- Gros planPar Esther Cunéo | Crée le 12.10.2018 à 06h33 | Mis à jour le 12.10.2018 à 14h34ImprimerEquipés de station d’épuration, les navires de Carnival ne rejettent que des eaux traitées à plus de 12 milles nautiques au-delà des limites du lagon. Photso Julien CinierPrésent dans les eaux du Caillou depuis 85 ans, le leader mondial du marché de croisière, tient à y rester. Le groupe Carnival qui occupe 80 % du marché local, a présenté hier les actions engagées pour limiter l’impact environnemental de ses bateaux de croisières en Nouvelle-Calédonie, destination de choix pour ses clients.
« Nous investissons 73 millions de dollars américains par an pour baisser nos émissions. » Jennifer Vandekreek, vice-présidente du groupe Carnival Cruise Line, leader mondial du marché de la croisière, est venue, en personne, à Nouméa présenter les « engagements » de la compagnie en matière « de protection de l’environnement » et souligner « l’importance qu’elle accorde au respect des populations locales ». Une attention qui prend une résonance particulière, quelques jours après les réquisitions du parquet de Marseille contre le groupe Carnival, dans un dossier concernant la pollution de l’air (lire ci-contre). Simple coïncidence ? « Complètement, on prépare cette visite depuis longtemps, et on a découvert cette affaire en même temps que vous », assure-ton sur le pont du Carnival Spirit. Si le navire de croisière, mouillé au grand quai du Port autonome, ouvre ses portes à la presse, c’est aussi pour faire connaître « la plus grande entreprise de voyage au monde » et « les opportunités économiques » qu’elle représente. P&O Cruise Australia, Princess Cruise, Carnival Cruise line, Holland America Line, P&O Cruises UK, Costa Cruise… Le groupe occupe 85 % du marché en Nouvelle-Calédonie, avec 374 escales en 2018.
La Nouvelle-Calédonie est très clairement une destination qui compte à nos yeux.
« C’est très clairement une destination qui compte à nos yeux », souligne un représentant du groupe. « Une eau cristalline, des plages incroyables, une culture authentique avec une partie française, et une partie kanak, et un climat juste parfait : la Nouvelle-Calédonie a tout ce qu’on veut », résume Jennifer Vandekreek.
Présent dans nos eaux depuis 85 ans, le groupe a bien compris que pour y rester, il fallait montrer patte verte. « Nous avons réduit de 26,3 % nos émissions de CO2 depuis 2005, signale la vice-présidente. Quant à la qualité du carburant, on devrait atteindre une teneur de soufre maximale de 0,5 % au 1er janvier 2020. » Objectif conforme au plafond mondial de l’Organisation maritime internationale entériné en 2016.
Jennifer Vandekreek, vice-présidente de Carnival, présente les équipements de traitements des déchets solides. Crédit photo Julien Cinier
Le groupe se félicite notamment d’être « à la pointe de l’innovation, » avec la mise en circulation des deux premiers navires équipés de moteurs hybrides alimentés au gaz naturel liquéfié. Neuf autres navires de ce type sont d’ailleurs déjà commandés.
Eaux grises, eaux noires
Après traitement, les eaux « grises » (douches, vaisselles) du Carnival Spirit sont rejetées au minimum à 12 milles nautiques au-delà des limites du lagon. Idem pour les eaux « noires », celle des toilettes et des WC, mais seulement après leur traitement par une station d’épuration. Le groupe revendique à ce titre un « impact faible ». Martine Cornaille, présidente de EPLP, n’est pas tout à fait du même avis. « Les stations d’épuration les plus sophistiquées sont incapables de traiter les résidus de médicaments ou de pilules par exemple, qui rejoignent le milieu naturel, et modifient le sex-ratio de certaines espèces. » La présidente de l’association de défense de l’environnement questionne également les rejets d’eau douce dans un milieu marin.
« A-t-on une idée de l’impact qu’ils ont sur les écosystèmes coralliens ? Jusqu’où les milieux marins peuvent encaisser cette perturbation ? » A Lifou, où le site d’Easo reçoit des paquebots depuis 20 ans, on a su tirer profit du tourisme de croisière. Pour autant, certains habitants ne cachent pas leur inquiétude face au débarquement massif de touristes. « On a vu le littoral évoluer, et le corail perdre ses couleurs, commente un coutumier de Gaïtcha. Les tonnes de cocos verts coupés à chaque toucher de bateau, c’est difficile de ne pas les voir. »
Un impact certain sur la qualité de l’air, reste à savoir lequel
Deuxième port de France, derrière Marseille, avec ses 500 escales par an, Nouméa ne peut pas nier un éventuel impact sur l’environnement. Les effets sanitaires de la pollution maritime sur la cité phocéenne étant avérés, il n’y a aucune raison que la Calédonie soit épargnée face à l’afflux des paquebots de croisière. «On sait qu’il y a un impact. De quelle ampleur ces navires participent à la dégradation ? Ça reste à déterminer, » indique Philippe Escoffier, chargé d’étude à Scal’air. L’association devrait mener une étude sur leurs émissions en 2019 et 2020. « On est en train de développer un protocole d’analyse qui nous permette d’avoir des données fiables et exploitables, précise le chargé d’étude. On commencera sans doute par une phase de modélisation. »
A quai, le Carnival Spirit ne fait tourner qu’un seul moteur sur six. Crédit photo Julien Cinier
Procédé émetteur de poussières fines
La qualité du fioul, l’âge, la taille, la puissance du moteur, ainsi que leur nombre : il ne s’agira pas de faire des prélèvements, mais de glaner un certain nombre de paramètres pour déterminer une moyenne d’émission. L’outil de modélisation permettra également « d’établir des cartographies de concentration en polluants depuis leurs zones d’émissions, et selon divers scénarios météorologiques », indique Scal’air.
Si les résultats de ces travaux donneront la quantité des poussières qui retombent sur la ville, l’association espère être en mesure de donner également les concentrations en particules fines. La propulsion des navires et leur alimentation en électricité étant assurées par des microcentrales alimentées au fioul, le procédé est généralement très émetteur de poussières fines, d’oxydes d’azote et de dioxyde de soufre. De ces trois gaz, on estime que les plus dangereux, même à très petite dose, restent les particules fines (PM10) et les particules très fines (PM 2,5). C’est précisément celles-ci qui inquiètent EPLP. « Ce sont elles qui sont les plus dangereuses, car elles peuvent traverser les alvéoles pulmonaires pour rejoindre le sang » met en garde Martine Cornaille, présidente de l’association.
L’OMS partage le même constat : « même à faible concentration, la pollution aux petites particules a une incidence sanitaire ; on n’a identifié aucun seuil au-dessous duquel elle n’affecte en rien la santé. » En Calédonie, une loi relative à l’amélioration de la qualité de l’air ambiant a été adoptée l’année dernière. Mais à défaut d’un arrêté d’application, les seuils généraux n’ont pas été fixés.
Même à faible concentration, la pollution aux petites particules a une incidence sanitaire.
Aujourd’hui à 3,5%, la teneur maximale en soufre a été abaissée à 0,5% à partir de 2020 par l’Organisation Maritime Internationale (OMI), organisme des Nations unies en charge de la régulation maritime mondiale. C’est d’ailleurs la ligne de défense de l’Azura, le navire de Carnival, poursuivi par le parquet de Marseille pour dépassement du seuil de 1,5%. Limite qui, selon les avocats de la défense, ne s’applique pas à leur client.
Repères
Poursuivi pour pollution de l’air
Le parquet de Marseille a requis une amende de 12 millions de francs, en début de semaine, lors du procès du capitaine de croisière du paquebot L’Azura appartenant au groupe américain Carnival, suspecté par la justice d’avoir utilisé un fioul trop polluant. Le procureur a estimé que Carnival « a souhaité économiser de l'argent au mépris des poumons de tout un chacun ». La défense a contesté la législation française. Le jugement a été mis en délibéré au 26 novembre.
Une extension de la défisc’ ?
Le projet de loi de finances 2019, actuellement discuté à l’Assemblée nationale, devrait apporter des modifications à la défiscalisation nationale pour les étendre aux bateaux de plusieurs centaines de places, pour l'heure exclus de ce dispositif. La Fédération des entreprises d’outre-mer (Fedom), dont le Medef-NC est membre, a proposé cette modification. Les navires de la taille du Lapérouse (Compagnie du Ponant), qui devrait naviguer dans les eaux calédoniennes début 2019, notamment aux Chesterfield, seraient ainsi éligibles.
Déchets solides
Plastiques, verres, aluminium, etc. 40 à 50 % des déchets solides sont triés sur le navire, et ramenés en Australie pour y être recyclés.
Top 5
Lifou et l’île des Pins sont dans le top 5 des destinations préférées des croisiéristes dans le Pacifique.
« Les stations d’épuration les plus sophistiquées sont incapables de traiter les résidus de médicaments ou de pilules. »
Martine Cornaille, président de EPLP
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