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    Nouvelle Calédonie
  • LNC | Crée le 15.12.2024 à 05h00 | Mis à jour le 15.12.2024 à 05h00
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    Unique portrait du déporté Julien Dolbeau. Le port de la barbe est très important : ce signe le distingue des condamnés de droit commun qui, eux, n’y avaient pas droit. Photo DR
    Plus de 140 ans après l’arrivée de son arrière-grand-père à Nouméa, Claude Cornet, descendante du déporté Julien Dolbeau, travaille encore au recensement des communards. L’ancienne directrice d’école s’est passionnée pour l’histoire de son aïeul et de ses compagnons d’insurrection. Seule une petite partie d’entre eux a fait souche en Nouvelle-Calédonie. Si Julien Dolbeau est reparti en Métropole, ses enfants ont réussi, malgré bien des malheurs, à donner vie à une longue lignée. Zoom sur le parcours de cet ancêtre dans le trentième épisode de notre saga consacrée aux familles issues du bagne.

    "Mon arrière-grand-père, communard exalté paraît-il, est également un ancien militaire ! " Ce détail a priori contradictoire de la vie de Julien Dolbeau amuse Claude Cornet. Attablée à son bureau enseveli sous les nombreux documents récoltés depuis qu’elle s’est plongée dans la vie des communards, l’ancienne institutrice raconte volontiers l’histoire de sa famille.

    Elle est, comme l’étaient ses parents et grands-parents avant elle, très fière de ses origines : " Rien n’était caché.

    Mon père était hâbleur mais il devait y avoir un fond de vérité dans ses histoires, il nous racontait qu’il avait été baptisé, qu’on lui avait versé du champagne sur la tête et j’ai gardé une petite montre de gousset qui fut le cadeau de sa marraine. Nous ne nous considérions pas comme descendants de bagnard. Julien Dolbeau était déporté et il tenait à porter la barbe pour ne pas être confondu avec un transporté. Quand un membre de la famille épousait un descendant de droit commun, ça jetait un froid ! "


    Claude Cornet, l’arrière-petite-fille de Julien Dolbeau, mène un énorme travail d’inventaire. Elle a notamment recensé la quasi-totalité des déportés en Calédonie. Photo DR

    Le parcours de l’aïeul de Claude Cornet est à l’image de celui de nombreux déportés politiques. " À l’époque de l’insurrection, notre communard est lampiste, marié et père de deux enfants. Il fabrique des appareils d’éclairage et son épouse Marie les vend dans leur magasin du XIIIe arrondissement. Il est allé faire le coup de feu à la Butte-aux-Cailles, haut lieu de combat des fédérés.

    Après un premier jugement qui le condamne à cinq ans de détention, mais qui est cassé pour vice de forme, le 4e conseil de guerre le condamne, le 18 novembre 1871, à la déportation simple et à la dégradation civique, le tout assorti de circonstances atténuantes.

    Il commence par être détenu au fort Boyard. C’est là que certains condamnés attendent les navires pour embarquer.

    Avant son départ, il écrit une lettre au ministre de l’Intérieur : " J’ai l’honneur de vous adresser cette demande afin d’obtenir pour ma femme, Marie Dolbeau, et mes deux enfants l’autorisation de me suivre au lieu indiqué pour y subir la peine de déportation simple qui m’a été appliquée." Dolbeau va voyager sur l’Orne, le 5e convoi de déportés.


    À gauche, Marie Dolbeau, femme du déporté. À droite, Julien Dolbeau et son épouse Marie à Angers, tout à la fin de sa vie. Photo DR

    Ce bateau est un des rares à n’avoir pas fait escale au Brésil pour se réapprovisionner en agrumes, ce qui explique sans doute le nombre impressionnant de cas de scorbut à bord, 419. Le commandant voulait écourter le voyage !

    Mon arrière-grand-père débarque à l’île Nou le 4 mai 1873, il a alors 36 ans. Comme beaucoup de déportés condamnés sans surveillance, il est autorisé à résider à Nouméa. En attendant sa femme accompagnée de Reine et de Jules, qui arrivent par le Fénelon quelques mois plus tard, il loue une maison à la vallée de l’Infanterie (la future Vallée-des-Colons). L’administration, soucieuse de ne pas avoir trop de condamnés à charge, a autorisé l’envoi en Nouvelle-Calédonie de sa caisse de 40 kilos d’outils.


    La famille Dolbeau à un mariage à Nakéty. Jules et Lucie sont entourés de cinq de leurs six enfants : Julien, Constant, Cyprien, Michel et Émilie. Photo DR

    Il peut donc s’installer comme ferblantier. Comme à Paris, Marie travaille. Elle tient une épicerie de détail.

    Les années passent et sa situation prospère. Une fois sa peine remise en 1877, il achète du terrain et devient propriétaire d’un demi-hectare en face de l’ancienne école Elise-Noellat sur lequel il fait construire plusieurs petites maisons en bois pour se loger et travailler. Julien Dolbeau, à l’image de bon nombre de communards, était un ouvrier, mais également un artiste.

    Communard aux mains d’or

    " Il obtient une médaille d’argent à l’Exposition de 1876, puis une en bronze l’année suivante. Mais surtout, il sera plus tard distingué par un diplôme et une médaille de bronze à l’Exposition universelle d’Anvers en 1885 grâce à ses travaux en zinc et notamment une tête de sanglier en relief qui orne l’arrière-comptoir d’une boucherie au centre de Nouméa ! Il remporte également le marché de la ville pour le remplacement des lanternes.


    La lettre écrite par Julien Dolbeau pendant l’attente au fort Boyard. Il demande que sa femme et ses enfants puissent le rejoindre sur le lieu de sa déportation. Photo DR

    Un extrait du procès-verbal du conseil municipal de la séance du 23 mars 1882 stipule : "Ce marché de gré à gré me paraît avantageux pour la commune, attendu l’habileté reconnue du fournisseur Dolbeau." Pour preuve également de son statut honorable, lui qui avait été condamné à la dégradation civique en 1871 est élu au conseil municipal de Nouméa quinze ans plus tard, et bien élu ! Il obtient au premier tour 173 voix sur 363 votants, et rejoint après le second tour le conseil du maire Charles Simon.

    Le groupe des communards restés en Calédonie après l’amnistie est très soudé. Ils se côtoient, pour beaucoup, à l’intérieur des loges maçonniques, mais pas seulement. En 1882, Cyprien Armand, un autre communard, préside au Café national les réunions de l’Union démocratique de propagande anticléricale. Aux côtés de mon arrière-grand-père, le journaliste Eugène Mourot et le dentiste Pierre Joulin font partie du groupe. Des années après, nous avons nous aussi été élevés dans un milieu athée. "


    Jules et Lucie avec le petit Georges, Émilie, Michel, Julien, et Constant. Photo DR

    En 1893, Julien Dolbeau quitte la Calédonie avec sa femme et son troisième enfant, né à Nouméa, pour ne plus y revenir. Devenu handicapé, il choisit de mourir dans sa maison à Angers. " Peu après le départ de Julien, ses enfants restés en Calédonie quittent Nouméa pour la Brousse. Reine et son mari s’installent à Nakéty et travaillent dans l’exploitation d’une mine de cobalt. Mon grand-père Jules part avec sa famille pour Kouaoua. Deux de ses enfants naissent là-bas, et il est même élu président de la commission municipale.

    À son retour à Nouméa, sans doute formé par son père, il ouvre à son tour un atelier de ferblanterie rue de Sébastopol. Pour lui aussi les affaires se développent bien. Dans une carte postale envoyée à sa grand-mère, Michel, mon oncle, raconte que Jules a acheté un break ! Tout le monde ne possédait pas une telle voiture, quelle richesse pour un fils de communard ! Il écrit qu’avec la voiture ils vont se baigner à Saint-Louis, c’est le grand chic à l’époque ! "

    La famille décimée

    En 1920, Marie Dolbeau, veuve, revient en Nouvelle-Calédonie avec Léonie sa fille cadette et le fils de celle-ci.

    Un an plus tard, une série noire s’abat sur la famille et les décès accidentels vont se succéder jusqu’en 1927.

    " Le premier à partir est mon grand-père Jules, d’un vulgaire accident de vélo en 1921. Le journal relate l’accident : "Hier matin vers 6 heures, M. Dolbeau descendait à bicyclette la route de l’Anse-Vata lorsque, arrivé près de la place d’armes et voulant éviter un tas de cailloux, il alla se jeter sur les brancards d’une jardinière qui porte les vivres à la prison civile. Blessé grièvement à la poitrine, M. Dolbeau est mort dans la soirée des suites de son accident."


    À gauche : Jules et Lucie Dolbeau au moment de leur mariage. À droite : Constant et son petit frère Georges, le père de Claude Cornet, en 1914. Georges deviendra menuisier-ébéniste, un métier qu’il a appris aux côtés de son frère Constant. Légende 11 Jacques Dolbeau, le frère de Claude Cornet, posant au côté de sa maman. Photo DR

    Après Jules, son fils Michel décède lui aussi d’un accident. Il se noie en 1925 pendant une tragique partie de pêche. Avec le fils d’un de ses amis âgé de 13 ans, ils étaient partis du côté de l’îlot Maître. Le mauvais temps les a surpris, leur embarcation a chaviré. Seul le jeune Porterat a réussi à regagner la rive après deux heures de nage et malgré le vent et la pluie. Le malheur familial ne finit pas là.


    Cette photo, annotée par Lucie Domergue, la fille de Reine, montre le terrain acheté par Julien Dolbeau à la Vallée-des-Colons. Photo DR

    Deux ans plus tard, Julien l’aîné de la fratrie est assassiné. Le corps n’a jamais été retrouvé. Mon père ne nous a jamais vraiment parlé de cette histoire. Julien a été poignardé par une maîtresse pour une sombre histoire d’adultère. Et dire qu’il était revenu vivant du front de la guerre de 14 avec son frère Cyprien lui aussi engagé !

    Mes recherches sur la famille Dolbeau sont arrivées à leur terme, même s’il reste toujours quelques détails que l’on apprend au fil du temps. En revanche, l’histoire des communards dans son ensemble mérite que l’on s’y penche encore. J’ai réalisé un gros travail d’inventaire. Pour chaque déporté, j’ai noté son métier, ses dates d’arrivée, de départ, de naissance et de décès, et quel bateau l’a transporté. Je suis presque arrivée au bout, personne n’avait fait cela avant, mais malheureusement, je bute sur une dizaine de noms…

    J’espère parvenir un jour à lever tous ces mystères. "


    Jacques Dolbeau, le frère de Claude Cornet, posant au côté de sa maman. Photo DR

    Extrait du Journal du Havre du 26 juillet 1873

    " Le Fénelon compte à son bord 560 passagers, la plupart sont des femmes. Elles n’ont guère, pour tout bagage, que de menus objets de cuisine, de lingerie et les économies qu’on a pu réaliser depuis six mois, en songeant tous les jours à ce grand voyage. L’administration leur donnait droit à 300 kilos de bagages. Il s’en faut de beaucoup qu’elles aient eu toutes le poids réglementaire. Aucune, parmi ces malheureuses émigrantes, n’a de mobilier à emporter si loin, et d’ailleurs, elles se sont arrangées de façon à embarrasser le moins possible le navire qui les transporte en Nouvelle-Calédonie. Entreprendre un pareil voyage pour aller reconstituer la famille sur une terre d’exil, et entrevoir, pendant cette longue traversée, des dangers de toutes sortes… N’est-ce pas là du dévouement et de l’abnégation ? "

    Note

    Cette série sur les destins de familles issues de la colonisation pénale, tirée du livre Le Bagne en héritage édité par Les Nouvelles calédoniennes, est réalisée en partenariat avec l’Association témoignage d’un passé. Cet article est paru dans le journal du samedi 2 avril 2016.

    Une dizaine d’exemplaires de l’ouvrage Le Bagne en héritage, certes un peu abîmés, ainsi que des pages PDF de la parution dans le journal sont disponibles à la vente. Pour plus d’informations, contactez le 23 74 99.

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