- Charlie Réné / Radio1 Tahiti | Crée le 24.11.2024 à 15h00 | Mis à jour le 24.11.2024 à 15h00ImprimerLa criée encore active en 2014. La salle qui y était dédiée sert aujourd’hui de salle de stockage pour une des grandes sociétés d’armement et de mareyage du port. Photo Tamarii pointe des pêcheurs / PolynésieC’est une des questions posées par le Conseil économique, social, environnemental et culturel (Cesec) dans son avis, unanimement favorable, sur la réforme du statut des marins-pêcheurs en Polynésie. Plusieurs armateurs demandent le retour de cette criée, où les poissons sont vendus au plus offrant, afin de mieux valoriser les prises et diversifier les acheteurs. Celle de Papeete avait été peu à peu délaissée au profit de la vente de gré à gré, jusqu’à son arrêt complet en 2019. Sa relance permettrait pour certains de mieux rémunérer les équipages. D’autres parlent d’une " fausse bonne idée " : le retour de la criée nécessiterait d’importants investissements de mise aux normes, des formations d’experts, et engendrerait des coûts supplémentaires. Le débat reste ouvert. Notre partenaire Radio1 Tahiti fait le point sur la situation.
Unanimité, au Cesec, cette semain, pour adopter l’avis favorable sur la réforme du statut des marins-pêcheurs. Il faut dire que le texte, négocié depuis deux ans, et qui avait fait des remous jusque dans la passe de Papeete, est issu d’un compromis trouvé à la toute fin du mois d’octobre entre le gouvernement, les syndicats de salariés et les armateurs. Chacun y avait mis un peu du sien pour trouver un statut qui soit soutenable pour la filière, pas trop coûteux pour les comptes publics et surtout plus protecteur des pêcheurs, qui y voient des avancées en matière de congés, de retraites ou de protection sociale. Difficile donc pour le conseil de remettre en cause cet accord aux équilibres fragiles. Mais l’institution a tout de même fait des recommandations sur l’organisation de la filière. Notamment celle de recréer une " criée " sur le port de pêche.
Plus de criée à Papeete depuis cinq ans
La " criée ", c’est un mode de vente emblématique des quais et marchés du monde entier. Traditionnelle ou informatisée, elle consiste à mettre face à la pêche du jour, soigneusement triée, pesée et " gradée " par des experts, l’ensemble des acheteurs professionnels. Des mareyeurs et transformateurs qui se départagent les poissons et les lots au plus offrant, ou au plus rapide. Si la pratique a toujours cours dans de nombreux ports français et internationaux, elle n’a plus lieu depuis 2019 dans l’enceinte du port de pêche de Papeete et son marché d’intérêt public. À la Chambre territoriale des comptes, qui s’était interrogée sur cette disparition, les gestionnaires du port avaient expliqué que les pratiques de vente avaient tout simplement " évolué " d’elles-mêmes. Et il est vrai que la criée, dans ses dernières années, n’attirait plus que la portion congrue des prises de la flotte hauturière : l’essentiel du poisson, et la totalité aujourd’hui, sont vendus de gré à gré, au travers de contrats d’approvisionnement récurrents entre armateurs et mareyeurs.
Poissons " mieux valorisés " et nouveaux mareyeurs sur le marché
Mais certains ne satisfont pas de cette situation. " La disparition de la criée s’avère être un facteur de diminution des prix ", écrit le Cesec, qui préconise, après auditions de différents professionnels, la remise en place d’un espace " répondant aux normes techniques et sanitaires réglementaires " au sein du port de pêche pour " permettre d’améliorer la fixation des prix ". Lors de la séance de cette semaine, c’est Moana Maamaatuaiahutapu, gérant de plusieurs thoniers et représentant des armateurs au sein du conseil consultatif, qui s’est fait l’avocat de cette recommandation.
Bateaux de pêche dans le port de Papeete. Photo Radio1 TahitiÀ l’entendre, les professionnels voient ce retour comme une nécessité pour " mieux valoriser le poisson ", et notamment les 40 % de prises qui ne sont pas du thon blanc. Gros thon rouge, mahi mahi, saumon des dieux et autres " divers "… La criée permettrait de faire grimper les offres sur les plus belles pièces, et de faire venir, en plus des " gros mareyeurs ", de plus petits acheteurs, potentiellement " des jeunes qui pourraient prendre une patente ". De quoi multiplier les débouchés et rendre les prix " beaucoup plus transparents ".
Raufea Ariipeu, président de la Coopérative maritime des producteurs de pêche hauturière, abonde dans le même sens, en rappelant que les marins-pêcheurs, dont une partie du salaire est dépendante de la recette de chaque campagne, ont tout à gagner du retour de la criée. Les propriétaires de bateaux, eux aussi sont à la recherche de meilleure valorisation " pour faire face aux charges qui ont grimpé ces dernières années ". " En plus ça nous permettrait de nous remettre en question au niveau de la qualité des produits qui sortent des cales à poissons ", reprend l’armateur. Important vu les ambitions de la filière, qui a débarqué 8 676 tonnes de poisson du large l’année passée. Pour écouler les 18 000 tonnes espérées à terme par les autorités, il faudra bien sûr se tourner davantage vers l’export.
" Beaucoup moins utile qu’ailleurs "
Pourtant, les avis ne sont pas unanimes sur le sujet. Parmi les armateurs et gestionnaires du port, certains rappellent que le système " avait été peu à peu abandonné parce qu’il n’intéressait plus grand monde " avant 2019. La structuration verticale de certains groupes de pêche, qui sont à la fois armateurs et mareyeurs – c’est-à-dire vendeurs et acheteurs de poisson – et les importantes concentrations économiques sur le port – Vini Vini et Ocean Products représentent près d’une trentaine de bateaux et une part prépondérante de la commercialisation – rendraient la criée " beaucoup moins utile qu’ailleurs ". " Pour qu’elle puisse vraiment influer sur les prix, il faudrait que toute la pêche passe par là, note un professionnel, s’il y a déjà plus de la moitié du poisson qui est négocié avant, ça ne sert pas vraiment ".
Des coûts d’investissement… et de formation
Surtout, le rétablissement d’une criée passe par des investissements importants, comme l’a noté Patrick Galenon lors de la séance du Cesec. " Quand vous voyez en France comment ça marche, ou au Japon, aux États-Unis, ce sont des professionnels qui font le grading, qui jugent la qualité du poisson. Et les installations doivent être aux normes, explique le secrétaire général de la CSTP-FO. Aujourd’hui nos installations ne sont plus aux normes, donc il faudrait investir plusieurs dizaines de millions et il faudrait avoir des professionnels, des gens qui connaissent ". Des professionnels qu’il faudra payer : vu les quantités qui pourraient transiter par la criée, le système risquerait, d’après le syndicaliste, de faire grimper les prix, et pas au bénéfice des pêcheurs. " Sur le fond, pourquoi pas, on peut être favorable au principe, mais qui va payer ? " s’interroge-t-il.
Un débat qui n’est donc pas tranché, mais qui pourrait avoir une place, dans les mois et année à venir, dans les réflexions menées à Fare Ute. Le port autonome, qui doit réattribuer dans les semaines qui viennent l’exploitation de son port de pêche – jusque-là assurée par la Sem S3P, seule candidate du nouveau marché – travaille sur un réaménagement complet et un agrandissement de cet espace jugé stratégique au développement économique du fenua. En plus de la commande de nouvelles tours à glace, de la création de nouveaux quais, des questions se posent sur l’avenir des bâtiments du marché d’intérêt territorial. " Le minimum c’est de se poser la question de la criée à cette occasion ", précise un gros armateur.
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