- Charlotte Mannevy / AFP | Crée le 30.05.2024 à 16h21 | Mis à jour le 30.05.2024 à 20h01ImprimerAu sud de Bourail, un barrage filtrant en mode broussard, accueille les automobilistes. Photo Charlotte MannevyUne île dans une île : à Bourail, les habitants vivent comme "coupés du monde" et inquiets pour l’avenir, malgré le relatif retour au calme que connaît le Grand Nouméa après deux semaines d’émeutes.
Si les 5 500 habitants de Bourail ont assisté à distance au déchaînement de violences qui s’est produit ces derniers jours dans le Grand Nouméa, les nombreux barrages qui entravent la circulation et les difficultés d’approvisionnement compliquent le quotidien de la commune.
Le maire Patrick Robelin, 65 ans, est inquiet. Depuis le 13 mai, son village, situé à 167 kilomètres de Nouméa, soit à deux heures de voiture habituellement, "est complètement enclavé", dit-il.
"En ce moment, on se croirait sur une île au milieu de nulle part, coupés du monde, à attendre qu’un bateau vienne éventuellement nous ravitailler", raconte l’ancien directeur d’école, non indépendantiste mais élu sur une liste plurielle.
L’unique rue du village, habituellement très animée, est quasi déserte. La commune est le point névralgique de tout le centre de la Grande Terre. Éleveurs isolés, habitants des tribus montagneuses viennent s’y ravitailler, tout comme ceux de la côte Est, moins bien achalandée.
Les agriculteurs tirent la langue
Depuis que la tension est redescendue le week-end dernier, le patron de l’épicerie prend chaque jour la route pour ramener de quoi remplir ses rayons. Le supermarché, lui, ouvre seulement deux heures par jour.
"En ce moment, les barrages sont filtrants, pas bloquants, mais jusqu’à quand ?", s’interroge Patrick Robelin. "On a réussi à avoir un camion de carburant, mais la station-service est réservée aux forces de l’ordre et aux professions prioritaires, ça commence à créer des tensions".
Les agriculteurs, piliers de l’économie locale, tirent la langue. D’ici peu, ils ne pourront plus labourer leurs champs, faute de gasoil.
Avec son conseil municipal, Patrick Robelin a mis en place une cellule de crise. Puisque l’on ne peut plus passer par la route, un quai de débarquement a été aménagé dans l’urgence en bord de mer.
Médicaments apportés par la mer
Mercredi, L’Amborella, navire scientifique du gouvernement calédonien, a déposé une cargaison de médicaments pour le pharmacien et le vétérinaire et quelques denrées commandées par les commerces de la zone. "Mais, puisqu’on ne sait pas combien de temps la situation va durer, on voudrait mettre en place des rotations avec une barge de 800 tonnes. Là, on pourrait vraiment être tranquilles d’esprit, et surtout faire venir du carburant".
L’idée d’une rotation par la mer séduit également les agriculteurs, dans l’incapacité d’acheminer leurs produits vers Nouméa, leur principal débouché.
Pour que L’Amborella ne fasse pas le voyage à vide, Franck Soury-Lavergne, membre de la Coop1, est venu de La Foa, avec ce qu’il a pu collecter chez ses adhérents : "de la salade, des mandarines, des tomates, des concombres, etc."
"Tout est déjà vendu à nos clients de la capitale, explique l’agriculteur, qui aimerait que l’opération soit renouvelée. Là on doit avoir trois tonnes, c’est déjà ça, mais c’est peu. La situation économique était déjà difficile, et maintenant on se retrouve avec nos produits sur les bras, tandis qu’à Nouméa, ils manquent de tout !"
Autre secteur vital pour la commune, le tourisme est totalement sinistré. La station balnéaire de Poé, au bord du lagon turquoise, est totalement désertée.
"Même ici, loin des affrontements de Nouméa, on va avoir une crise économique terrible", redoute Patrick Robelin, avant de foncer vers une nouvelle urgence : ramener par la route, depuis Nouméa, des enfants partis en voyage scolaire dans l’Hexagone, tout juste rentrés après 15 jours d’attente par un vol de rapatriement.
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