- Baptiste Gouret | Crée le 02.10.2023 à 23h23 | Mis à jour le 03.10.2023 à 10h17ImprimerLes taux d’intérêt ont quasiment triplé en un an pour les crédits immobiliers. Ils atteignent désormais presque 5 %. Archives LNC/Thierry PerronAprès une année 2022 exceptionnelle, durant laquelle le nombre de transactions a explosé, les professionnels de l’immobilier sont confrontés à un important ralentissement du marché calédonien depuis quelques mois. La conséquence d’une hausse inédite des taux d’intérêt et d’une plus grande frilosité des banques. Explications.
Les trois années qui viennent de s’écouler n’ont fait que confirmer ce qu’on savait déjà : l’immobilier est un marché particulièrement inconstant. Après une année 2021 où les transactions ont été "au plus bas par rapport à ces dix dernières années", les professionnels du secteur ont profité d’un nouveau souffle en 2022 avec "25 %" de transactions supplémentaires, dévoile Jean-Damien Ponroy, président de la Fédération territoriale des agents immobiliers (FTAI). Une reprise de courte durée.
Des taux bientôt à 5 %
"La machine s’est grippée", poursuit ce dernier. Depuis le deuxième trimestre 2023, le secteur est frappé par une nouvelle crise. À l’image de ce qu’il se produit dans l’Hexagone, l’augmentation continue du taux directeur de la Banque centrale européenne se répercute sur le taux d’intérêt des banques calédoniennes. "Tous les mois, on prend 0,25 point, avec un décalage d’un mois par rapport au marché européen", fait remarquer le président de la FTAI. Ils approchent désormais dangereusement des "5 %", avec comme contrainte le taux d'usure au-dessus duquel les banques ne sont plus autorisées à prêter, écartant ainsi une frange importante des acquéreurs du marché de l'emprunt. Une remontée des taux particulièrement rapide, puisqu'ils ne dépassaient pas 2 % l’an dernier.
"On revient à ce qu’on connaissait il y a 15 ans", lâche Jean-Damien Ponroy. "Ça fait 10 ans que je suis dans l’immobilier en Calédonie, je n’ai jamais connu une telle situation", souligne pour sa part Alexandre Rodriguez, président de la Confédération des professionnels de l’immobilier, l’autre instance représentative du secteur.
Conséquence directe pour les potentiels acquéreurs : une baisse drastique de leur budget. "Si on prend l’exemple d’un prêt de 50 millions contracté il y a deux ans, le montant de son remboursement équivaut à celui d’un prêt de 35 millions aujourd’hui", illustre le président de la CPI. Ce qui revient, pour beaucoup de ménages, "à passer de l’achat d’un F5 à celui d’un F4", reprend Jean-Damien Ponroy.
Refus de prêts
Le marché calédonien est également fortement touché par le départ de milliers d’habitants ces dernières années. Archives LNC/Niko VincentAutre difficulté auquel est confronté le marché de l'immobilier : "l'assèchement des liquidités des banques", constaté en Europe et certaines régions du monde, semble avoir un impact sur les capacités des banques calédoniennes, indique le président de la FTAI. Disposant d’un volume d’argent moins important, les établissements bancaires se montrent davantage réticents à octroyer des prêts aux particuliers. "On a constaté des refus de prêts plus fréquents", signale Alexandre Rodriguez.
Par ailleurs, le passage du Caillou sous la barre des 270 000 habitants n’arrange rien aux affaires.
Les acteurs de l’immobilier devraient être les premiers à en payer le prix. "On s'attend à un impact direct sur les emplois, avec des fermetures d'agence ainsi que des répercussions dans le secteur de la rénovation et du neuf à l'instar de ce qui a été constaté dans l'Hexagone", prévient Jean-Damien Ponroy.
Aujourd’hui, la Calédonie compte un peu plus de cent agences immobilières actives. "C’est trop par rapport au nombre de transactions", assène Alexandre Rodriguez. Les deux fédérations n’entendent pas s’arrêter à ce simple constat et comptent "trouver des solutions" pour redynamiser le marché. Reste désormais à "attirer l’attention des politiques".
Bientôt la fin du financement des frais de notaire par les banques ?
Dernier maillon de la chaîne pour les transactions immobilières, les notaires sont directement touchés par le ralentissement du marché de l’immobilier. "La hausse des taux commence à poser problème", confirme Emmanuel Chenot. Le notaire associé du cabinet notarial Vata a déjà pu constater "une baisse de volume des compromis de vente". "L’excellente année 2022", entre rattrapage post-Covid, fin du cycle référendaire et taux particulièrement bas, a laissé place à un marché bouleversé. Avec, pour corollaire, "deux fois plus de refus de prêts", a constaté Emmanuel Chenot.
Des conséquences sur les finances publiques
Le retournement du marché de l’immobilier fait peser une autre menace sur l’activité des cabinets notariaux, mais aussi sur la capacité d’emprunt des Calédoniens : la fin annoncée du financement des frais de notaire compris dans les crédits immobiliers. Jusqu’ici, les droits de mutation, appelés plus communément frais de notaire, étaient inclus dans les emprunts contractés par les Calédoniens. Ce ne sera bientôt plus le cas. Une importante banque calédonienne aurait déjà définitivement exclu le financement de ces frais dans les emprunts qu’elle octroie. "Ce ne serait pas anormal qu’on arrive à une situation plus classique dans laquelle les droits de mutation ne seraient pas financés par les établissements bancaires, comme c’est le cas dans l’Hexagone", pense Lionel Wolff, président de la Fédération française des banques en Nouvelle-Calédonie.
Reste que cette décision pourrait écarter une frange de la population du marché de l’emprunt, incapable de débourser les sommes demandées pour couvrir ces frais. "Ça pourrait notamment devenir compliqué pour le marché du Nord, composé surtout de primo-accédants", fait remarquer Emmanuel Chenot.
La baisse du volume des transactions devrait aussi se faire ressentir sur les finances publiques, puisqu’une partie des droits de mutation tombe dans les caisses du gouvernement, des provinces et des communes.
Face au retournement de marché, les banques tentent de s’ajuster
Les refus de prêts se sont multipliés ces dernier mois en Calédonie.Comme celles de l’Hexagone, les banques calédoniennes ont fait face à "un tsunami", lâche Lionel Wolff, président du comité local de la Fédération française des banques (FFB), évoquant un marché de l’immobilier complètement chamboulé. Les taux de refinancement des banques en Calédonie atteignent désormais "environ 4,2 % et continuent de progresser", dévoile ce dernier. Un montant élevé qu’il faut toutefois relativiser, souligne-t-il, tant les taux pratiqués ces dernières années étaient particulièrement bas. "Ce qui est vraiment compliqué, c’est la vitesse de leur remontée."
Car si les taux directeurs des banques centrales grimpent actuellement de 0,25 point chaque mois, les règles encadrant les emprunts évoluent beaucoup moins vite. Le taux d’usure, plafond au-dessus duquel les banques ne peuvent pas prêter, ne suit pas la cadence et "freine la montée des taux de financement" pratiqués par les établissements bancaires. Ces derniers voient donc leurs marges réduites et "ne gagnent quasiment plus d’argent sur les crédits immobiliers et sont freinés dans leur capacité à accompagner les projets de leurs clients".
Des décisions plus difficiles
À cela vient s’ajouter le taux d’endettement, limité par le Haut conseil de stabilité financière (HCSF) à 35 %, qu’un nombre grandissant de dossiers atteint désormais. Conséquence : les refus de prêts se sont multipliés. "Les décisions sont devenues plus difficiles à prendre pour les banques, assure Lionel Wolff. Elles sont donc plus regardantes sur les critères d’emprunt", exigeant notamment de leurs clients un apport plus important. Ces différentes contraintes tendent néanmoins à se desserrer : le taux d’usure, jusqu’alors calculé au trimestre, est désormais mis à jour mensuellement pour permettre aux banques de suivre plus facilement la hausse des taux directeurs.
Dernière difficulté, la Nouvelle-Calédonie est un territoire structurellement en déficit de liquidités. Ce déséquilibre entre les dépôts et les crédit accordés incite les banques à procéder "à des arbitrages" et le crédit immobilier, produit phare mais aujourd’hui peu rentable, en paie le prix. "On est dans une période d’ajustements", souligne Lionel Wolff. Les prix des biens immobiliers seront sans nul doute touchés par ce retournement du marché, avec une baisse attendue dans les prochains mois.
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