- Anthony Tejero | Crée le 05.12.2023 à 07h04 | Mis à jour le 05.12.2023 à 07h25ImprimerNicolas Koindredi a inauguré aux côtés de Sébastien Lecornu la stèle du Bataillon mixte du Pacifique. Photo Anthony TejeroEn déplacement sur le Caillou pour présider le Sommet régional des ministres de la défense, Sébastien Lecornu a d'abord tenu à marquer sa visite par deux cérémonies symboliques : le baptême de deux sites militaires de la pointe de l'Artillerie en hommage aux tirailleurs kanak, histoire qu'il juge encore trop méconnue. Le ministre des Armées a d'ailleurs lancé un appel à l'ensemble des élus pour davantage accomplir ce travail de mémoire en donnant plus de noms de figures calédoniennes aux lieux et bâtiments publics du pays.
"À un moment donné, ces hommes ont tous été dans cette grande pirogue pour que la France soit ce qu’elle est aujourd’hui et pour permettre à la jeunesse de comprendre qu’on est ensemble sur cette pirogue où on a tous sa place." Aux côtés du ministre des Armées, Nicolas Koindredi a le regard grave, rivé sur la stèle et plus particulièrement sur ces quatre mots : Bataillon mixte du Pacifique. C’est désormais le nouveau nom du quartier de la défense de l’Artillerie, officiellement baptisé à l’occasion de la venue de Sébastien Lecornu.
Si le dévoilement de la plaque fut l’affaire de quelques secondes, c’est l’aboutissement d’un long travail de mémoire, entrepris depuis 25 ans par ce descendant de tirailleur kanak. Et qui a d’abord pris racine dans l’Hexagone, à Fréjus-Saint-Raphaël : "C’était le lieu d’hivernage de tous les autochtones (avant de partir au combat), explique Nicolas Koindredi. Il fallait déjà apaiser les âmes des tirailleurs sur place, parce que là-bas, il n’y avait pas de sépulture qui personnalisait d’où ils venaient, qui ils étaient en tant qu’Océaniens. Grâce à cette démarche, depuis 2008, il existe un mémorial, une case et une pirogue à Fréjus." Un devoir de mémoire qui s’est ensuite traduit par la célébration du centenaire du retour du Bataillon mixte du Pacifique, en 2018, à la tribu de N’Dé, à Païta.
Près d'un millier de tirailleurs "engagés"
Pour rappel, lors de la Première Guerre mondiale, un peu plus de 2 000 Calédoniens rejoignent le front en Europe. Parmi eux, un millier de " mobilisés " d’origine européenne. Et 948 tirailleurs du Bataillon mixte du Pacifique, Kanak pour une écrasante majorité, mais aussi Néo-Hébridais, Tahitiens, Indochinois et Wallisiens. Un tiers des Mélanésiens "engagés" ne reviendra pas au pays. Les tirailleurs survivants feront, eux, route vers le Pacifique par vagues. Les premiers en 1919. Les derniers convois, qui transportaient les soldats blessés au combat, rentreront en 1923.
Les soldats avaient surnommé à l'époque " le bataillon canaque " ou même " le bataillon de la roussette ", en référence à la chauve-souris calédonienne, emblème figurant au centre du fanion du Bataillon mixte du Pacifique. Photo Anthony TejeroIl aura donc fallu attendre plus d’un siècle pour que ce nom de Bataillon mixte du Pacifique soit enfin gravé dans le marbre. Et bénéficie d’une véritable reconnaissance de l’État. "Il était indispensable de reforger quelques racines de notre mémoire collective. C’était un point important, insiste Sébastien Lecornu. J’ai quand même toujours été frappé de voir qu’il y a des pans entiers de notre histoire, notamment autour de la Première Guerre mondiale qui n’ont pas suffisamment été mis en lumière, en particulier en Nouvelle-Calédonie."
"Des mémoires sources de réconciliation"
Un premier pas, qui pourrait en appeler d’autres. C’est du moins ce que souhaite le ministre des Armées, qui a lancé un appel à l’ensemble des élus calédoniens, indépendantistes et non-indépendantistes, pour "s’emparer davantage de cette histoire" en baptisant plus de noms de rue, d'écoles, d'hôpitaux afin de "mettre à l'honneur ceux qui se sont battus pour un système de valeurs".
"Pour cela, il fallait déjà que l’État et le ministère des Armées montrent l’exemple. Il est clair qu’il y a encore beaucoup de parcours à valoriser parce qu’il y a une forte demande de la jeunesse qui a besoin de comprendre ce qu'il s’est passé et qui a besoin de voir mis sur le devant de la scène des parcours glorieux", estime Sébastien Lecornu, pour qui ce travail de mémoire est un "devoir" ainsi qu'un levier nécessaire pour donner sens au vivre ensemble. "Parfois, des mémoires peuvent se chevaucher ou peuvent créer des tensions, notamment ici en Nouvelle-Calédonie, mais il y a aussi des mémoires qui sont sources de réconciliation, notamment à travers ce qu'il s’est passé pendant la Première Guerre mondiale. Nous avons une dette envers ceux qui sont morts pour la France et cette dette est collective."
Qui était le tirailleur Acôma Nerhon ?
Petite pose auprès de la stèle pour ces proches et militaires. Photo Anthony TejeroLa visite de Sébastien Lecornu à la pointe de l'Artillerie a également été l'occasion de baptiser le bâtiment de la direction de l'administration sanitaire et sociale des forces armées du nom du tirailleur Acôma Nerhon. Un ancien infirmier militaire parti au combat entre 1916 et 1919.
Né en 1888 à la tribu de Nedivin, à Houaïlou, iI suit une scolarité à l'école de la tribu de Bondé puis à Lifou. Il devient ensuite, moniteur de l'enseignement protestant à Gondé.
Le 29 février 1916, Acôma Nerhon s'engage comme volontaire pour la durée de la guerre. Le 4 juin, il embarque à Nouméa sur le vapeur Gange avec les 958 hommes du 3e contingent de renfort du bataillon d'infanterie coloniale de la Nouvelle-Calédonie en qualité d'aumônier militaire.
La joie des retrouvailles
Au camp de Fréjus, le tirailleur de 2° classe Acôma Nerhon perçoit " la tenue militaire, la sagaie et la hache de guerre ". Le Bataillon mixte du Pacifique monte alors au front à Compiègne.
Le 15 septembre 1919, le tirailleur Nerhon peut enfin rentrer au pays et embarque au Havre sur le navire britannique Kia Ora à destination de Nouméa, en passant par le canal de Panama.
Le bâtiment de la direction de l'administration sanitaire et sociale a désormais un nom Acôma Nerhon. Une grande fierté pour ses proches et sa famille. Photo Anthony TejeroArrivé sur le Caillou, "il n'y a pas de joie semblable à la joie que nous avions sur le quai de Nouméa. Nous sommes allés à la caserne. On nous y a reçus. Tous les chefs de toutes les tribus y étaient. Le lendemain, nous sommes repartis sur le Saint-Pierre pour la côte Est. (...) Tout Houailou était là à nous attendre dans la maison du chef Mindia Neja", relate dans ses écrits le tirailleur.
De tirailleur à chef de tribus
Acôma Nerhon est intronisé pasteur à la tribu de Boakaine, à Canala. A ce titre, il participe aux travaux des diverses commissions sociales, en particulier celle de lutte contre l'alcoolisme. Par la suite, il reprend un poste de moniteur à Témala-Voh où il construit une école.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, Acôma Nerhon est nommé chef d'équipe. Il décharge alors les navires américains et participe aussi à la construction de l'aérodrome de La Tontouta.
Le 16 février 1954, suite au décès du chef Auriboa Kati Non, il devient chef des tribus de Nédivin et de Néaria de l'aire actuelle Ajie-Aro, fonction qu'il occupera jusqu'en 1962.
En juillet 1966, il est invité à Paris par le gouvernement de la République pour participer à la fête nationale en tant que délégué de la Nouvelle-Calédonie. Pendant son séjour de quatre mois, il refera en voiture les étapes de son parcours sur le front. Acôma Nerhon s'éteint entouré de sa famille le 11 mars 1969.
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