- Yann Mainguet avec Gilles Caprais | Crée le 06.08.2018 à 07h03 | Mis à jour le 06.08.2018 à 07h10ImprimerSix plantes calédoniennes ont fait l'objet d'un dépôt de brevet par la société Parfums Christian Dior : leurs noms scientifiques sont Trema et Davallia (à gauche), Terminalia Catappa, Barringtonia, Cordia Dichotoma et Guioa (à droite, de haut en bas)Les représentants kanak accusent la société Parfums Christian Dior d’avoir déposé, sans signalement ni autorisation, six brevets liés à six plantes du savoir traditionnel local, avec le concours de l’Institut de recherche pour le développement. Une procédure avec un avocat et un scientifique est engagée.
La délibération a glissé, sans faire de bruit, dans les colonnes du Journal officiel de la Nouvelle- Calédonie du 10 mai dernier. Le Sénat coutumier, à l’initiative du texte, a mandaté un avocat spécialisé à la cour de Paris, Louis-Romain Riché, et a sollicité les conseils du professeur Thomas Burelli, de l’université d’Ottawa au Canada, en tant que consultant scientifique. Objectif de la délibération : « obtenir des informations en lien avec les brevets déposés par la société Les Parfums Christian Dior » susceptibles « d'aboutir à des mesures compensatoires ».
Contactée, l’institution kanak évoque « un cas flagrant de biopiraterie » ou encore un « pillage de notre patrimoine végétal ». La cible : la société Parfums Christian Dior ainsi que l'Institut de recherche pour le développement, l’IRD.
Un cas flagrant de biopiraterie
Un ras-le-bol semble avoir gagné les sénateurs, qui ont alors décidé de passer à l’action. Au coeur de l’affaire, six brevets portant sur six plantes calédoniennes dont les noms scientifiques sont Barringtonia, Cordia Dichotoma, Davallia, Guioa, Terminalia Catappa, et Trema. « Ces plantes ont été identifiées grâce à des savoirs traditionnels kanak » observe Raphaël Mapou, conseiller spécial du président du Sénat coutumier. « La société Parfums Christian Dior a obtenu des brevets pour utiliser ces plantes et les savoirs associés pour des usages dans le domaine cosmétique. L’Institut de recherche pour le développement de Nouméa a par ailleurs activement participé au développement de ces brevets. L’IRD a conduit des études ethnobotaniques et a exploité des savoirs kanak collectés à partir des années 1970. L’Institut a étroitement collaboré avec la société Dior ». D’après le représentant de l’institution de Nouville, ces six brevets ont été déposés en 1990, et une ligne rouge a été franchie : aucune demande d’autorisation auprès du Sénat coutumier pour utiliser ces savoirs et pour déposer des brevets, partage d’informations avec une société privée dans un but commercial sans en avertir les autorités coutumières... Raphaël Mapou ne décolère pas. « Ce qu’ont fait l’IRD et la société Parfums Christian Dior est inadmissible ».
Au mois de juillet, les sénateurs ont adressé une lettre aux avocats du célèbre et prestigieux parfumeur. Avec l’intention « pour le moment » d’engager une procédure à l’amiable.
RANGÉE DANS LES ARMOIRES
Trop tôt pour parler de mesures compensatoires précises. « Le plus important pour nous, c’est d’abord la reconnaissance de nos droits et des abus qui ont eu lieu ». Les Nouvelles calédoniennes ont envoyé des messages électroniques au service « presse » du groupe LVMH, qui n’a pas répondu à ce jour.
Le bras de fer du Sénat coutumier s’annonce long et âpre. D’autant que, les représentants kanak le reconnaissent, un certain vide juridique existe actuellement sur le territoire. Signée par le président et par le porteparole du Sénat coutumier de l’époque, la délibération du 13 novembre 2014 adoptant un projet de loi du pays a été « rangée dans les armoires du gouvernement de la Nouvelle- Calédonie » claque Raphaël Mapou. L’exécutif lui-même, notamment le service de Déwé Gorodey, s’était penché sur un projet de loi du pays relatif à la protection des savoirs traditionnels autochtones et des pratiques culturelles, lors du mandat 2009-2014. Un comité de pilotage avait été instauré, mais la démarche n’a pas abouti, se heurtant à diverses difficultés. L’ambition des sénateurs, via cette bataille avec la société Parfums Christian Dior, n’est pas cachée : qu’une disposition légale afférente à la reconnaissance de la propriété intellectuelle des savoirs traditionnels utilisés sur les plantes et la biodiversité soit votée par les élus du Congrès.
«Toute collecte fait l’objet de procédures juridiques »
EDOUARD HNAWIA, DIRECTEUR DE L’IRD
Les Nouvelles calédoniennes : Le sénat coutumier reproche à l’IRD d’avoir participé en 1990 au développement de brevets portant sur six plantes calédoniennes, que Dior a obtenus ensuite. Que lui répondez-vous ?
Tout d’abord, il ne s’agit pas de répondre au Sénat coutumier par voie de presse. Nous entretenons de longue date des relations de confiance avec l’institution. La récente visite de notre PDG en Nouvelle- Calédonie, et sa visite au Sénat coutumier en témoignent. Des contacts sont en cours avec eux, en lien avec le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, pour discuter de ce dossier, notamment de la mention « avec le concours de l’IRD » dans la délibération prise par le sénat, qui est inexacte. Dior a déposé et obtenu la propriété de ces brevets qu’elle est la seule à avoir pu exploiter.
C’était il y a près de 30 ans, dans quel contexte évoluait la recherche à l’époque ?
Le contexte juridique était totalement différent, voire inexistant. Il n’existait pas de réglementation encadrant l’accès aux ressources biologiques et génétiques. La biodiversité était considérée comme faisant partie du patrimoine de l’humanité. Beaucoup de choses ont évolué depuis. Notamment la définition des savoirs traditionnels. Au-delà des activités qui relèvent du folklore, les savoirs traditionnels correspondent aujourd’hui à un domaine très large, qui inclut la médecine, les soins de santé, la préservation de la biodiversité et de l’environnement, l’alimentation, ou l’agriculture. L’adoption de la Convention sur la diversité génétique, puis celle du protocole de Nagoya par les Nations unies ont radicalement tout changé.
Les chercheurs ont une mission de service public, qui est de contribuer à la connaissance, pas de s’enrichir
Y a-t-il pu avoir des abus d’utilisation par le passé ?
Je ne pense pas qu’il faille parler « d’abus d’utilisation ». Les recherches sur les substances naturelles ont été menées avec des enquêtes ethnopharmacologiques ou ethnobotaniques à partir des remèdes traditionnels. Les travaux incluaient aussi des études bibliographiques – donc relevant du domaine public – sur les plantes calédoniennes. C’est cette méthode de criblage qui a été utilisée dans le cadre d’une bourse Cifre (Convention industrielle de formation par la recherche) financée par la société Les Parfums Dior. L’IRD n’a en aucun cas participé aux études pharmaco-chimiques qui en ont découlé.
Face à l’absence de réglementation sur les savoirs traditionnels, comment l’IRD peut-il se prémunir d’usage abusif ?
L’IRD s’est toujours joint aux initiatives visant à protéger les savoirs traditionnels bien avant le protocole de Nagoya. L’Institut a notamment mis en oeuvre des dispositifs de partage des avantages et s’est toujours attaché à rendre accessibles au public les connaissances acquises. En 2016, nous avons transmis au centre culturel Tjibaou plus de 1 000 fiches ethnobotaniques. Je suis moi-même l’auteur du Guide des plantes de Maré, qui contribue à la pérennisation d’un savoir qui pourrait disparaître à terme car la transmission orale peut avoir ses limites. Les chercheurs ont une mission de service public, qui est de contribuer à la connaissance, pas de s’enrichir.
Alors comment contraindre les chercheurs ?
Toute action de collecte ou prospection scientifique fait aujourd’hui l’objet de demandes d’autorisation et de procédures juridiques auprès des services compétents. L’IRD respecte les cadres juridiques et nous avons d’ailleurs contribué à la rédaction du Code de l’environnement de la province des Îles, dans lequel est inscrite une réglementation sur l’accès et le partage des avantages liés aux ressources biologiques et génétiques.
Propos recueillis par Esther Cunéo
REPÈRES
Travaux complexes
Concevoir et faire adopter un projet de loi du pays efficace dont la mission est d’encadrer les savoirs traditionnels, et par effet ricochet, de protéger les molécules, n’est pas aisé. Un organisme ad hoc peut être créé en Nouvelle-Calédonie, « mais il faut aussi, et surtout, penser un mode de protection vis-à-vis de l’extérieur » pointe un spécialiste. Et ce, afin de se prémunir de tout acte hasardeux de laboratoires basés au-delà du récif. La procédure à suivre est alors d’établir une convention non seulement avec l’Institut national de la propriété industrielle (INPI) en Métropole, mais aussi avec l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), l’institution spécialisée des Nations unies. Ces organismes doivent reconnaître un fichier calédonien recensant l’ensemble des savoirs traditionnels. Qui, par définition, sont au préalable listés sur le territoire et correctement renseignés. Pas simple.
Nagoya
L'accord de Nagoya vise à mieux protéger les espèces et les écosystèmes de la planète et à en partager plus équitablement les bénéfices.
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