- Anthony Tejero | Crée le 09.06.2024 à 13h08 | Mis à jour le 09.06.2024 à 13h17ImprimerVers 10 heures, à Ko Wé Kara, les électeurs arrivaient au compte-gouttes. Photo Anthony TejeroPlus de 220 000 Calédoniens sont appelés aux urnes aux élections européennes, ce dimanche. Un scrutin jugé "lointain" qui intervient sur fond de crise et de violences sans précédent engendrées par le projet de réforme électorale. Dans ce contexte, le "devoir de citoyen" est exacerbé chez bon nombre d’électeurs qui voient souvent dans leur vote une manière d’exprimer leur "attachement" à la France. Néanmoins, ils sont aussi nombreux à "avoir d’autres priorités" que de se rendre aux urnes. Reportage.
Fourgon militaire et gendarmes mobiles postés sur le parking face au mur d’escalade détruit par les flammes, policiers en poste à l’entrée de l’école… c’est un scrutin sous haute surveillance qui se déroule ce dimanche, sur fond d’exactions qui frappent le pays depuis quatre semaines. Un contexte inédit qui a impliqué une organisation sur-mesure. À l’image de l’école Michel-Amiot, à Nouméa, qui concentre à elle seule onze bureaux de vote habituellement répartis dans les quartiers de Ouémo, de Magenta et de la Vallée-des-Colons.
Police et gendarmes surveillent les bureaux de vote, ouverts de 7 heures à 17 heures. Photo Anthony TejeroVers 9 heures, la file d’attente s’allonge devant cet établissement scolaire où bon nombre d’électeurs ont tenu à venir exprimer leur voix. Un "devoir de citoyen" exacerbé en cette période de crise et d’émeutes engendrées par le projet de réforme électorale. "On a la chance de vivre en démocratie et c’est essentiel d’exercer notre droit de vote surtout dans ce contexte, estime Vanessa, 47 ans. J’espère que davantage de gens vont se mobiliser (qu’en 2019) pour ce scrutin ne serait-ce que pour montrer que la vie ne s’arrête pas à cause de la violence."
Loin d’être majoritaires parmi les électeurs présents ce dimanche matin, certains jeunes n’ont pas hésité à faire le déplacement. C’est le cas de Jade, 20 ans, qui vote pour la deuxième fois.
"Ce n’est pas mon cas car j’étais trop jeune, mais il y a de nombreuses personnes qui ont souhaité qu’on reste dans la France et j’estime que quand on veut être Français, cela implique certains devoirs, dont celui de se rendre aux urnes, glisse cette habitante de Sainte-Marie. En ce moment, on est nombreux à se taire face à tout ce qui se passe, mais je pense qu’il est important qu’on s’exprime et de montrer qu’on est mobilisés. C’est aussi une manière de prouver que beaucoup de gens de ce pays sont attachés à la France."
À 67 ans, Gilda est toujours allée voter. Photo Anthony TejeroÀ 67 ans, Gilda, originaire de Houaïlou n’a jamais manqué une élection. Et ce ne sont pas les violences qui frappent le pays qui la dissuaderont. "J’ai inculqué ce devoir à mes enfants : toujours aller voter. On a la nationalité française et la Calédonie est ainsi rattachée à l’Europe. Chacun ses opinions, mais en tant qu’enfant métisse du pays, je trouve important de faire entendre ma voix, explique cette habitante de la Vallée-des-Colons. Même si je ne m’étais pas sentie en sécurité, j’aurais foncé pour aller voter."
"On s’est beaucoup posé la question avant de venir"
Cette question de la sécurité a été centrale pour bon nombre de Nouméens qui se sont déplacés à Ko Wé Kara. Ce site concentre huit bureaux de vote des quartiers nord où les tensions sont encore palpables. Le déploiement des forces de l’ordre sur les axes stratégiques a été déterminant dans la prise de décision de Vanessa, 42 ans.
"On s’est beaucoup posé la question. Ce matin, on est d’abord partis en repérage à deux puis on est revenus chercher les autres quand on a vu que c’était sûr et qu’il n’y avait pas la queue car on en a assez de voir attendre pour tout, même si on se doutait qu’il y aurait peu de monde sur un scrutin européen, raconte, sourire en coin, cette résidente de la zone industrielle de Ducos. Je sais que l’Union européenne finance de nombreux programmes dans la région donc ce scrutin me parle. Le problème, c’est que chez nous, c’est encore tendu par moments le week-end. Ce n’était pas acquis d’avance de pouvoir venir."
Vanessa, de la zone industrielle de Ducos, n’est venue que parce que l’accès au bureau de vote était sécurisé ce dimanche matin. Photo Anthony TejeroCe n’est pas Mireille qui la contredira. Cette dame de Kaméré a longtemps hésité avant de prendre la route avec une amie. "On s’est bien renseignées avant, on a appelé la police et comme on a vu les forces de l’ordre présentes, on s’est sentis soulagées. On a besoin de les voir de jour comme de nuit en ce moment, raconte, en larmes, cette dame originaire du Nord, qui n’a plus de travail depuis les émeutes. Nous, on a déjà tout perdu en 1984, et là, on a l’impression de revivre la même chose. C’est très dur, mais on tenait à montrer qu’on est là pour exprimer notre voix."
Gaël, 31 ans, est venu voter depuis Logicoop, avec son père Manuel, 68 ans. Photo Anthony TejeroMême son de cloche chez Gaël, 31 ans, de Logicoop pour qui ce vote est avant tout "politique" dans le contexte actuel. "L’Union européenne, c’est loin et assez vague pour nous. Mais participer à ce scrutin, c’est être mobilisé avant tout pour montrer notre appartenance à la France."
"Pourquoi exprimer une voix qu’on n’écoute pas ?"
Marie-Ange et ses proches n’iront pas voter à ces élections européennes.Ce dimanche matin, les élections étaient loin d’occuper tous les esprits dans le centre-ville de Nouméa. Le long des quais Ferry, de nombreuses familles se baladent et profitent de la vue sur la petite rade pour se "ressourcer". Un programme qui n’inclut aucun passage au bureau de vote. "Ça ne m’intéresse pas. Nous, on cherche notre accès à la pleine souveraineté donc ça ne me traverse même pas l’esprit d’aller voter pour l’Union européenne, explique Patrick, de Lifou, qui du haut de ses 52 ans assure ne jamais avoir exprimé sa voix. Même pour les référendums, je n’y suis pas allé malgré mes convictions pour l’indépendance."
"Ma mission, c’est déjà de trouver du riz"
À quelques mètres de là, Marie-Ange, elle, n’ira pas voter en raison du contexte actuel. "S’il n’y avait pas eu cette situation dans le pays, j’aurais pu participer, mais on voit bien qu’en ce moment, on n’est pas entendus. Alors pourquoi exprimer une voix qu’on n’écoute pas ? interpelle cette femme de 43 ans, qui préfère profiter de ses proches en ce dimanche matin. Normalement, je vais toujours voter, même blanc. Mais cette fois-ci, il y a trop d’écœurement. Pour moi, la mobilisation politique la plus importante actuellement serait de remplacer l’ensemble de nos responsables politiques, tous bords confondus. Et pour être honnête, on a tellement l’esprit accaparé par ce qui se passe dans le pays que c’est très loin de mes préoccupations du moment l’Europe."
S’il s’est intéressé aux débats télévisés et à certains candidats de ce scrutin, Désiré a également une autre priorité ce dimanche : trouver du riz et de la farine. "Dans d’autres circonstances, je serais allé m’exprimer mais aujourd’hui, ma mission, c’est de trouver les aliments de base pour nourrir ma famille. Je vis dans un quartier où tous les commerces ont été détruits donc ce matin, j’essaie de faire le tour des grandes surfaces avant que ça ne ferme."
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