- Charlie Réné / Radio1 Tahiti | Crée le 18.04.2024 à 11h55 | Mis à jour le 18.04.2024 à 11h55ImprimerLe biologiste marin et docteur en écologie Matthieu Juncker, installé depuis de longues années en Nouvelle-Calédonie, fait l’inventaire d’une partie de son matériel avant son départ pour un atoll du centre des Tuamotu, en Polynésie, où il va observer tout Photomontage Radio 1 TahitiÀ la veille de son départ pour les Tuamotu, où il restera en autarcie sur un atoll inhabité pendant huit mois, le Calédonien Matthieu Juncker était l’invité de notre partenaire Radio1 Tahiti, mardi. Le biologiste décrit une expédition motivée par la science – il étudiera en immersion les Titi, oiseaux en voie d’extinction, mais aussi l’érosion, les tortues, le récif ou les menaces humaines qui pèsent sur l’écosystème – autant que par ses " rêves de gamins " et de " robinsonnade ". Son but : témoigner de la richesse et de la vulnérabilité de ces " arches de Noé " polynésiennes.
Rêve de gosse exaucé ou démarche scientifique très poussée ? " Les deux mon capitaine ", répond Matthieu Juncker, qui embarquera, ce mercredi matin (jeudi en Calédonie), pour un périple imaginé " depuis des années " et préparé depuis de longs mois. Sa destination : un atoll inhabité du centre des Tuamotu – on n’en saura pas plus. Pas question de donner des idées à des aventuriers moins précautionneux et de risquer de gâcher la quiétude des lieux. Le biologiste marin et docteur en écologie, qui a été formé au Criobe de Moorea et travaille depuis une vingtaine d’années en Nouvelle-Calédonie et dans le Pacifique, va tout faire, lui, pour ne rien déranger sur place. C’est d’ailleurs l’objet même de son expédition, baptisée " à contre-courant " : pouvoir observer tout un écosystème, au long cours, et sans perturbation.
Le Titi, mais pas seulement
Huit mois, soit 240 jours, en solitaire et sans ravitaillement. Pour vivre cette expérience de Robinson – les aventures du héros de Defoe ont longtemps squatté sa table de nuit – pas question de se faire " parachuter " sans préparation… Ni sans explication. Après avoir sélectionné l’atoll en fonction de critères précis de géographie et de biodiversité, Matthieu Juncker a effectué, l’année dernière, deux missions de repérage sur place. Mais surtout il est tout de suite entré en contact avec le conseil municipal de la commune de rattachement de l’île et ses propriétaires fonciers. " Il ne s’agissait pas seulement d’avoir leur aval, explique-t-il. Mais aussi de faire en sorte qu’ils adhèrent à ce projet. Ça ne peut pas se faire sans eux ".
Et ça se fera d’ailleurs, aussi, pour eux. À son retour d’expédition, l’ancien directeur de l’Observatoire de l’environnement de Nouvelle-Calédonie, plus tard chargé de mission sur la pêche pour la Communauté du Pacifique, devrait avoir accumulé des données exceptionnelles sur le Chevalier des Tuamotu, ce " Titi " en danger d’extinction, qui a déjà disparu de l’essentiel des îles polynésiennes. Un oiseau qui niche et se nourrit à terre, et qui est " emblématique autant que vulnérable aux pressions humaines ". De ce sujet central découle toute une série de mesures et d’observations. " Je vais étudier l’oiseau lui-même, son environnement, c’est-à-dire, le motu avec sa végétation, sa plage et son érosion, mais également le lagon, qui vient éroder le motu, en regardant la hauteur des vagues, l’état de santé du récif, liste l’aventurier. Par ailleurs, en discutant avec des chercheurs et des associations, on m’a demandé d’étudier les tortues, espèces elles aussi emblématiques voire totémiques, et également les plastiques qui peuvent impacter des lagons même inhabités. Tout un panel d’études qui va finalement nous donner une image globale de l’île ".
Ses sorties de pêche – obligatoire pour se nourrir – seront aussi l’occasion d’emmagasiner des informations sur les espèces et le comportement des requins dans ces zones isolées.
Pas " survivaliste ", mais bien préparé
La science en bandoulière, donc. Bien loin des objectifs des " survivalistes " qui testent leurs capacités – et souvent, leur popularité – face à la nature et l’adversité. " Ce côté-là ne m’intéresse pas des masses ", confie Matthieu Juncker. Mais le fait est qu’il faudra bien survivre pendant huit mois sans approvisionnement. Le biologiste a, là aussi, pris ses précautions. Fare en kit sur pilotis construit et déconstruit avec des amis, lourde cantine médicale, remplie avec les conseils de professionnels, téléphones satellites, système d’eau potable – grâce à des panneaux solaires et des instruments de désalinisation, mais aussi une bâche pour récupérer l’eau de pluie – kayak à voile et à pédales pour aller pêcher et étudier les différents motu de ce grand lagon, réserves alimentaires de secours… " J’ai tout doublé ou triplé, il n’y a pas vraiment le droit à l’erreur ", explique le biologiste qui a aussi eu des rendez-vous – au cas où – avec le JRCC et les urgences du Taaone.
En comptant le matériel scientifique – forcément très divers – et les instruments de prises de vue – le Robinson est aussi un passionné d’images – le paquetage, embarqué à bord du navire Cobia 3 ces derniers jours, pèse pas moins de 1,7 tonne. Mais le matériel ne fait pas tout. Certes, le plongeur, photographe et chasseur sous-marin, habitué des missions scientifiques dans le Pacifique, peut afficher quelques " connaissances ". " Mais quand on n’est pas du pays, vivre sur un atoll ça s’apprend. J’ai la chance d’avoir rencontré Jacquot, je l’appelle mon parrain, et qui m’a montré quels poissons étaient ciguatériques, les plantes qui peuvent être consommées, comment chasser les crabes ou les langoustes sans s’esquinter sur le récif, comment se soigner avec les plantes de l’atoll. Il m’a ouvert ses savoirs écologiques, ce qui était indispensable pour une bonne expédition. "
Jacquot n’est pas la seule main tendue que Matthieu Juncker a prise ces derniers mois dans sa préparation. Associations, soignants, soutiens calédoniens, responsables d’institutions, notamment l’Office français de la biodiversité, élus locaux, amis chercheurs polynésiens, quidams intrigués – et probablement un peu envieux – du projet… " Au total, j’ai compté, il y a 155 personnes que je dois remercier pour m’avoir aidé à concrétiser cette expédition. "
Des " arches de Noé "… Et de grands dangers
Une expédition dont Matthieu Juncker a bien l’intention de parler. Il y a son site, la page Facebook de " à contre-courant ", la " Radio motu " que des proches devraient aider à animer sur les réseaux sociaux… Des publications scientifiques devraient aussi être tirées de ces huit mois, directement, ou par l’exploitation des données accumulées sur l’atoll. Il y a surtout un documentaire en préparation – les équipes de Galatée Films, maison de production fondée par Jacques Perrin, le réalisateur du Peuple de l’Herbe et du Peuple Migrateur, ont d’ailleurs filmé mardi dans les studios de Radio 1 – et un projet de livre, qui cherche encore un éditeur. Ce qui " habite " Matthieu Juncker, c’est de " témoigner ", de " décrire ces milieux absolument extraordinaires " que sont les atolls polynésiens.
" Ce sont des havres de vie, en fait, des arches de Noé, on y voit en fait une quantité fabuleuse de poissons, des oiseaux qui sont uniques sur la planète, qui vivent là en fait et uniquement là… Il s’agit de rapporter la beauté de cette faune, de cette flore et en même temps de faire état des menaces qui pèsent sur cet environnement. Ce sont les pressions humaines liées par exemple à des activités qui peuvent provoquer l’introduction d’un rat, qui causera des dommages majeurs sur les oiseaux ou même sur les crabes de cocotiers. Des pressions liées aussi aux incendies, les feux qui sont utilisés pour nettoyer les cocoteraies. C’est aussi le changement climatique avec une montée des eaux, et puis aussi la mortalité des coraux. En ce moment on voit du blanchissement : ces atolls n’existent que parce qu’ils sont portés par un récif qui est en bonne santé. Si celui-ci venait à disparaître, l’atoll serait assez rapidement rayé la carte ".
De ces richesses et de cette vulnérabilité, Matthieu Juncker en parlera dès son retour… dans huit mois.
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