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    Nouvelle Calédonie
  • LNC | Crée le 08.09.2024 à 05h00 | Mis à jour le 08.09.2024 à 05h00
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    A gauche : Louis-François Bouteille, fils de Louis, a installé durablement la famille à Arama, à Poum. A droite : Emma Piamoa, épouse Bouteille, la femme de Louis-François, au mariage de sa petite-fille Armelle et d’Yves Bienfait, le 6 janvier 1968 à Noum Photo DR
    Né en un temps où la justice ne montre aucune pitié envers les jeunes égarés, Louis Bouteille connaît les affres de la prison dès son enfance. Que peut réserver la vie après un départ d’une telle violence ? Dans son cas, des séjours réguliers en cellule puis un aller simple pour l’île Nou. Mais aussi une belle rencontre avec Capeta, dame de Canala à l’ascendance prestigieuse, avec qui il vivra le restant de ses jours libres et fondera une lignée immense. En tandem avec sa sœur Claudia, Denise Bienfait-Def est la narratrice de ce seizième épisode de notre saga consacrée aux familles issues du bagne.

    "C’est une histoire que j’ai déterrée en 1993, quand j’ai commencé mes recherches. Je dis "déterrée" parce que la vie de Louis Bouteille était un grand tabou dans la famille, à tel point que lorsque je l’ai révélée au grand jour, j’ai subi les foudres d’une de mes grands-tantes. Au fur et à mesure des transmissions orales, la véritable raison de son départ pour la Nouvelle-Calédonie avait été transformée en un roman à l’eau de rose, une histoire de crime passionnel qui aurait poussé mon arrière-arrière-grand-père à fuir la France en abandonnant sa belle. La réalité, bien moins charmante, je l’ai découverte grâce aux travaux de José Raillard, qui a trouvé le dossier de Louis dans les archives d’Aix-en-Provence. À l’intérieur, pas de photo de lui, mais une chose qui a encore bien plus de valeur à mes yeux : la vérité sur ce qu’a été sa vie."

    Le chaos de l’enfance

    "Les Bouteille, c’est la branche espagnole de notre ascendance. À l’origine, c’était d’ailleurs Botella. Le nom a été francisé au début du XIXe siècle, au moment où Joseph et Marguerite Bouteille, les parents de Louis, traversent la frontière pour échapper à l’instabilité politique du royaume d’Espagne. Ils s’installent à Bordères-sur-l’Echez, un petit village tout près de Tarbes, au pied des Pyrénées, et Joseph trouve du travail comme manœuvre.


    Emma et Louis-François, entourés de leurs enfants, probablement dans les années 1950. Photo DR

    C’est au domicile familial qu’a lieu le premier drame de la vie de Louis, en 1846, trois semaines avant sa naissance. À l’âge de 39 ans, Joseph décède des suites d’un accident domestique, je n’en sais pas plus. Ce n’est pas le meilleur départ dans la vie, et la suite ne sera pas mieux. Louis vit vraisemblablement une enfance assez chaotique. Il écope de sa première peine de prison à l’âge incroyable de 8 ans. Six jours de cellule pour un vol. Mais c’est à l’âge adulte, alors qu’il a fait sa vie de terrassier à Bordeaux, que les ennuis vont s’accumuler au rythme effréné des condamnations : six autres jours d’enfermement pour abus de confiance à l’âge de dix-sept ans, un mois puis quinze autres pour complicité de vol à vingt ans. Puis un vol qualifié, et c’est le crime de trop.

    Excédée, la cour d’assises de la Gironde décide de frapper fort. Le 4 juin 1868, Louis est condamné à huit ans de travaux forcés. Dans les renseignements qui accompagnent sa description physique – 1,65 m, les yeux gris-vert, le nez épaté, le teint coloré – et son état civil, il est décrit comme "un homme très dangereux".


    L’acte qui a scellé le destin de Louis Bouteille : sa condamnation à huit ans de travaux forcés, datée du 4 juin 1868. Photo DR

    Le bagnard et la grande dame

    "Embarqué sur la frégate l’Alceste dans la rade de Toulon, Louis débarque le 16 septembre 1869 à Nouméa et devient le matricule 2407. Au bagne de l’île Nou, il apprend un nouveau métier, celui de boulanger. Il poursuivra cette activité après sa libération, le 8 juin 1876, quand l’administration lui accorde une concession urbaine à Canala. Là-bas, Louis refera sa vie sans histoire. Il fait la rencontre de Capeta, une femme mélanésienne. Sa Capeta, ce n’est pas n’importe qui. C’est la fille du grand chef Mindia de Houaïlou, c’est aussi la sœur du grand chef Apoupia de Houaïlou et c’est enfin la nièce de Nondo, chef de guerre de Gélima, le grand chef des Canala.


    Nouméa, 6 janvier 1968. Armelle Bouteille et Yves Bienfait, entourés de Gaston Bouteille et Marcelle Newland, les parents de la mariée. Photo DR

    Capeta est donc une dame de haut rang. Elle a déjà eu cinq enfants avec un autre Européen, Antoine Pétazig. Elle en aura quatre autres avec Louis, et notamment mon arrière-grand-père, Louis-François, né en 1886.

    Son immense descendance a fondé plusieurs grandes familles dans le Nord, ce qui aurait suffi à faire de lui un personnage de notre histoire. Son caractère en a fait un patriarche."

    Le fief de Balaguette

    "Éduqué chez les frères maristes, Louis-François devient un jeune homme très instruit. Il est tout proche de devenir prêtre mais ne prononce finalement pas ses voeux. Il a d’abord un fils avec Elise Kabeu, sa première compagne. Il épouse ensuite une dame de Poindimié, Emma Piamoa, mon arrière-grand-mère, avec qui il aura douze enfants. Alphonsine, la quatrième de la fratrie, fera encore mieux : seize en un seul mariage !

    À chaque réception de La France Australe, la famille avait droit à la lecture puis aux commentaires du chef de famille.

    Emma et Louis-François n’ont pas fait les choses comme tout le monde : ils se sont mariés après la naissance de leur dernier enfant, Charles, en 1929. Je ne sais pas exactement à quand remonte le déménagement de Canala vers Balaguette, à Arama (à Poum), mais j’ai la preuve que Louis-François reçoit des terres de son cousin Édouard, fils de Capeta et d’Antoine Pétazig, qui lui fait don de 25 hectares. C’est sur cette propriété que Louis finira sa vie, en 1917, et que la famille vivra en autarcie pendant des années.


    Dumbéa, 8 décembre 1995. Claudia, à gauche, Denise, à droite, et leur frère Laurent. Photo DR

    Les enfants ne vont pas à l’école : Louis-François s’occupe lui-même de leur instruction, il fait classe à la maison. C’est un chef de famille extrêmement strict, très autoritaire. Mes cousines ont le souvenir très net de Louis-François sur son cheval pendant que le reste de la famille, Emma comprise, marchait sous un soleil de plomb.

    À chaque réception de La France Australe, un quotidien qui arrivait par le caboteur du Tour de côte, la famille avait droit à la lecture puis aux commentaires du chef de famille.


    Dumbéa, 23 avril 2016. Les deux narratrices et leurs filles. De gauche à droite : Claudia Bienfait-Arii, sa fille Audrey Arii, Denise Bienfait-Def et Cindy Def. Photo DR

    Et tout le monde écoutait religieusement, assis autour de la table. Il n’y avait pas le choix de toute façon ! Cette manière de vivre tous ensemble dans une grande maison a marqué la famille sur plusieurs générations. Et même si ma sœur et moi vivons aujourd’hui dans les environs de Nouméa, bien loin d’Arama et de la maison familiale, c’est notre éducation, notre identité. Pour toujours."

    Le fils perdu de Capeta et Louis

    L’union de l’ancien bagnard et de la fille de chef est acceptée par la tribu de Canala. Comme le veulent les règles, leur premier enfant devra être donné à la chefferie. Mais lorsque son fils voit le jour, Capeta refuse de l’abandonner. Elle le garde jalousement. Malheureusement pour elle, on n’échappe pas aussi facilement à la coutume. Au bord de la rivière, une poignée de jours plus tard, la maman délaisse son bébé quelques instants, pour laver un habit ou remplir un récipient. Lorsqu’elle revient vers lui, le nourrisson n’est plus là. Quelqu’un l’a enlevé et le cachera loin d’elle. Capeta reste seule avec son désespoir pendant vingt-quatre longues années. Le jour d’un grand pilou, elle aperçoit un jeune homme qui ne ressemble à aucun autre. Il a la peau claire et les yeux bleus. Capeta n’a aucun doute, c’est son fils. Ivre de bonheur, elle veut l’emmener, mais on ne la laisse pas faire. Le lendemain matin, le garçon a été tué.

    Note

    Cette série sur les destins de familles issues de la colonisation pénale, tirée du livre Le Bagne en héritage édité par Les Nouvelles calédoniennes, est réalisée en partenariat avec l’Association témoignage d’un passé.

    Cet article est paru dans le journal du 7 mai 2016.

    Une dizaine d'exemplaires de l'ouvrage Le Bagne en héritage, certes un peu abîmés, ainsi que des pages PDF de la parution dans le journal sont disponibles à la vente. Pour plus d'informations, contactez le 23 74 99. 

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