- LNC | Crée le 24.11.2024 à 05h00 | Mis à jour le 24.11.2024 à 05h00ImprimerA gauche, Honoré Coulon, surveillant militaire, arborant la médaille d’honneur pénitentiaire coloniale dont il a été distingué le 30 mai 1910. A droite, Françoise Ferrer, l’épouse d’Honoré Coulon, avec qui il aura douze enfants. « Une petite bonne femme t Photo DRDes îles du Salut en Guyane à l’île Nou, Honoré Coulon, surveillant militaire décoré de la médaille d’honneur pénitentiaire coloniale, a fini sa carrière puis sa vie en Nouvelle-Calédonie. Lorsqu’il s’éteint en 1935, Betty, sa petite-fille de 4 ans, est là, dans la maison familiale. La fillette a aujourd’hui 85 ans. Accompagnée de sa nièce Yolande Morandeau, elle ravive ses souvenirs de jeunesse. Dans ce vingt-septième épisode de notre saga consacrée aux familles issues du bagne, découvrez un témoignage rare d’une génération qui s’en va peu à peu.
"Mon grand-père était gendarme à cheval en Algérie. C’est là qu’il a rencontré ma grand-mère, Françoise Ferrer, issue d’une famille originaire des Baléares, elle prononçait d’ailleurs Ferreré. Ils se marient en 1886, mais pour s’unir il a dû démissionner ! En effet, pour épouser un gendarme, ma grand-mère devait fournir une dot, dot qu’elle n’avait pas. C’est ainsi qu’il a quitté la gendarmerie et a intégré quelques années plus tard, le corps des surveillants militaires. "
Yolande Morandeau et sa tante Betty Serda, arrière-petite-fille et petite-fille du pionnier Honoré Coulon. Photo DRAssises face à la mer sur les hauteurs de Dumbéa, Betty et Yolande tentent de faire revivre Honoré Coulon, leur grand-père et arrière-grand-père. La généalogie complète de leur grande famille est un paquet d’une cinquantaine de feuilles posé sur la table, un long travail de recherches effectué par Yolande.
Betty n’a que sa mémoire pour tout document. Si ses yeux sont fatigués et l’obligent à user d’une grosse loupe pour confirmer un nom ou un visage, sa mémoire, elle, reste intacte. " Ensemble ils ont eu douze enfants, je les ai tous connus, sauf Louis. Ma mère Louise est la sixième de la fratrie. J’ai également épousé un gendarme, en 1957. Ma mère aussi s’est vu demander ma dot, mais je n’avais
qu’une vieille armoire…"
Courrier d’Honoré Coulon au ministre des Colonies, écrit à Bou-Medfa en Algérie, en date du 28 septembre 1892, dans lequel il se présente comme ex-gendarme et rappelle qu’il a postulé en juin de la même année à un emploi de surveillant militaire en Nouvelle-Calédonie. Photo DRLa vie du camp
Grâce au livret militaire fourni par Ghislain Coulon, un cousin installé en Australie, Yolande a retracé le parcours professionnel d’Honoré : " Après avoir démissionné de la gendarmerie, il reste en Algérie et est nommé garde forestier domanial le 30 novembre 1888, jusqu’en mai 1892, date à laquelle, marié et déjà père de trois enfants, il devient surveillant militaire de troisième classe. Bien qu’il postule pour la Nouvelle-Calédonie, c’est en Guyane qu’il est d’abord envoyé. Plusieurs enfants sont nés là-bas, à Saint-Laurent-du-Maroni et aux îles du Salut. Revenue en Métropole, la famille embarque à Marseille et débarque à Nouméa le 20 septembre 1900. Honoré a été en poste à l’île Nou. Deux de ses filles, Lucie et Gabrielle, sont nées à Nouméa. "
Sabre d’Honoré Coulon. Le musée de Bourail dispose de plusieurs effets du surveillant, dont une malle. Photo DRBetty allait souvent à l’île Nou : " Ma mère m’y emmenait, elle me faisait visiter, elle me montrait la boulangerie, les casernements, elle adorait se souvenir de sa jeunesse. Elle a habité là entre 3 et 12 ans. Il y avait des bals une fois par mois. A ces occasions, tous les enfants du camp étaient regroupés dans une grande salle sur des nattes pour être gardés. Ma mère me racontait aussi que quand ils partaient à l’école, les prisonniers-boulangers leur faisaient passer à travers les meurtrières des petits bouts de pâte à pain crue et des mangues. Mon grand-père avait pris un jeune condamné en pitié. Ce jeune lui disait qu’il était innocent, qu’il n’avait pas tué, du coup il le faisait dormir sous l’escalier, à l’écart des autres. "
Yolande découvre que les états de service d’Honoré font mention de blessures. "Blessé au-dessus de l’œil gauche d’un coup de sabre d’abattis dans le Haut-Maroni, Guyane française. Le 25 octobre 1906, a été atteint au bras gauche et à la jambe gauche par un madrier de 7 m de long étant au déchargement du voilier Général Foy. Ce madrier aurait pu le tuer s’il ne s’était pas garé à temps." En 1898, il accède à la seconde classe puis dix ans plus tard à la première classe. L’année suivante, en décembre 1909, il prend sa retraite. " À l’époque, l’État devait donner un terrain. La famille part donc s’installer à Nessadiou."
Le couple Louise et Paul Quilichini. Louise, la mère de Betty, s’unit également avec un descendant de transporté, comme sa sœur aînée Honorine Verlaguet. Photo DRPuis la vie aux champs
Betty connaît cette maison familiale. " Il y avait une grande allée de cocotiers pour arriver, ma mère et ma grand-mère l’ont plantée. Ensemble, elles ramassaient le coton. Françoise, l’épouse d’Honoré, était une petite bonne femme très douce. On me disait, parce que moi aussi je suis toute petite, "tu es comme ta grand-mère, tu ne pousses pas !" Une fois par semaine, Honoré faisait le pain. La pâte reposait puis montait dans la journée, il la faisait cuire le soir et, au milieu de la nuit, il réveillait ses enfants pour leur donner à manger un bout de pain chaud ; le reste devait faire la semaine.
Mon grand-père s’est éteint dans son lit, un grand lit en métal. Son chien s’est couché à côté et s’est laissé mourir.
Leurs enfants ont vécu avec eux, sauf Honorine. L’aînée s’est mariée tôt avec Philippe Verlaguet, un descendant de bagnard, une union rare pour l’époque. Le couple est parti s’installer à Nouméa. Puis, les quatre garçons en âge d’être mobilisés sont partis à la guerre. Raphaël a été gazé mais il est revenu en Calédonie. Henri est resté à Paris, il avait rencontré sa femme. Les pauvres n’ont pas eu de chance, leur fils unique, Maurice, est décédé pendant la Seconde Guerre mondiale. Ma tante est morte de chagrin six mois plus tard (lire ci-dessous). La deuxième femme d’Henri, Elvire, elle, est morte centenaire ! À l’époque on ne fréquentait pas les garçons comme aujourd’hui.
Les quatre filles de Louise Coulon et Paul Quilichini. Betty est la fillette aux boucles blondes assise avec sa poupée. Photo DRMa mère m’a raconté que sans le dire à personne elle voyait mon père en cachette. Lui aussi est parti à la guerre, ils se sont promis de se marier s’il revenait. " Ils ont tenu leur promesse, Louise a épousé Paul Quilichini le 16 novembre 1918. Un deuxième gendre descendant de pénaux entre dans la famille ! Ils ont déménagé pour Nouméa où il est devenu douanier. Le couple a eu cinq enfants, Paulette Morandeau, la mère de Yolande, Odette Lavoix, Suzanne Niautou, Betty Serda, puis Raymond qui a fait sa vie en Australie.
Le départ du pionnier
Devenus trop âgés pour cultiver, le pionnier et sa femme sont venus habiter le quartier du Faubourg-Blanchot. Les visites familiales étaient fréquentes. Yolande était emmenée partout en ville chez ses tantes, mais avant elle, Betty aussi allait de maison en maison : " Quand j’allais voir mon grand-père, il était assis avec sa canne et son chien, un vrai patriarche à moustache. Il avait scié les pieds de sa chaise, elle était très basse. Et pour me dire bonjour, il remuait cette canne dans ma direction en disant "bonjour ma petite". Il s’est éteint dans son lit, un grand lit en métal. Son chien s’est couché à côté et s’est laissé mourir. Son épouse Françoise lui a survécu douze ans. Elle est décédée à Nouméa en janvier 1947 d’une crise cardiaque. "
Maison familiale au Faubourg-Blanchot. Dans cette maison se sont éteints Honoré en 1935, puis Françoise Coulon en 1947. Photo DRÀ la manière des Calédoniens de sa génération, Betty connaît la vie et la descendance de tous ses oncles et tantes et de ceux qui ont rejoint la famille Coulon par mariage. Les anecdotes ne manquent pas : " La femme de Louis est morte en couches, c’est notre grand-mère qui a élevé les jumeaux. Edouard, lui, a épousé son infirmière pendant la guerre, elle était beaucoup plus âgée que lui ! " Si sa mère racontait volontiers ses souvenirs d’enfance à l’île Nou, le père de Betty, Paul, était très secret. Descendant de bagnard, il n’en parlait pas. Yolande a appris le passé de sa famille par son cousin, Louis-José Barbançon : " Il est le premier à en avoir parlé. Nous assistions à ses conférences. De là, toutes les recherches ont débuté. Dans notre famille rien n’était caché mais nous parlions peu. Pour connaître les détails, nous avons dû consulter les archives. C’est une démarche parfois longue et fastidieuse, mais qui me paraît importante. "
Honoré médaillé
La médaille d’honneur pénitentiaire coloniale dont Honoré Coulon a été distingué le 30 mai 1910.Honoré Coulon a reçu la médaille d’honneur pénitentiaire coloniale (arrêté du 30 mai 1910), instituée par le décret du 27 octobre 1898. Cette distinction est attribuée par le ministre des Colonies aux surveillants des établissements pénitentiaires coloniaux comptant une ancienneté de service irréprochable d’au moins vingt ans, dont dix passés dans les services pénitentiaires coloniaux, ou qui se sont signalés par des actes exceptionnels de courage et de dévouement dans l’exercice de leurs fonctions. Le verso de la médaille représente le faisceau de licteur, emblème des surveillants militaires.
Maurice Coulon, le résistant
"Le 17 juin 1943, à 2 heures du matin, une troupe forte de plus de 200 soldats italiens, munis d’un matériel puissant, attaquait le maquis du Lanfont tenu par une cinquantaine de jeunes réfractaires n’ayant pour toute défense que deux fusils-mitrailleurs, quelques fusils, mousquetons et pistolets […] Mais de notre côté on déplorait deux morts : Prisset Jean, d’Alby-sur-Chéran et Coulon Maurice, de Paris […] Coulon Maurice, né le 16 juillet 1922.
Volontaire. A été tué glorieusement sur son fusil-mitrailleur le 17 juin 1943 alors qu’il protégeait de son feu, à très courte distance, le mouvement de ses camarades contre-attaquant un adversaire très supérieur en nombre et en moyens qui avait réussi à s’emparer de leur chalet et de leurs approvisionnements. "
Note
Cette série sur les destins de familles issues de la colonisation pénale, tirée du livre Le Bagne en héritage édité par Les Nouvelles calédoniennes, est réalisée en partenariat avec l’Association témoignage d’un passé. Cet article est paru dans le journal du samedi 3 septembre 2016.
Une dizaine d’exemplaires de l’ouvrage Le Bagne en héritage, certes un peu abîmés, ainsi que des pages PDF de la parution dans le journal sont disponibles à la vente. Pour plus d’informations, contactez le 23 74 99.
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