- Charlie Réné | Crée le 21.08.2018 à 05h57 | Mis à jour le 21.08.2018 à 05h57ImprimerUne minorité des cahiers de revendications a abouti à des conflits, et tous les conflits ne s’expriment pas par la grève, qui reste souvent, d’après les syndicats « la dernière voie ».Davantage de cahiers de revendications, davantage de conflits… Les difficultés économiques ont pesé, ces dernières années, sur le climat social en Nouvelle-Calédonie.
Front commun entre le Medef et l’Intersyndicale sur la TGC. Échanges publics entre la Finc et l’USTKE sur le modèle économique et social. Cri d’alarme rassemblant représentants des salariés et des chefs d’entreprise à propos de la situation de trésorerie de la Cafat. Côte à côte devant les micros, ou dans les instances politiques, les partenaires sociaux ont montré ces derniers mois que les traditionnelles lignes de fractures pouvaient être dépassées. En tout cas quand il s’agit de ferrailler avec l’autorité publique. Car, si ces alliances ponctuelles entre patronat et syndicats pourraient laisser croire à un climat social constructif et apaisé, les chiffres cassent la belle image. En baisse depuis 2008, et le « changement de cap » entrepris par les grosses centrales syndicales pour davantage de dialogue, la conflictualité dans les entreprises et les administrations connaît un léger rebond depuis 2015. Une hausse très observable en 2017 et confirmée au premier semestre 2018, comme le montrent les chiffres de la Direction du travail et de l’emploi. La DTE, qui reçoit et recense les conflits sociaux dans le pays, a enregistré 33 protocoles de fin de conflit en 2017, contre 27 l’année précédente et seulement 20 en 2015.
Les règles de la négociation collective sont encore largement méconnues.
LES DIFFICULTÉS ÉCONOMIQUES ONT PESÉ
Des chiffres qui ne sont que partiels - nombre de conflits se règlant sans communication, ou par des « transactions » qui restent discrètes - mais qui constituent un bon indicateur du climat social. Deux ans de hausse, après plusieurs années de stabilité, que s’est-il passé ? « Le contexte économique a visiblement pesé, explique Christelle Denat, chef de service des relations du travail à la DTE. On a des employeurs plus frileux à faire des démarches prospectives au niveau des projets d’entreprise, des syndicats plus inquiets sur l’emploi, sur l’évolution des salaires. Ça participe à un climat plus tendu, plus électrique ». Les salaires, justement, sont en tête des thèmes abordés par les 114 cahiers de revendications déposés l’année dernière, devant la sécurité au travail et la défense des droits individuels. « On se rend tout de même compte que les cahiers de revendications ne sont plus utilisés seulement pour aller vers le conflit, mais sont un outil pour provoquer la discussion, continue la spécialiste, dont le service est intervenu, en plus de l’accompagnement usuel des salariés, dans 57 situations conflictuelles en 2017. On est de plus en plus contacté pour une action de prévention du conflit, plutôt que d’intervention ».
Reste que les conflits sociaux, et les grèves, « la dernière voie quand le dialogue ne passe pas » assurent les syndicats, restent fréquents sur le Caillou. 11 mouvements sur le seul premier semestre 2018, marqué notamment par un conflit important à la SLN. L’année « a commencé fort » reconnaît-on à la DTE.
FORMER À DIALOGUER
Les chiffres restent bien loin de ceux des années de plomb, où des grèves bloquaient l’ensemble de Ducos ou dérivaient en conflits violents. « Beaucoup a été fait en peu de temps du côté du dialogue social, rappelle Laure Charlier, la directrice de l’Institut des relations sociales (IRS-NC) qui propose des formations rassemblant direction et représentants de salariés. Mais on se rend compte que les règles de la négociation collective, comment on signe ou comment on dénonce un accord par exemple, sont encore largement méconnues ». L’objectif est, pour l’IRS-NC que « les délégués au sein des entreprises, qui connaissent le problème de près, puissent mener eux-mêmes des discussions ». « Et il y a encore beaucoup à faire dans ce sens, notamment dans les petites entreprises », insiste sa directrice notant au passage que le recours aux centrales est de plus en plus systématique. Pour favoriser le dialogue, il faut former, mais aussi réformer : après l’accord sur les moyens humains des syndicats en 2016, le chantier sur les règles de représentativité patronale a été lancé. Celui de la réforme des instances représentatives du personnel est « en attente ». Autant d’éléments qui doivent pour les autorités, limiter le nombre de conflits du travail. Mais pas les supprimer. « On a énormément d’exemples où des idées innovantes ont été mises en place à l’occasion d’un conflit, reprend Christelle Denat. Des mécanismes pérennes, qui profitent à la fois aux salariés et à l’entreprise. Mais pour les trouver, il faut éviter que le conflit dégénère. Et accepter de discuter, au plus tôt, pourquoi pas avec l’aide d’un tiers ».
Il faut, quoi qu’il arrive, changer les mentalités
MAGDA BONAL-TURAUD, DIRECTRICE DU TRAVAIL ET DE L’EMPLOI
Le léger « rebond » de la conflictualité ces dernières années est-il selon vous lié aux difficultés économiques ?
Les causes sont toujours multifactorielles. Certains observateurs pourraient dire que la proximité du référendum a contribué à faire augmenter les chiffres. Chacun dans sa façon d’analyser les conflits de travail peut y retrouver l’influence de différents éléments d’actualité. La question de la tension sur le marché de l’emploi a joué et a peut-être été amplifiée par le contexte politique que connaît la Nouvelle-Calédonie. Faire la pondération entre ces éléments, et il peut y en avoir d’autres, je ne m’y risquerai pas.
La conflictualité avait baissé avec le développement du dialogue sociale, à partir de 2008. Ce travail est-il arrivé à son terme ?
Le dialogue social n’a pas de début ou de de fin, c’est un chantier continu, qui a effectivement commencé par les sessions de 2006 et 2007. Mais améliorer le dialogue social, ça n’est pas supprimer la conflictualité. C’est trouver d’autres sources de règlement des conflits. La revendication reste et n’est pas problématique en ellemême : tous les cahiers de revendications n’amènent pas à un conflit, mais ils mènent tous à une discussion. Ce qui est sûr et c’est le résultat de ce travail, c’est que des conflits marqués par la violence, comme celui de Carsud ou celui du rondpoint de la SLN font plutôt partie du passé.
La Calédonie dispose-t-elle des outils suffisants pour favoriser le dialogue social ?
L’investissement dans ces outils est continu : les pouvoirs publics accordent, depuis presque 10 ans, des subventions aux partenaires sociaux (90millions en 2018, NDLR) pour avoir des moyens humains, faire appel à des expertises, mener des réflexions. Des lieux, comme le conseil du dialogue social, ont été créés pour favoriser l’échange entre organisations patronales et syndicats de salariés. Et des outils d’aide à la compréhension du droit ou à l’accompagnement dans certaines démarches ont été mis en place. Mais tout ce travail en amont ne supprimera pas les conflits de travail. Leurs causes sont multiples, mais il y a une poche de conflictualité qui est liée à notre système lui-même : les organisations syndicales, pour être fortes, doivent être visibles, mener des actions… Et finalement la conflictualité est indispensable pour avoir une certaine notoriété publique.
Il faut changer les règles du jeu ?
Il faut quoi qu’il arrive changer les mentalités. Le syndicat ne doit pas être considéré comme l’outil pour faire avancer une revendication personnelle, mais comme un partenaire à qui on fait confiance pour faciliter les relations dans l’entreprise. Pour y arriver, il y a peut-être des choses à changer dans notre réglementation, par exemple dans l’organisation des institutions représentatives du personnel. Et il faut regarder autour de nous, comme on l’a fait lors des sessions du dialogue social : certains pays limitent les négociations salariales à une période donnée, d’autres ont rendu obligatoire l’adhésion à un syndicat, dans d’autres, les organisations syndicales offrent des services en termes de santé ou de complémentaire retraite… À chaque fois, c’est la question du rôle du syndicat, de son expression en dehors de la conflictualité, qui est posée.
La DTE dispose aussi d’outils de concertation. Sont-ils assez connus et utilisés ?
Je crois que oui. Mais notre vocation n’est pas de couvrir tous les conflits sociaux. C’est de montrer que la conciliation est un outil sérieux qui peut être mobilisé très tôt pour arriver à une solution qui soit correcte entre toutes les parties. On fait ce travail de promotion, mais le secteur privé est très efficace et se développe dans le règlement à l’amiable des conflits.
REPÈRES
Vidéo : un oeil québécois sur le dialogue social
« Regards croisés sur le dialogue social calédonien ». C’est le nom de la série de vidéos à visée pédagogique réalisées par la DTE et proposée sur sa chaîne youtube (DTENC). Les divers intervenants, du patronat, des syndicats, ou de l’administration partagent les besoins de réformes du droit du travail et du dialogue social du pays. Mais surtout, ce sont Monique Richard et Jacques Lessard, deux experts québécois très expérimentés et habitués du Caillou qui y livrent leur avis et proposent des comparaisons internationales. De quoi prendre du recul sur le sujet.
Qui revendique le plus ?
D’après les chiffres de la DTE, la CSTC‐FO est le syndicat qui a rédigé le plus de cahiers de revendications devant l’Usoenc en 2017. Et ce sont aussi eux, avec l’UTSKE, qui ont participé au plus de conflits. Mais ces chiffres n’indiquent pas forcément qu’ils ont revendiqué ou obtenu plus que les autres : beaucoup de négociations ne passent pas par la rédaction d’un cahier.
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