- Valentin BONTEMPS / AFP | Crée le 21.04.2024 à 11h00 | Mis à jour le 21.04.2024 à 11h00ImprimerJuan Carlos Sanchez de Lamadrid travaille avec son épouse Macu Gomez dans leurs salines "Dama Blanca", à El Puerto de Santa Maria, à Cadix, dans le sud-ouest de l’Espagne. Photo Cristina QUICLER / AFPIls ne sont plus qu’une poignée, mais avec une ambition intacte : à Cadix, dans le sud de l’Espagne, des producteurs passionnés luttent contre vents et marées pour relancer la culture du sel, tombée en désuétude après 3 000 ans d’une histoire glorieuse.
"Ici, c’est un endroit parfait pour les marais salants", souffle Juan Carlos Sánchez de Lamadrid, en scrutant devant lui les bassins d’eau laiteuse d’où émergent des petits tas de sel scintillant. "Il y a du vent, beaucoup de soleil… Tout ce qu’il faut !"
Originaire de Séville, ce paludier de 56 ans a jeté l’ancre dans la baie de Cadix, ouverte sur l’Atlantique, en 2020, après une carrière de photographe. Le fruit d’un coup de foudre pour la région et ses salins, qui l’a poussé à troquer l’appareil photo pour la brouette et le râteau.
"Il a fallu tout apprendre, on partait de zéro", confie le quinquagénaire, chapeau de paille et bottes aux pieds, en racontant s’être formé auprès de l’un des rares maîtres saliniers encore actif dans la région, avec des incursions au Portugal puis en France "pour découvrir d’autres techniques".
Un travail de longue haleine qui commence à porter ses fruits : avec son épouse et ses deux salariés, Juan Carlos a produit en 2022 30 tonnes de sel de mer vierge et 3 tonnes de fleur de sel, dont la commercialisation a débuté fin septembre, avec un premier envoi au Japon.
"On récolte tout à la main, de façon artisanale", insiste le Sévillan, décidé à redonner du lustre à ce produit indissociable de l’histoire de Cadix.
Héritage phénicien
Construits il y a près de 3 000 ans par les Phéniciens, qui contrôlaient le commerce du sel dans les pays méditerranéens, les marais salants ont longtemps assuré la richesse de cette province du sud de l’Andalousie, connue pour sa lumière éclatante. Mais ce secteur florissant a fini par péricliter. Sur les 160 salins artisanaux recensés au début du XXe siècle, seuls quatre sont aujourd’hui encore en activité. Et l'"or blanc" de Cadix, autrefois exporté jusqu’en Amérique, est tombé dans l’oubli.
À l’origine de ce rapide déclin, l’invention du frigidaire, qui a mis fin à l’utilisation du sel pour la conservation d’une grande partie des aliments, et le manque d’investissements et de diversification face à l’essor de la concurrence étrangère.
Contrairement à d’autres régions productrices, "comme Guérande" en France, Cadix "n’a pas su s’adapter", déplore Juan Martin, président de l’association Salarte, créée en 2012 pour relancer la culture salinière et restaurer les marais laissés à l’abandon.
"De véritables trésors"
Depuis onze ans, cette ONG a remis en état 250 hectares de salins, grâce à des financements privés. Certains "se trouvaient dans un état déplorable", raconte Juan Martin, en observant avec ses jumelles des oiseaux migrateurs en plein repas dans un bassin récemment restauré.
Installé depuis trois ans dans la baie de Cadix, le couple a produit 30 tonnes de sel de mer vierge et 3 tonnes de fleur de sel, en 2022. Photo Cristina QUICLER / AFPEt d’autres projets sont programmés. La baie de Cadix est encore "trop peu valorisée", insiste ce biologiste marin : "c’est dommage, car les marais sont de véritables trésors", "source d’activité économique" mais aussi de "biodiversité extraordinaire".
"Goût en bouche"
Production d’huîtres et de salicorne, fabrication de produits cosmétiques, écotourisme… Parallèlement à la remise en route des salins, plusieurs projets ont vu le jour depuis 10 ans pour redonner de l’élan à ce territoire.
Les marais, où se croisent dorades, crevettes, palourdes et crabes caillou noir, sont "un garde-manger d’une grande richesse", explique Ángel Léon, chef du restaurant trois étoiles Aponiente.
Installé depuis 2015 dans un moulin à marée du XIXe siècle, au cœur d’un salin qui faisait office jusqu’à peu de décharge publique, ce chef de 46 ans multiplie les expériences culinaires autour des produits de la baie de Cadix, comme le sel.
"C’est un produit que nous utilisons tous les jours mais auquel nous n’accordons pas suffisamment d’importance", regrette ce défenseur du sel artisanal, dont "la texture" et "le goût en bouche" n’ont "rien à voir" avec le sel industriel, obtenu par raffinage.
"Le problème, c’est que nous ne faisons pas attention : il faut être plus attentif", insiste le chef d’Aponiente, qui espère voir le sel de Cadix retrouver rapidement le chemin des grandes tables.
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