- Olivier Poisson | Crée le 31.12.2022 à 11h00 | Mis à jour le 31.12.2022 à 11h02ImprimerSylvain, chef rotativiste, procède aux derniers calages de la rotative. Photo Olivier PoissonC'est la fin d'une époque, et le début d'une autre vie pour Les Nouvelles. Hier soir, dans nos locaux de Normandie, la rotative a imprimé le dernier numéro papier de votre quotidien.
Les Nouvelles Calédoniennes vivront désormais sur vos écrans, et seul le magazine du week-end sera imprimé et vendu avec le Coco TV ou distribué dans votre boîte aux lettres.
La fin de l'impression n'a pas été décidée de gaieté de cœur par la direction et par les actionnaires du journal. Elle était malheureusement devenue inéluctable : paradoxalement, seule la fin du papier peut laisser une chance de survie au titre.
Mais comment en est-on arrivé là ? La presse écrite reste un modèle industriel complexe avec des coûts d'exploitation très élevés. De nombreux métiers sont présents dans la chaîne de fabrication, les journalistes n'étant que la partie visible de l'iceberg. Il y a ensuite la PAO, les services d'impression avec notamment les rotativistes, les encarteuses, la diffusion avec la livraison (aux quatre coins du Caillou et dans les îles) sans oublier tous les services support : informatique, ressources humaines, comptabilité, service des petites annonces, commerciaux...
Un papier devenu hors de prix
A cette masse salariale conséquente s'ajoute le prix de l'encre, celui des plaques en aluminium, qui permettent d'imprimer, de l'énergie, au coût prohibitif sur le Caillou, mais aussi et surtout celui du papier.
Les usines de fabrication de papier sont en pleine mutation dans le monde et la plupart d'entre elles se tournent vers une industrie beaucoup plus lucrative, la cartonnerie (merci Amazon). Alors que les Nouvelles s'alimentaient jusqu'à il y a peu en Nouvelle-Zélande, il faut désormais faire venir du papier depuis le nord de l'Europe. Une aberration écologique et financière puisque le prix du papier journal, pourtant recyclé, a doublé en moins de deux ans.
Face à la hausse de ces coûts, la direction du journal n'est évidemment pas restée les bras croisés et a entamé depuis une dizaine d'années des coupes claires dans tous les budgets et une réduction des effectifs. Des mesures qui se sont avérées indispensables mais loin d'être suffisantes face à la forte baisse des recettes.
Il faut savoir que la fabrication du journal a toujours coûté nettement plus que son prix de vente. La différence était compensée jusqu'il y a quelques années par la publicité, celle-ci permettant même de dégager des bénéfices. Malheureusement, Internet et les Gafam, les géants du net, sont passés par là. La majeure partie des revenus publicitaires est désormais captée par Google, par Facebook et consorts, même si les annonceurs qui sont restés fidèles au journal ne peuvent que se féliciter de sa diffusion.
Le dernier journal a été imprimé ce vendredi. Photo Olivier PoissonL'information continue
Parce que le journal est lu, c'est un fait qui ne se dément pas. Lu, mais pas forcément acheté. Entre les jeunes générations qui se contentent souvent des quelques lignes de présentation d'un article sur notre page Facebook, et ceux qui le lisent sans payer, le modèle papier n'est tout simplement plus viable.
Fort heureusement, la passion de l'actualité et de son décryptage reste intacte au sein des Nouvelles Calédoniennes. Le journal évolue avec cette nouvelle année tout en gardant intacte son identité. Ainsi, en plus de notre site internet, lnc.nc, qui délivre l'information en continu, le journal en ligne (qui réserve quelques surprises) sera disponible du lundi au vendredi sur ordinateur, mais aussi sur tablette ou sur smartphone avec l'appli LNC et ses magazines qui propose une excellente expérience de lecture.
Le week-end, le quotidien sera remplacé par Le Mag, notre tout nouveau magazine papier, qui fera la part belle aux sujets de société, mais aussi aux loisirs. Le Coco TV sera d'ailleurs offert avec le magazine chez votre revendeur habituel.
Un mot enfin pour nos fidèles lecteurs qui ont été nombreux à déplorer l'arrêt du papier : nous les remercions infiniment de leur fidélité et espérons qu'ils nous suivront sur ce chemin, certes plus numérique, mais pas uniquement. Après plus de 50 années passées à vous informer, votre quotidien n'est pas près de s'arrêter. Bonne lecture
La phrase
« Nos habitudes vont changer mais les Nouvelles seront toujours là pour nous informer. On a besoin de ce quotidien sur le territoire. »
Jean, 72 ans, lecteur assidu des Nouvelles
Plus de 50 ans. Les Nouvelles Calédonienne ont publié leur premier journal papier le 15 juin 1971.
Merci à tous, ou presque...
Albert Camus en était persuadé : « Un journal, c'est la conscience d'une Nation. » Il serait probablement très surpris de constater dans quelle indifférence politique arrive en kiosque le dernier numéro papier du seul quotidien du pays. Ils sont pourtant nombreux les Calédoniens, qu'ils soient lecteurs ou pas, à regretter l'arrêt de nos rotatives. Nous-mêmes savons que nous demandons un important effort à nos fidèles abonnés qui ne sont pas forcément tous à l'aise avec les outils numériques. Ils sont pourtant une immense majorité à avoir pris la décision de renouveler leur abonnement. Nous leur devons tant.
Cela fait de longs mois déjà que Les Nouvelles Calédoniennes ont annoncé sur la place publique avoir des difficultés financières et que le modèle économique de la presse écrite privée, surtout sur une île où il est impossible de faire des économies d'échelle, n'était plus viable. Des actionnaires n'ont jamais eu vocation à boucher chaque année des trous à coups de centaines de millions.
De fait, nous avons alerté, essayé de taper à toutes les portes, demandé en vain des rendez-vous à nos décideurs : l'avenir de la presse ne semble concerner aucun politique sur le Caillou et, à l'exception notable l'Etat, personne n'a rien fait. Et la plupart n'ont même pas daigné nous recevoir.
Pourtant le sujet est bien plus large que le seul sauvetage des Nouvelles.
Parce que nous ne sommes pas les seuls à souffrir : Caledonia a un mal fou à boucler son budget, RRB, Djiido, et Océane sont à la merci d'un changement politique qui les couperait, comme c'est arrivé à RRB par le passé, des subventions qui les font vivre. En fait, seule NC La 1ère est à l'abri, puisque financée par l'État tout en ayant un accès illimité aux revenus publicitaires. Contrairement à la Métropole où cette manne est laissée aux médias privés pour qu'ils puissent subsister.
S'il est réconfortant de savoir que la Calédonie dispose d'un média audiovisuel indépendant et puissant, il n'y a pas besoin d'être fin économiste pour comprendre qu'il est difficile pour les Nouvelles Calédoniennes de faire payer des informations que La 1ère peut se permettre, puisque financée autrement, d'offrir. Fort heureusement, nos lecteurs sont aussi attachés à la spécificité des Nouvelles, ce qui nous a permis de survivre, tant bien que mal, jusqu'ici.
Il y a de longs mois déjà, nous avons proposé plusieurs pistes pour assurer un mode de financement et de gestion des médias. Nous avons par exemple évoqué le problème de la TVA sur les biens immatériels qui échappe à la Calédonie. En effet, lorsque vous souscrivez à un abonnement Netflix, Disney +, Spotify, Apple Music, Playstation Plus ou encore que vous achetez un livre, un jeu, un logiciel ou un film en ligne, vous payez de la TVA. Alors que le pays est censé être autonome fiscalement, ces taxes tombent indûment dans l'escarcelle métropolitaine.
Un ré-aiguillage de cette manne pourrait permettre d'imaginer des financements durables pour les médias et pour le secteur de la culture qui souffre tout autant. Il suffirait ensuite de créer un organe de contrôle indépendant pour assurer la répartition des revenus et l'indépendance des médias vis-à-vis des politiques.
Mais assurer leur pérennité n'est visiblement pas une priorité. Et c'est très inquiétant. Car si l'on est tout à fait en droit de ne pas être d'accord avec tel ou tel article, tel ou tel sujet télé ou radio, qu'il est des médias que l'on apprécie et d'autres que l'on déteste, la plupart des citoyens sont conscients qu'une démocratie sans travail journalistique n'en est pas une. « La liberté de la presse présente des inconvénients. Mais moins que l'absence de liberté », disait un ancien président de la République.
Malheureusement, nos politiques ne semblent pas en être conscients. Ils n'acceptent de financer un média que pour essayer d'en faire leur porte-voix, un endroit où seule leur vérité serait considérée comme une information. Les Nouvelles, bien trop indépendantes, n'intéressent en ce sens aucun politique. Sauf lorsqu'il s'agit de reproduire intégralement nos articles sur leur page Facebook, en faisant mine d'ignorer que c'est tout simplement du vol, et que cette façon d'agir nous tue à petit feu. Ils seraient avisés de penser à cette autre phrase d'Albert Camus : « Un pays vaut souvent ce que vaut sa presse : l'énergie plutôt que la haine, la pure objectivité et non la rhétorique, l'humanité et non la médiocrité. »
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