- Anthony Tejero | Crée le 06.11.2022 à 18h25 | Mis à jour le 21.03.2023 à 08h25ImprimerCette dame a du mal à contenir son émotion : "La société actuelle manque de repères et de respect. Est-ce un message contre le sénateur ou un simple acte de délinquance ? Dans tous les cas, on ne peut pas incendier ce qui symbolise le peuple, c'est incomp Photo Anthony TejeroL'histoire se répète. Incendiée en août 2020, la case du Sénat coutumier a de nouveau été détruite par les flammes, samedi soir. En quelques minutes, le fruit de longs mois de travail a été réduit à néant. De quoi susciter tristesse et incompréhension parmi les responsables de l'institution qui voient dans cet acte criminel une « tentative de déstabilisation ».
« Je ne sais pas quoi dire. C'est trop. C'est impossible de voir ça. » Les mots manquent, mais les larmes coulent le long des joues d'Atché, 69 ans. Prostrée dans le jardin du Sénat coutumier, cette dame originaire de l'aire Paicî-Cèmuhî observe, sidérée, les restes de la grande case partie en fumée quelques heures plus tôt.
Samedi, peu avant minuit, l'alerte a été donnée aux pompiers de Nouméa. Arrivés sur place à Nouville avec trois engins et une quinzaine d'agents, les soldats du feu ont constaté un embrasement déjà généralisé. Impossible de sauver le paillage de la toiture. En revanche, ils n'ont mis qu'une heure pour contenir et venir à bout du sinistre qui, heureusement, n'a causé ni victimes, ni d'autres dégâts sur le site.
Dimanche, au lever du jour, incompréhension et consternation se mêlaient parmi les membres du Sénat coutumier venus constater l'ampleur des dégradations sur cet édifice, incendié pour la quatrième fois depuis les années 2000. Sauf que la cadence de ces destructions s'est nettement accélérée.
Déjà, en août 2020, la grande case avait été réduite en cendres à cause d'un jeune homme alcoolisé, depuis condamné à de la prison avec sursis puis à participer aux travaux de reconstruction. Le fruit d'un travail de longue haleine quasiment achevé (lire par ailleurs) et réduit à néant. « C'est décourageant pour tous les jeunes qui ont mis tant d'énergie dans ce chantier que l'on devait inaugurer le 2 décembre, confie Hugues Vhemavhe, le président de l'institution de Nouville. Le sens de ce travail, c'était de transmettre des valeurs que véhicule la coutume et un sens de la cohésion que ces jeunes n'ont pas reçus et que nous tenions à leur apporter. »
"Qui veut nuire au Sénat coutumier ?"
Si la piste criminelle de ce nouvel incendie ne fait plus l'ombre d'un doute, les responsables du Sénat coutumier craignent une « tentative de déstabilisation ou de récupération politique » à travers cet acte survenu à une « période charnière » de l'histoire du pays. « C'est à l'image de ce que vit actuellement le monde coutumier : on n'est toujours pas reconnus alors que notre objectif est bien de parvenir à ce que notre coutume soit représentée dans les différentes institutions décisionnelles, analyse Hugues Vhemavhe. On reste debout. Ce n'est pas une case incendiée qui mettra à terre nos convictions. »
"S'attaquer à la case, c'est comme s'attaquer à l'ensemble des chefferies."
Si le président du Sénat coutumier ne s'avoue pas vaincu, une question est pourtant sur toutes les lèvres sans être clairement formulée. La polémique sur le maintien d'Hugues Vhemavhe à son poste depuis qu'il a été interpellé pour conduite en état d'ivresse et sans permis pourrait-elle être à l'origine de cet acte ? Notamment depuis que certains responsables coutumiers demandent sa démission (lire par ailleurs). Un silence que brise, sans détour, Justin Gaïa : "Qui veut nuire au Sénat coutumier ?, lance le président des affaires culturelles. On a actuellement des problèmes avec quelques pays, notamment le comité de Xârâcùù qui a publié dans la presse un communiqué que nous n'apprécions pas. Ce n'est pas normal. Ces affaires-là doivent être traitées entre nous. Sinon, cela alimente les tensions, martèle l'ancien chef de l'institution, qui rappelle que l'aire Drubea-Kapumë soutient Hugues Vhemavhe. Notre jeune sénateur a l'appui du pays sur lequel se trouve le Sénat coutumier. C'est inadmissible d'être confronté à cet état d'esprit nauséabond qui anime certains pays alors qu'on devrait se concentrer à fond sur le sujet essentiel qu'est l'avenir de l'institution coutumière au lieu de se tirer une balle dans le pied."
Les pompiers et la police de Nouméa étaient sur place. Photo DRCar pour Justin Gaïa, cet incendie a clairement été prémédité puisqu'il a été provoqué, peu de temps après le départ des services de sécurité, qui quittent le site chaque soir, après 22 heures. "On va sans doute devoir faire évoluer le dispositif de surveillance. Toujours est-il, s'attaquer à la case, c'est comme s'attaquer à l'ensemble des chefferies. Soit cela a été commis par quelqu'un qui n'a rien dans la tête, soit cette personne a été manipulée", déplore le président des affaires culturelles qui souhaite que la police « retrouve le responsable afin qu'il soit puni sur le plan coutumier et condamné devant la justice. »
La case sera-t-elle reconstruite d'ici la fin de l'année ?
Les responsables du Sénat coutumier Hippolyte Sinewami-Htamumu, Hugues Vhemavhe et Justin Gaïa, ont accepté de répondre aux questions de la presse, dimanche matin.« Cet acte-là nous touche au plus profond car il rappelle l'investissement important de toutes les aires et de tant de familles dans cette reconstruction. C'est donc tout le pays qui est concerné par cet incendie », lance Hippolyte Sinewami-Htamumu, président du conseil des grands chefs Inaatr Ka Ne Kanaky.
Entre juin et août dernier, le chantier de la grande case du Sénat coutumier avait notamment fédéré « avec cœur et abnégation » plusieurs dizaines de jeunes du service pénitentiaire d'insertion et de probation (Spip) et de la direction de la protection judiciaire enfance et jeunesse (DPJEJ).
« Un travail de fond complémentaire de la justice »
Parmi eux, l'incendiaire, condamné à une peine de 18 mois de prison avec sursis, avait été pleinement associé à ce chantier dans le cadre de ses travaux d'intérêt général (Tig). Une démarche essentielle pour le Sénat coutumier.
« On mettra tout notre cœur pour reconstruire cette case le plus rapidement possible. »
« C'est ce travail de pardon que l'on fait au sein des tribus pour que les auteurs parviennent à reconnaître leur faute et qu'ils puissent ensuite les réparer, explique Hippolyte Sinewami-Htamumu. Cette vision de la justice coutumière est faite pour que les jeunes ne se retrouvent pas toujours enfermés entre quatre murs afin de leur permettre aussi de pouvoir se reconstruire personnellement. C'est un véritable travail de fond qui vient en complémentarité de la justice (de droit commun). » Si l'annonce de ce nouvel incendie a d'abord eu l'effet d'un coup de massue, le Sénat coutumier compte bien relancer le chantier « au plus vite », dès que les expertises et constatations d'usage nécessaires à l'enquête seront achevées.
« Reconstruire quelle que soit l'adversité. »
D'autant plus que la charpente et les fondations de la case semblent avoir bien résisté aux flammes. « On mettra tout notre cœur pour reconstruire cette case le plus rapidement possible. Et pourquoi pas, pour l'avoir terminé d'ici la fin de l'année, s'avance Justin Gaïa, le président des affaires culturelles et du devoir de mémoire, qui se veut résolument optimiste. Ce qui est encourageant, c'est que les bois verts que l'on a utilisés ont mieux tenu qu'en 2020. En apprenant la nouvelle, tous les jeunes mobilisés ont dû être mortifiés de voir leurs efforts partis en fumée. Mais je suis certain que l'on sera tous motivés à fond pour s'y remettre. Car l'esprit de nos vieux reste là : reconstruire quelle que soit l'adversité. »
REPÈRES
Un individu interpellé
Le procureur de la République annonce l'ouverture d'une enquête en flagrance du chef de destruction de biens par incendie ou moyen dangereux. À ce stade de l'enquête, un homme de 35 ans, résidant dans un squat de Nouville, qui a été interpellé au cours de la nuit pour des vols dans des véhicules, a été placé en garde à vue pour ces faits de destruction par incendie. "Ses déclarations laissant supposer sa participation sont en cours de vérifications et de nouvelles auditions auront lieu dans les prochaines heures", indique Yves Dupas, ajoutant que "cette atteinte grave et intolérable portée à une institution issue de l'accord de Nouméa, justifie une totale détermination de la part des enquêteurs et du parquet à élucider l'affaire dans les meilleurs délais."
Pour rappel, la destruction par incendie est punie d'une peine allant jusqu'à 10 ans de prison.
Les critiques de l'aire Xârâcùù
Le conseil de l'aire Xârâcùù a émis un communiqué, le 28 octobre dernier, dans lequel il « condamne avec fermeté le comportement et l'attitude irrespectueuse, irresponsable et scandaleuse » d'Hugues Vhemavhe, à la suite de son interpellation, le 4 octobre dernier. Pour rappel, le président du Sénat coutumier qui a pris ses fonctions en septembre, a été contrôlé par la police de Nouméa en état d'alcoolémie au volant d'un véhicule de service alors que son permis était suspendu.
Les responsables coutumiers de l'aire estiment que « se maintenir à ce poste malgré les circonstances aggravantes, c'est mettre en péril toute la crédibilité de nos institutions coutumières et surtout la légitimité de la parole coutumière ».
Par conséquent, le conseil Xârâcùù demande au chef de l'institution de « démissionner de son mandat de président et que l'aire suivante, sous le principe de présidence tournante, assume cette fonction durant cette mandature engagée ».
Il formule enfin le vœu que l'aire Hoot Ma Whaap puisse exercer la présidence à la fin de la mandature 2024-2025.
« C'est décourageant pour tous les jeunes qui ont mis tant d'énergie dans ce chantier. »
Hugues Vhemavhe, président du Sénat coutumier.
Matériaux.
Chaque aire coutumière a contribué à la reconstruction : le poteau central a été sculpté à Goro, la flèche faîtière a été conçue par la grande chefferie de Gélima, les feuilles de cocotiers viennent des îles, la paille a été récoltée à Thio et à Hoot Ma Whaap, etc.
Résidence.
Les ultimes travaux de la grande case devaient s'achever lors d'une résidence culturelle organisée du 30 novembre au 2 décembre.
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