- LNC | Crée le 05.01.2025 à 05h00 | Mis à jour le 05.01.2025 à 05h00ImprimerA gauche, Marie-Célina Flotat, la fille de Célestin. Elle donne naissance à quatorze enfants dont Eugène, le père de Jean-Pierre Flotat (photo de droite). Photo DRCe jeune cultivateur condamné à perpétuité à l’âge de 19 ans pour homicide et transporté à la Nouvelle va reprendre son destin en main. Devenu agriculteur exemplaire et père de famille nombreuse, Célestin Flotat va faire du nord de la Grande Terre le berceau de ses descendants. Jean-Pierre Flotat, son arrière-petit-fils, tente de retracer l’histoire de son immense famille dans ce trente-troisième épisode de notre saga consacrée aux personnes issues du bagne.
" Notre histoire commence avec Célestin Flotat, sur le territoire de Belfort d’où il est originaire. " L’arrière-petit-fils du pionnier tient entre ses mains un dossier plutôt mince. Les archives sur cet aïeul sont peu nombreuses, et les photos inexistantes. " Les bribes que nous avons récoltées nous apprennent que Célestin est condamné le 5 mai 1869 par la cour d’assises de Colmar à perpétuité pour homicide avec guet-apens sur un certain Auguste M. Son jeune âge lui a sans doute évité la peine de mort.
Le Jura, ce transport de la marine à propulsion mixte, emprunte en 1872 la route par le canal de Suez au départ de Toulon. Photo DRIl arrive en Nouvelle-Calédonie par le Jura en avril 1872. C’est un blond aux yeux bleus de 1,65 m, qui sait bien lire, et écrire imparfaitement selon l’administration pénitentiaire. Je pense que mon arrière-grand-père a été à l’île Nou jusqu’à sa mise en concession en mai 1883. Concernant son caractère, ce n’est visiblement pas un rebelle ni un réfractaire au travail car une dépêche ministérielle nous apprend qu’il avait une conduite irréprochable. Travailleur sérieux, Célestin est cité en exemple. Sa peine est commuée en vingt ans de travaux forcés puis il est libéré. Enfin, le 15 juin 1914, il accède à la 2e section, matricule 5752, son obligation de résidence est levée.
Pouembout vers 1889. Le centre de colonisation pénale de Pouembout est créé en 1883. La pénitentiaire y possède un domaine important de plus de 11 000 hectares. La vallée de Pouembout est particulièrement fertile, sa terre noire est tout à fait adaptée aux travaux des concessionnaires. Photo Léon Devambez, ANC" Le 4 mai 1883, il figure parmi les premiers concessionnaires installés à Pouembout, sur la rive droite. Bien décidé à mener une vie rangée, Célestin épouse deux ans plus tard, le 28 janvier 1885, à Bourail, Marguerite Meillard. Ancienne servante née en 1862 en Haute-Vienne, mon arrière-grand-mère a été condamnée en 1883 à cinq ans de travaux forcés par la cour d’assises de Limoges pour infanticide. Elle arrive un an plus tard en Nouvelle-Calédonie par le Dupuy-de-Lôme, et est officiellement libérée deux ans après son mariage, en 1887.
Ensemble ils mènent une vie ordinaire d’agriculteurs, ils cultivent le maïs, des haricots et du manioc. Un rapport d’inspection note qu’il est un "travailleur infatigable […] s’est amendé réellement […] subvient facilement à ses besoins", ils gagnent 1 000 à 1 200 francs par an. Les relevés de sa concession montrent qu’ils possèdent des animaux, une basse-cour, des porcs et des chevaux. Le couple élève sept enfants, dont ma grand-mère, Marie-Célina, née sur la propriété en 1889.
" En 1903, Célestin demande pour son fils aîné, Pierre-Auguste, un lot supplémentaire qui lui sera accordé. Pour ces deux concessions, mon arrière-grand-père devait payer 24 jours de prestations, une somme sans doute très importante pour l’époque qui le pousse à faire une demande de dégrèvement. Deux fils, Eugène et François, vont mourir durant la Grande Guerre. " Célestin s’éteint en 1914, son épouse en 1916. Ils laissent derrière eux une très grande famille, dont une grande partie vit toujours autour de Pouembout.
Une famille ancrée
Jean-Pierre Flotat épluche l’arbre généalogique familial.
" Les enfants de Célestin et Marguerite auront à leur tour trente et un descendants. J’ignore combien de cousins cela représente ! À elle seule, ma grand-mère a eu quatorze enfants. Difficile de ne pas tomber sur un Flotat dans la région de Koné-Pouembout, ou dans les alliances de familles !
" Marie-Célina, la troisième enfant du pionnier, a épousé à l’âge de 16 ans Ernest Perdriat, un agriculteur du village, avec qui elle a eu six enfants. Le couple s’installe sur la propriété du mari qui s’éteint en 1920 à Ducos, dans des conditions que j’ignore. Huit autres enfants vont naître hors mariage, dont mon père Eugène, et Denise la petite dernière en 1929. " Au décès de Marie-Célina, Denise a été confiée à ses sœurs aînées. L’octogénaire nous livre quelques souvenirs de cette mère qu’elle a peu connue : " J’avais sept ans quand elle est partie. Je me souviens d’une femme très douce, toujours habillée en noir, ses longs cheveux attachés en chignon. Elle était très à cheval sur les principes, nous devions être très polis et aller à la messe une fois par mois, chaque fois que le prêtre venait
à Pouembout. "
Ecole communale de Tiébaghi. Jean-Pierre Flotat, l’arrière-petit-fils du bagnard, est à l’extrême gauche en salopette courte. Photo DRMarie-Célina va élever ses enfants seule. Elle entretenait une relation avec un homme marié qui ne les a pas reconnus, tous ont pris le nom de leur mère. " Nous savons qui est ce grand-père, c’est un secret de polichinelle, mais mon père et ses frères et sœurs n’en parlaient jamais. Pas plus qu’ils n’évoquaient les origines de la famille. Jamais le mot de bagnard n’a été prononcé. Lorsque j’ai moi-même appris le passé de ma famille, je n’ai pas osé en parler avec mes parents qui avaient choisi de ne pas savoir ou de se taire. Dans les années 2000, j’ai voulu parler publiquement de l’histoire de Célestin Flotat, mais quelques membres de la famille n’étaient pas d’accord. Je me suis rétracté. Aujourd’hui le temps a passé, emportant avec lui la gêne ressentie par les générations précédentes. "
Une vie simple
Jean-Pierre Flotat se souvient de la maison de ses aïeux. " J’étais enfant lorsque mon père m’a emmené voir la maison de ses grands-parents. Bien que délabrée, elle servait encore de remise. C’est une vieille bâtisse en torchis, simple, à l’image de leur vie. Ma grand-mère aussi a mené une vie modeste, à la limite de la pauvreté. Mon père me racontait qu’ils allaient à l’école pieds nus, ce qui ne les a pas empêchés d’être instruits et de réussir leur certificat d’études (ce qui n’était pas rien à l’époque !). Trois de mes tantes ont enseigné, René a été contremaître à la SLN et mon père postier. " Denise se souvient que le quotidien était rude : " il n’y avait ni eau ni électricité, nous lavions le linge à la rivière. Les garçons partaient à la chasse le samedi pour rapporter du gibier, ma mère était employée dans un magasin le matin et elle aidait souvent les femmes du village à accoucher ".
En 1914, Célestin Flotat obtient la levée de son obligation de résidence. Il pourrait quitter la colonie s’il le souhaitait. Il décède cette année-là. Photo DRBien des années plus tard, marié et chargé de famille, Eugène, le père de Jean-Pierre, a déménagé à Tiébaghi pour travailler à la mine, puis sa famille l’a suivi. " Je me souviens que parfois il rentrait tard, dînait, se lavait et allait se coucher, mais on venait le rechercher car quelqu’un manquait à l’appel. Alors il repartait pour huit heures de travail au fond du trou sans rechigner. Je me souviens aussi des drames quand les tunnels s’effondraient sur les mineurs. Il y avait dans ce village un melting-pot incroyable de cultures différentes et j’ai le souvenir que tout se passait bien. Il n’y avait pas de rejet vis-à-vis des descendants de condamnés, et mon père était considéré comme un honnête travailleur. La vie dans le Nord se passait entre gens d’origine modeste. Je pense que tout le monde essayait de vivre ou de survivre sans s’occuper du reste. "
Extrait de la dépêche ministérielle n°161
Encouragements à donner aux concessionnaires méritants et travailleurs
Paris, le 3 avril 1888
" Le rapport d’inspection, n°19, de M. Perret contient, entre autres renseignements, la monographie d’un concessionnaire du centre de Pouembout, nommé Flotat, n°3234, qui, par son travail assidu et la vie rangée qu’il mène, ainsi que sa femme, la nommée Meillard (Marguerite), est parvenu à se créer une situation relativement aisée sur le centre où il est établi. Bien que de pareils exemples soient rares, ils n’indiquent pas moins, d’une manière péremptoire, que l’œuvre de moralisation dont l’administration pénitentiaire a la charge, n’est pas une entreprise chimérique lorsqu’elle est poursuivie avec résolution et intelligence. Tous les efforts de l’autorité supérieure doivent donc tendre à soutenir et à encourager les sujets méritants qui, comme le concessionnaire Flotat, peuvent être donnés comme modèle. "
A. De La Porte
Coïncidence ou réel hommage ?
Célina Landrot, fille de Pouembout compte parmi les romans les plus connus à propos du bagne calédonien. L’ouvrage a été écrit par Jacques et Marie Nervat, le pseudonyme du Dr Chabaneix et de son épouse, qui ont séjourné à Pouembout vers 1901-1902. Le Dr Chabaneix était médecin de l’administration pénitentiaire. Le prénom Célina est assez rare, surtout à Pouembout. L’auteur n’aurait-il pas été inspiré pour le choix du prénom par Célina Flotat, fille de concessionnaire ?
(Source : L.-J. Barbançon)
Note
Cette série sur les destins de familles issues de la colonisation pénale, tirée du livre Le Bagne en héritage édité par Les Nouvelles calédoniennes, est réalisée en partenariat avec l’Association témoignage d’un passé. Cet article est paru dans le journal du samedi 1er octobre 2016.
Une dizaine d’exemplaires de l’ouvrage Le Bagne en héritage, certes un peu abîmés, ainsi que des pages PDF de la parution dans le journal sont disponibles à la vente. Pour plus d’informations, contactez le 23 74 99.
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