- Marion Durand / Outremers360 | Crée le 23.04.2024 à 05h00 | Mis à jour le 23.04.2024 à 05h00ImprimerLe Petit Prince va être traduit en huit langues kanak. Illustration Outremers 360Le célèbre livre d’Antoine de Saint-Exupéry sera bientôt traduit en huit langues kanak. Alors qu’il existe déjà en tahitien, marquisien, futunien ou en créole, aucun dialecte de Nouvelle-Calédonie ne figurait parmi les 543 traductions dans le monde. Grâce à l’Association Présence Kanak, une première traduction en nengone sera disponible dès cette année, indique notre partenaire Outremers360.
C’est une première ! Bientôt des petits Calédoniens pourront découvrir les aventures du Petit Prince dans leur langue. L’Association Présence Kanak (APK), qui œuvre pour une meilleure représentation de la culture kanak, a décidé de traduire le célèbre livre d’Antoine de Saint-Exupéry en huit langues vernaculaires. Alors qu’il existe déjà en tahitien, en marquisien, en futunien ou en créole, Le Petit Prince n’a encore jamais été traduit dans l’une des 28 langues kanak de Nouvelle-Calédonie.
Une première traduction en nengone (Maré) est en cours de finalisation et devrait être disponible dans les librairies de l’île d’ici la fin de l’année. Le Petit Prince sera ensuite traduit en drehu, paicî, ajié, xaracuu. " Nous avons décidé de traduire cet ouvrage en huit langues représentant les huit aires coutumières ", détaille Yvanna Doï, présidente de l’association. Les membres de Présence Kanak discutent encore des trois derniers dialectes choisis pour le Nord, le Sud et Ouvéa. " Le choix des langues se fait après de nombreuses discussions. On veut proposer une traduction dans un dialecte où il y a le plus de locuteurs mais on veut aussi mettre en avant les langues qui se perdent ", ajoute-t-elle. Les ouvrages seront bilingues (français/kanak) afin qu’ils puissent être étudiés par les scolaires et les étudiants.
Un partenariat avec la Fondation Saint-Exupéry
En 2023, trois auteurs kanak, Jean-Michel Guiart, ETH Hélène et Sonia Hotere ont participé à la création d’une œuvre spéciale en hommage au Petit Prince. Un livre réunissant plus de 50 textes signés par une sélection d’auteurs francophones, dont les auteurs calédoniens, a été publié. Ce projet a donné des idées à l’APK qui a décidé d’aller plus loin en proposant la traduction dans ces dialectes locaux du plus célèbre livre jeunesse. " Traduire Le Petit Prince dans les langues de chez nous est une grande fierté. Ça apporte un nouveau souffle et ça redonne des lettres de noblesse à nos langues ", estime la présidente qui rappelle que ce projet est réalisé en partenariat avec la Fondation Saint Exupéry Jeunesse et la fondation Jean-Marc Probst, qui assure sa diffusion.
Planète Ka, l’ouvrage de Sonia Hotere, l’une des trois auteurs à avoir participé à l’ouvrage collectif en hommage au Petit prince. Elle a fait de sa nouvelle un conte pour enfant. Photo Sonia HotereTransposer ce célèbre conte dans une des langues kanak est un travail de " longue haleine ", rappelle Yvanna Doï car certains mots en langue vernaculaire n’ont pas d’équivalent en français. " Tous les membres de l’association sont bénévoles, nous recherchons encore des traducteurs volontaires au sein de la société civile kanak ". La traduction en nengone a été réalisée par Germaine Nemia Bishop, ancienne enseignante.
" Faire partie de l’aventure "
Le Petit Prince figure parmi les livres les plus traduits au monde, il existe 543 traductions selon Olivier d’Agay, petit-fils d’Antoine de Saint Exupéry et président de la fondation Saint-Exupéry Jeunesse. " Nous voulions faire partie de cette grande aventure car c’est pour nous un ouvrage de référence ", réagit Yvanna Doï. Au-delà du symbole, cette traduction permettra aux plus jeunes de lire dans leur langue maternelle alors que les ouvrages en langues kanak sont rares. " Apprendre à lire dans sa propre langue est essentiel. C’est valorisant pour la personne car elle s’approprie sa culture. La langue est aussi un signe identitaire fort ". Il existe aujourd’hui très peu de livres ou de jeux en langues vernaculaires à destination de la jeunesse calédonienne. Pour y remédier, Fanny Waminya, institutrice d’une école à Lifou a créé il y a peu un jeu de sept familles en drehu. Dans un article publié en janvier 2024 sur Outremers360, elle s’inquiétait que " les enfants ne parlent presque plus le drehu et le comprennent de moins en moins ".
Pour Yvanna Doï, enseignante sur la Grande Terre, lire dans sa langue maternelle permet un " meilleur apprentissage de la lecture en français ". Photo Yvanna DoïPourtant lire dans sa langue maternelle permet aussi un " meilleur apprentissage de la lecture en français ", considère Yvanna Doï, enseignante sur la Grande Terre. " Moi je fais partie d’une génération à qui on a dit quand on était plus jeune que pour réussir à l’école et dans le système économique, il fallait apprendre le français. On a valorisé le français au détriment de nos langues ". Mais pour la directrice de l’Association Présence kanak, il est important de ne pas opposer les dialectes, qui sont complémentaires et qui permettent aux jeunes de se réapproprier leur culture.
Protéger des dialectes en voie de disparition
Promouvoir ces langues grâce à la littérature, c’est aussi protéger des dialectes en voie de distinction. " On a 28 langues en Nouvelle-Calédonie, quelques-unes sont de moins en moins parlées faute de locuteurs mais elles sont bien vivantes ", poursuit Yvanna Doï.
La linguiste Anne-Laure Dotte, interrogée par Outremers360 en janvier, s’inquiète, elle aussi, de la disparition prochaine de certains dialectes : " On estime qu’une langue disparaît tous les quinze jours dans le monde, à la fin du siècle, la moitié des langues du monde auront disparu. Le taux de disparition des langues est plus fort que le taux de disparition des espèces animales et végétales. " La chercheuse à l’Université de Nouvelle-Calédonie analyse depuis douze ans chaque composante des langues kanak. Elle rappelle qu’il n’y a pas toujours, comme pour le français, des écrits dans chacun des dialectes. " Ce sont des langues orales donc elles sont plus fragiles. Sur les 28 langues kanak, je pense qu’il y a moins d’une dizaine de langues pour lesquelles nous n’avons aucune ressource. " Il est donc urgent de protéger ces langues locales, grâce notamment à des initiatives comme celle de l’Association Présence kanak.
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