- Anthony Tejero | Crée le 11.10.2023 à 17h19 | Mis à jour le 11.10.2023 à 18h53ImprimerEn parallèle des phases de tirs nocturnes, six types de pièges sont disposés pour augmenter l’efficacité de la campagne de régulation. Photo ANCBEliminer les lapins ensauvagés avant que leur population ne devienne hors de contrôle et qu’ils ne fassent des ravages sur la côte Ouest, c’est tout l’enjeu de la nouvelle campagne d’éradication que vient de lancer l’Agence néo-calédonienne de la biodiversité. Sur un site pilote de Kaala-Gomen, ces charmantes bêtes sont traquées de nuit à l’aide de nouveaux dispositifs, dont des lunettes thermiques et un silencieux.
Si leurs dégâts sur les écosystèmes restent limités, les lapins ensauvagés sont l’une des sept espèces exotiques envahissantes jugées prioritaires en Nouvelle-Calédonie. Au contraire des cerfs et des cochons sauvages ou encore des chats harets et des bulbuls, ils ne s’attaquent pas encore de manière alarmante à la flore et à la faune endémiques.
Mais alors pourquoi ces animaux si mignons sont-ils à ce point dans le viseur des chasseurs ? La réponse tient en deux mots : leur vitesse de reproduction. L’expression "chaud lapin" ne doit rien au hasard. Ces mammifères s’accouplent beaucoup et tout au long de l’année. Les femelles, qui sont fécondes dès l’âge de 4 mois, donnent en moyenne naissance à cinq lapereaux, et peuvent avoir jusqu’à sept portées par an.
14 milliards de francs de dégâts par an
"Si on n’intervient pas tout de suite, on ne pourra plus enrayer son expansion, avertit Patrick Barrière, le coordinateur du pôle menaces de l’Agence néo-calédonienne de la biodiversité (ANBC). L’animal pullulera comme en Australie ou en Nouvelle-Zélande où les autorités testent tout : chasse, piégeage, toxines, explosifs, virus hémorragiques… Plus rien ne fonctionne."
Les opérations sont menées en lien avec la Fédération de la faune et de la chasse de Nouvelle-Calédonie, à raison d’une campagne de tirs par semaine jusqu’à la fin de l’année. Photo ANCBSur l’île Continent, leur explosion démographique est d’ailleurs sans commune mesure. Introduits en 1859, les lapins de garenne ont désormais dépassé la barre des 200 millions d’individus et sont responsables de l’une des pires invasions biologiques mondiales. Car ces charmantes bêtes sont loin d’être inoffensives.
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Chez nos voisins, elles génèrent près de 14 milliards de francs de dégâts par an en ravageant les cultures agricoles et horticoles. "Leur action a rendu certains espaces agricoles totalement incultes, poursuit Patrick Barrière. En s’attaquant aux rares végétaux de ces zones arides, les lapins accélèrent les phénomènes de désertification et d’érosion."
Trente foyers sur la Grande Terre
En Nouvelle-Calédonie, une trentaine de foyers ont été recensés, essentiellement sur la façade Ouest, puisque les lapins supportent mal l’humidité. C’est donc dans les zones les plus arides du Caillou que se trouvent les bassins de population les plus importants, situés sur l’île Leprédour et dans la zone de Bouraké, à Boulouparis, ainsi que dans le secteur de Ouaco, entre Kaala-Gomen et Voh.
Répartition des lapins ensauvagés en Nouvelle-Calédonie. Photo ANCBSi le nombre de ces animaux nocturnes est encore difficile à évaluer, les spécialistes estiment à au moins un millier la population présente sur la Grande Terre. Quant à Leprédour, site historique de leur éradication, alors que plus de 20 000 lapins ont été abattus, certains individus font encore de la résistance, signe de la difficulté de se débarrasser de ces ravageurs.
Tirs nocturnes avec lunette thermique et silencieux
Pour éviter que la situation ne devienne hors de contrôle, l’Agence néo-calédonienne de la biodiversité vient donc de lancer une nouvelle campagne de régulation. Et pour se donner les moyens de ses ambitions, des techniques inédites et innovantes sont actuellement expérimentées.
La zone pilote retenue pour ce dispositif se situe au sud de Kaala-Gomen. Sur place, les chasseurs habilités procèdent à des tirs nocturnes grâce à une lunette thermique et un modérateur de son, des dispositifs interdits par le code de l’environnement en province Nord, qui bénéficient d’une dérogation.
"Cela permet d’être beaucoup plus discrets et donc efficaces qu’avec un projecteur. En un soir, nous avons par exemple abattu une douzaine de lapins, ce qui était impensable auparavant", assure Patrick Barrière, pour qui ce procédé présente un autre avantage de taille : mieux évaluer l’abondance des populations des foyers.
Bientôt des battues ?
En parallèle, des pièges sont également déployés dans les zones moins adaptées aux tirs, notamment à proximité des habitations et des aménagements.
Enfin, en complément de cette lutte, l’ANCB envisage de poursuivre son opération, l’an prochain, par des battues à l’aide de chiens pour traquer les derniers spécimens. Objectif : étendre, en cas de succès du dispositif, ces campagnes d’éradication à l’ensemble de la Grande Terre tant qu’il en est encore temps.
La lunette thermique permet de localiser le lapin de nuit sans l’effrayer et le faire fuir avec un projecteur. Photo ANCB"Nous avons de bonnes raisons d’être optimistes. Tout d’abord, la distribution des lapins est encore relativement limitée en Nouvelle-Calédonie car il s’agit d’un animal qui reste fidèle à son territoire, ce qui permet d’avoir des foyers bien délimités, assure le responsable du pôle menaces de l’ANCB. D’autres éléments jouent en notre faveur. Contrairement à l’île Leprédour, sur la Grande Terre, les lapins ne creusent pas de terriers et sont donc plus faciles à atteindre. Enfin, à la différence d’autres régions où il est devenu totalement incontrôlable, les périodes de pluie lui sont nuisibles. On peut donc espérer que la saison humide calédonienne constitue une sorte d’autorégulation."
Un espoir qui pourrait néanmoins être douché par le changement climatique, si les périodes de sécheresse s’avèrent de plus en plus marquées à l’avenir, notamment lors d’épisodes El Niño, hypothèse désormais privilégiée par les scientifiques.
Comment signaler des lapins ensauvagés ?
Les foyers de lapins ensauvagés ont été formés par des animaux domestiques qui ont été relâchés par leur propriétaire ou qui sont parvenus à s’échapper. L’ANCB rappelle qu’il ne faut surtout pas lâcher dans la nature cette espèce nuisible pour l’environnement et demande aux Calédoniens qui en verraient de signaler leur présence à la cellule de veille en composant le 753069.
"Le succès de la lutte dépend de notre capacité à intervenir sur site le plus rapidement possible, avant une installation pérenne", insiste Patrick Barrière.
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