aircal à La Tontouta d’ici mi 2025 ?
Les ATR d'Air Calédonie vont-ils bientôt décoller systématiquement de La Tontouta et non plus de l'aérodrome de Magenta ?"La ligne Nouméa-Port-Vila devient maintenant une réalité pour Aircal qui opère elle-même cette ligne, avec le soutien fort d’Aircalin. C’est une première étape dans le rapprochement de nos compagnies. La deuxième étape, celle qui est structurante, c’est l’arrivée d’Aircal à La Tontouta. Il y a tout un travail de réflexion en train d’être mené avec les autorités de l’Aviation civile, la CCI et le gouvernement, pour opérer ce déplacement d’ici la fin du premier semestre 2025, pour qu’Aircal puisse opérer l’ensemble de ces vols depuis la Tontouta. C’est un travail en cours. Il n’y a rien encore de validé, mais c’est l’étape qui est visée et qui nous permettrait de nous connecter depuis la Tontouta."
Note
Cette interview a été réalisée par les Nouvelles calédoniennes depuis Paris, avec notre consœur de La Voix du Caillou
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