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    Nouvelle Calédonie
  • LNC | Crée le 29.09.2024 à 05h00 | Mis à jour le 29.09.2024 à 05h00
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    Le Manh Doan dit Le Ngoc Lien dit Ca-Lê, déporté indochinois. Photo DR
    Ca-Lê Ngoc Lien s’est révolté contre la France pour l’indépendance du Viêt Nam, son pays devenu Indochine française. Déporté à la Nouvelle en 1914, jamais il ne repartira pour son Tonkin natal. Photographe de profession, il s’installe et refait sa vie à Nouméa. Durant la Première Guerre mondiale, il insistera pour aller combattre " les ennemis de la France ". Ca-Lê laisse derrière lui une importante correspondance grâce à laquelle son fils, Louis Calé, a pu remonter le cours de sa vie année après année. Zoom sur le parcours de Ca-Lê dans ce dix-neuvième épisode de notre saga consacrée aux familles issues du bagne.

    "Le vrai nom de notre père est Le Manh Doan. Lorsqu’il a commencé à militer activement, notre père a changé son identité pour devenir Le Ngoc Lien. À son patronyme Le, le préfixe Ca a été ajouté car il est l’aîné de sa fratrie, c’est un signe de respect. Francisé, notre nom est donc devenu Calé."

    Louis tient entre les mains un livre aux pages fragiles et jaunies, l’écriture est serrée et appliquée. Ce sont des lettres, des centaines de lettres reçues et envoyées par son père à sa famille restée au Viêt Nam ou à l’administration pénitentiaire. L’histoire de sa vie. Autour de Louis, de nombreuses photos anciennes de Nouméa ornent les murs, là encore l’œuvre de son père.


    Louis Calé, un des enfants du déporté Ca-Lê. Photo DR

    La révolte du père

    " Notre père est un autodidacte. Il a appris seul le français et le mandarin. Puis en travaillant pour Kanh Ky, son ami employeur à Hanoï, il s’est familiarisé avec la photographie. A partir de 1909, il reçoit dans son atelier des membres d’une société dite secrète. Ce sont des intellectuels qui forment les cadres révolutionnaires. Ils se revendiquent comme des patriotes combattant le protectorat français. En 1913, les révolutionnaires commettent un attentat à la grenade, lancée sur la terrasse du café du Hanoï Hôtel.


    Ca-Lê en 1924, avec des Maréens. Photo DR

    Trois Français dont deux officiers sont tués. Les services de la sûreté française réussissent à identifier les membres de cette société. Notre père et son ami Phan Tuan Phong, un des leaders du groupe, sont arrêtés. Les deux sont internés à la prison centrale de Hanoï le temps de l’instruction, puis la cour criminelle les condamne le 5 septembre 1913 à la déportation simple pour "complot contre la sûreté de l’État et association de malfaiteurs". Il a 32 ans et quatre enfants qu’il laisse à la charge de son frère car son épouse est décédée. Il est, avec d’autres déportés indochinois, envoyé en Nouvelle-Calédonie à bord du Calédonien. Ils arrivent le 16 mai 1914.

    D’île en île

    " Après quelques jours à l’île Nou, tous sont transférés au pénitencier de l’îlot Brun, alors infesté de moustiques. Dans une carte qu’il envoie à son fils Phuc, Ca-Lê réclame des livres, du tabac, des granulés et une moustiquaire avec insistance.


    Le pénitencier de Maré, où Ca-Lê resta pendant huit ans. Photo DR

    En 1916, après deux ans à l’îlot Brun, tous les déportés indochinois sont transportés vers le nouveau centre pénitentiaire créé à Maré. Ca-Lê demande alors au procureur général l’autorisation de demeurer hors du camp afin de mieux pratiquer son métier de photographe. Il obtient cet accord pour lui et les autres. Les déportés sont désormais autorisés à vivre et circuler hors des limites de la pénitentiaire mais tenus de ne pas quitter l’île de Maré. Notre père loue alors une parcelle de terrain à Tadine et fait construire une case pour y installer son atelier photo.


    Le studio de photo de Ca-Lê en 1939. Photo DR

    Avec d’autres compatriotes, ils construisent les tombeaux de trois de leurs compagnons décédés, l’un sur l’île en 1917 et les deux autres à Nouméa, en 1919 et 1924, au cimetière du 4e Km. En 1997, je suis allé à Maré et j’ai pu voir que cette tombe existe toujours à Tadine. Au centre pénitentiaire, il n’y avait pas seulement des Vietnamiens, quelques autres déportés simples étaient là, tels que Louis Berton ou les Arabes de Tunisie Belkacem ben El Hadj Messaoud Leboudi et Aoun ben Ali Douadi.

    Le 16 novembre 1916, Ca-Lê et un de ses compagnons de déportation déposent une requête adressée au président de la République, en vue d’aller combattre les Allemands sur le front en France (lire ci-dessous). Requête refusée.

    Retour à l’île Nou

    " En 1922, le délégué du service local interdit aux indigènes de Maré tout contact avec les déportés. Ca-Lê s’insurge et écrit au procureur général. Il demande qu’on lui rembourse la patente de 57 francs qu’il a réglée puisqu’il ne peut plus exercer son activité. Ca-Lê se démène pour s’en sortir. Affaibli, il tombe malade et demande à consulter un médecin à Nouméa. L’année suivante, il est définitivement affecté à l’île Nou tandis que ses deux amis Phan et Bui sont libérés et retournent tous les deux au pays.


    L’épouse de Ca-Lê et ses enfants devant le studio. Photo DR

    Après un an dans les prisons de Hanoï, Haïphong et Saïgon, deux ans au bagne de l’îlot Brun et huit années au centre pénitentiaire de Maré, notre père est libéré en mai 1924.

    Le 31 octobre, il obtient une remise entière de sa peine. Alors âgé de 43 ans, il n’a pas les moyens de payer le trajet pour repartir. Il s’installe à Nouméa où il travaille comme ouvrier dans l’atelier photographique de M. Ventrillon.

    Nouvelle vie, nouvelle famille


    Départ de Suzanne pour le Tonkin en 1931 avec sa mère et son petit frère qui décédera sur place. Photo DR

    " Notre mère, Nguyen Thi Thinh, est née vers 1900. C’est une pauvre couturière du Tonkin arrivée en Nouvelle-Calédonie en 1927 avec d’autres compatriotes. Elle rencontre rapidement notre père et ensemble ils vivent en union libre. Notre sœur aînée Suzanne naît l’année suivante, tandis que les enfants du premier lit de Ca-Lê sont tous décédés, notamment de la tuberculose. Après la naissance de leur deuxième enfant, notre mère décide de repartir au pays quelque temps, elle embarque sur le Dumont d’Urville.

    Notre frère décède là-bas d’une septicémie.

    Notre père est très connu des différentes communautés du territoire. Les Maréens viennent souvent lui rendre visite, d’autant plus qu’il parle leur langue.

    Après le départ de son épouse, Ca-Lê fait un premier voyage en Australie, où il restera deux mois. À son retour, il crée sa propre affaire, Ca-Lê Photo. La famille est de nouveau réunie et s’agrandit : Léon, Noël, Liliane et moi naissons. Nous sommes nés apatrides et avons choisi d’être Français. Nous avons été naturalisés à l’âge adulte.


    Ca-Lê à Sydney lors de son premier voyage en Australie. Sa femme et ses enfants étaient alors repartis au pays. Photo DR

    Notre père est très connu des différentes communautés du territoire. Les Maréens viennent souvent lui rendre visite, d’autant plus qu’il parle leur langue. Les Calédoniens qu’il fréquente sont surtout des hommes de gauche tels que Paladini, Jeanson, Martinetti ou Maître Bourdinat. Les Vietnamiens, les Chan Dang, qui arrivent de plus en plus nombreux et qui, pour la plupart, ne savent ni lire ni écrire et à peine parler le français, viennent au studio de photo, avenue de la Victoire, pour demander conseil ou de l’aide pour remplir des formalités administratives. Les années passent. Ca-Lê travaille toujours dans la photo et son affaire marche bien car il est l’un des rares photographes de l’époque à faire du studio et du reportage.


    La devanture du studio photo dans les années 1940. Photo DR

    Lors de ses reportages en Brousse, il partait avec sa voiture, la Licorne, accompagné de son neveu Chi, venu de Hanoï pour le rejoindre en 1938. Chi m’a raconté combien notre père était populaire et très connu. Beaucoup de gens l’interpellaient et le saluaient en cours de route. Il arrêtait la voiture sur le bord du chemin pour aller dire bonjour et discuter avec les cantonniers.


    La voiture de reportage de Ca-Lê, lors d’une tournée en Brousse. Photo DR

    En juin 1942, notre père décède des suites d’une appendicite aiguë, à l’âge de 62 ans. Lors de son enterrement, Bac Nho, un de ses employés, avait installé son gros appareil photo à soufflets sur un trépied pour photographier le cortège. Je n’ai jamais réussi à retrouver cette photo que je continue de chercher.


    La femme et les enfants de Ca-Lê portant le deuil du photographe, décédé en 1942. Photo DR

    Notre mère, devenue veuve, nous a mis au travail tôt. Puis elle est repartie dans son village natal. Elle y est décédée en 1979. Nous, les enfants, sommes restés en Nouvelle-Calédonie où nous avons fait souche. "

    Maré le 16 novembre 1916 : Monsieur le président de la République

    Les soussignés déportés politiques à l’île de Maré Ha Trieu Nguet, mandarin militaire de Dao Muong, de Diên Lu, province de Thanh Hoa, et Le Ngoc Lien, photographe, déportés pour avoir voulu l’indépendance de leur pays, ont l’honneur de vous supplier de les autoriser à aller combattre aux côtés de leurs compatriotes et parents, contre les ennemis de la France. Nous sommes et demeurons avant tout des Annamites mais dans la lutte actuelle où se joue le sort du monde et se pose la question de l’hégémonie allemande, nous estimons que le devoir de patriotes de tous les pays est de lutter contre la plus abominable et la plus détestable des dominations, celle qui résulterait de la victoire allemande et consommerait à jamais la ruine des plus légitimes espérances.

    Nous réclamons une place dans ce grand combat, pour la liberté du monde. Et si après, il plaît au gouvernement français de nous gracier, nous serions heureux. Sinon nous reprendrons la vie d’exil avec la satisfaction du devoir accompli.

    Veuillez agréer Monsieur le président…

    Note

    Cette série sur les destins de familles issues de la colonisation pénale, tirée du livre Le Bagne en héritage édité par Les Nouvelles calédoniennes, est réalisée en partenariat avec l’Association témoignage d’un passé.

    Cet article est paru dans le journal du 9 juillet 2016.

    Une dizaine d’exemplaires de l’ouvrage Le Bagne en héritage, certes un peu abîmés, ainsi que des pages PDF de la parution dans le journal sont disponibles à la vente. Pour plus d’informations, contactez le 23 74 99.

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