- Propos recueillis par Anthony Tejero | Crée le 30.01.2025 à 05h00 | Mis à jour le 30.01.2025 à 07h12ImprimerChristophe Vakié, maire de l’île des Pins, Guillaume Kouathé, quatrième adjoint au maire et Marie-Jeanne Bourébaré, agent au point information tourisme de la commune. Photo Anthony TejeroDix mois après le début des violences survenues sur l’île des Pins, la municipalité n’a pas encore retrouvé la sérénité, pointant des tensions toujours palpables entre les Kunié. La priorité a donc été d’abord de "sécuriser" ce territoire pour redonner confiance aux visiteurs, essentiels à l’économie de l’île, mais encore peu nombreux. Entretien avec le maire Christophe Vakié et son équipe : Guillaume Kouathé, 4e adjoint et Marie-Jeanne Bourébaré, agent en charge du tourisme.
Après les émeutes qui n’ont pas épargné l’île des Pins l'an dernier, comment qualifieriez-vous la situation actuelle, sur le plan sécuritaire ?
Guillaume Kouathé : Notre préoccupation, c’est déjà de sécuriser les outils de travail et l’ensemble des infrastructures de la mairie. Au début des violences, dans un premier temps, on s’est sécurisés nous-mêmes avec la participation solidaire des agents. On a mis en place une sorte de planification avec le personnel de la mairie autour de la sécurité. Mais l’insécurité, on la vit encore tous les jours. Il ne faut pas oublier que ce qu’on a vécu à l’île des Pins a commencé avant le 13 mai, dès le mois d’avril. Et le souci de la commune, c’est qu’encore aujourd’hui, l’insécurité demeure. On peut bien sûr marcher dehors, mais on reste attentif par rapport à cette ambiance qui règne à cause de quelques jeunes, ce qui pose la question de leur éducation. C’est une préoccupation majeure.
Quand on parle de l’insécurité, on interpelle aussi la gendarmerie parfois : jouent-ils leur rôle ?
On se souvient de l’incendie de l’église de Vao qui a marqué les Calédoniens, mais au-delà de ce seul fait-divers, quelle est l’ampleur des dégâts sur l’île ?
Christophe Vakié : On a eu du vol de matériel municipal dès le début du mois d’avril à Vao, puis, il y a eu les incendies, comme celui de l’église, mais aussi des tentatives d’incendie notamment à la BCI. Le centre de tri des déchets a été également en partie brûlé, notamment notre container, alors que l’on devait l’inaugurer. Sur les routes, la commune avait installé des lampadaires solaires. Sur une trentaine déployée, une bonne quinzaine ont été dégradés, détruits ou ont disparu. On subit également des vols de nourriture à la cantine municipale. Toutes ces actions portent atteinte à la question de sécurité sur notre île.
L'accès à l'église de Vao, à l'île des Pins, est condamnée par un grillage depuis son incendie, en juillet dernier. Photo Anthony TejeroMarie-Jeanne Bourébaré : J’ajouterai qu’à travers ces actions, l’insécurité est entrée dans nos propres cases car cette problématique concerne des jeunes de nos maisons qui ont été emportés par cette vague politique. Mais quand on discute avec eux, on voit qu’ils se sont aussi perdus à travers toutes ces exactions. Cela a affecté la sécurité du foyer même où nos propres enfants coopéraient à ces exactions. D’où l’importance de l’éducation, c’est-à-dire de recadrer en tant que parents cet accompagnement de nos enfants. Par ailleurs, la question de la sécurité en se rendant au travail nous préoccupe également en tant qu’agents communaux. On se fait harceler par certains jeunes.
Ces tensions sur l’île des Pins, qui est à majorité indépendantiste mais avec un vivier non indépendantiste élu à la mairie, sont-elles essentiellement de nature politique ?
Marie-Jeanne Bourébaré : En tant que femme, je dirais que c’est lié à la politique mais plus largement aux problématiques de notre société contemporaine : la femme n’est pas sécurisée, elle est battue, harcelée au travail, insultée sur la route en allant au magasin. Aujourd’hui, le cannabis, comme les réseaux sociaux et leurs dérives, sont à la portée de tous.
Guillaume Kouathé : Il faut s’occuper de l’éducation à notre niveau à la mairie, mais il faut surtout parler de l’éducation au niveau familial. On ne peut plus faire comme avant : lancer un appel pour que tout le monde se réunisse lorsqu’il y a un problème. Non. Il faut d’abord commencer par le noyau familial et le clan. Aujourd’hui, il faut que les familles sortent un peu plus de l’île des Pins pour voir autre chose par exemple. Cela participe aussi de l’éducation qui est défaillante sur l’île des Pins. Ce matin encore, alors qu’on préparait la rentrée, la cantine a été dévalisée.
En ce qui concerne l’activité touristique, qui peine à redécoller, selon vous, la sécurité est-elle un point encore bloquant pour accueillir les visiteurs ?
Guillaume Kouathé : Dans un premier temps, avant de relancer vraiment le secteur, le mot d’ordre a d’abord été de sécuriser. Désormais, c’est redonner confiance aux gens. Cela sera long mais il faut y arriver. Et il faut que les transporteurs accompagnent aussi cette dynamique. Le problème majeur que l’on connaît aujourd’hui, c’est le transport, aérien et maritime, pour les gens qui veulent venir. Lorsqu’ils arrivent à venir, trop souvent, des gens sont ensuite bloqués à l’île des Pins, et, à l’inverse, nous sommes coincés à Nouméa. La desserte de l’île est essentielle aussi pour sécuriser le secteur touristique et économique.
Le Méridien, employeur majeur de l’île, n’a pas rouvert et son avenir reste incertain. Comment suivez-vous ce dossier à la mairie ?
Christophe Vakié : L’hôtel est en effet menacé de fermeture et notre société, qui réunit les propriétaires fonciers et dont je fais partie en siégeant au conseil d’administration, est en redressement judiciaire. On dépend donc de ce recours judiciaire.
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Mais notre état d’esprit est qu’il faut rouvrir cet établissement. Et la SHN (Société des hôtels de Nouméa) est d’accord avec nous pour ne pas laisser l’hôtel comme ça car Le Méridien emploie de loin plus de salariés que les autres hôtels de l’île, ce qui représente 70 personnes, sans compter les emplois indirects : transporteurs, piroguiers, etc. Notre souhait, c’est donc clairement de redonner du travail à toutes ces personnes. Cet hôtel, c’est du pain sur la table pour toutes ces familles. Sans oublier que cet établissement fait partie de l’attractivité de la Nouvelle-Calédonie à l’international.
Depuis sa fermeture, le 25 mai, l'hôtel, qui n'a subi aucune dégradation contrairement à certaines rumeurs, est surveillé 24 heures sur 24. Photo Anthony TejeroMais il faut aussi saluer le travail des autres hôtels et gîtes qui ont rouvert et qui tiennent, comme ils peuvent, pour tenter de faire tourner l’économie de l’île. Mais encore une fois, le frein c’est la desserte aérienne et maritime, qui accumule les difficultés, entre la baisse du nombre de rotations et les pannes.
Le secteur du tourisme a déjà essuyé une longue crise avec la Covid, avant d’être désormais touché par une nouvelle crise qui s’annonce durable puisque liée à la sécurité. Dans quel état se trouve actuellement cette filière, essentielle pour le développement économique de l’île ?
Guillaume Kouathé : A la mairie, on restera toujours centré sur ce développement économique parce que l’île des Pins est vouée au tourisme. L’île des Pins, c’est la vitrine du tourisme en Nouvelle-Calédonie. C’est vrai qu’aujourd’hui, on est préoccupés. Beaucoup de familles n’ont pas encore de travail. Heureusement, contrairement à la ville, on est sauvegardés car on vit sur une île où on peut cultiver nos champs, pêcher, etc. Mais ce manque d’argent va se ressentir surtout à la rentrée.
Si la terrasse du restaurant de l'hôtel Kou-Bugny est bien vide, cela n'empêche pas ces employées de garder le sourire. Photo Anthony TejeroQuels seront ces problèmes ?
Guillaume Kouathé : Il faut que les gens aient un minimum de ressources pour assurer cette reprise. Comment les familles vont-elles avoir assez d’argent pour emmener les enfants qui sont scolarisés à Nouméa ? Toutes ces préoccupations, liées à la faible activité touristique, sont là.
Pour autant quelques visiteurs sont de retour. Comment percevez-vous la reprise ?
Guillaume Kouathé : Il y a quand même une petite reprise, mais qui est constante. Certaines personnes commencent à revenir.
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Lors de la crise Covid, l’île des Pins a décidé de suspendre durablement l’arrivée de paquebots de croisière. La crise, que vous traversez actuellement, pourrait-elle changer la donne ?
Marie-Jeanne Bourébaré : C’était une initiative du comité de gestion de l’environnement de l’île qui a tiré ce constat : le fait d’avoir eu un nombre exorbitant de paquebots et la surfréquentation qu’ils engendraient chaque année a nui à notre environnement. On l’a vu par rapport à nos plages, au corail, etc. Par ailleurs, on ne parvenait pas à répondre en produits locaux en fonction des saisons, ce qui obligeait d’aller acheter des produits a Nouméa, etc. Il fallait donc repenser le volume et la capacité d’accueil de visiteurs sur l’île en réfléchissant pour faire en sorte de ne plus accueillir autant de paquebots.
Il n’y aura donc pas de retour en arrière comme avant Covid…
Guillaume Kouathé : Plus aucun paquebot n’a été accueilli depuis la crise et pour l’heure, on reste sur cette position.
La stratégie est donc de miser sur un tourisme plus durable, comme vous proposez avec le projet de bouées connectées en baie de Kuto ?
Christophe Vakié : Oui. Pour les bouées connectées au mouillage (qui compte 20 emplacements gérés par Connect Kuto), le prix est peut-être encore un frein car ce service n’est pas gratuit. C’est sans doute pourquoi nous n’accueillons pas encore beaucoup de voiliers.
Guillaume Kouathé : Mais aujourd’hui, on est avant tout préoccupé par ce qu’il s’est passé depuis le mois d’avril à l’île des Pins. Ce sont les gens qui vivent à l’île des Pins qui doivent faire la paix entre eux. C’est notre priorité et nos préoccupations aujourd’hui.
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