- LNC | Crée le 11.08.2024 à 05h00 | Mis à jour le 11.08.2024 à 05h00ImprimerL’unique photo des ancêtres que détient la famille. Auguste, le surveillant militaire, sans doute déjà à la retraite au moment de la photo. Eugénie est au centre, entourée de ses deux fils, Fernand et Gustave. Les Blaise perdront la trace du premier-né, F Photo DREn se replongeant dans son passé, la famille Blaise s’aperçoit qu’elle connaît bien peu de choses de la vie de son ancêtre Auguste, surveillant militaire à l’île Nou entre 1873 et 1883. A l’image de nombreuses familles calédoniennes, les générations ont passé et la mémoire s’est perdue. Dans la police, la mine, l’enseignement, et même la politique, la famille a fait souche en Calédonie et tente aujourd’hui de rassembler un puzzle bien épars. Découvrez le douzième épisode de notre saga consacrée aux familles issues du bagne.
"À l’époque, les enfants avaient tout juste le droit de parler pour demander l’autorisation de sortir de table, nous étions loin de pouvoir poser des questions sur le travail des aïeux ! " Toute une génération se retrouvera dans les propos de Jean-Yves Blaise, dit "Blaisou", confirmés par sa cousine Marie-Josée : " Il ne fallait rien dire, on nous répondait "chut". Les choses étaient comme elles étaient, pas de questions. " Ce soir-là autour de la table, trois générations de Blaise sont réunies. " Pourtant, il n’y avait rien de honteux, on ne pouvait pas nous reprocher d’être descendants de surveillant comme c’était le cas pour les enfants de bagnards, reprend Daniel. Nous avons toujours su d’où nous venions. Ce n’était pas caché sans pour autant être un sujet de conversation. "
A gauche, la famille Blaise en 1918. Gustave Blaise avec sa femme Fernande et ses enfants, André-Louis, Yvonne et Marguerite. A droite, André-Louis Blaise, jeune. Photo DRLe pionnier de la famille est Auguste Blaize, dont le "z" disparaîtra au profit d’un "s" à la naissance de son fils Gustave. Des quelques éléments d’information recueillis aux archives d’Aix-en-Provence et des documents originaux gardés dans une vieille boîte à biscuits rouillée, Philippe Blaise a reconstitué les grandes lignes du parcours de son aïeul : " Auguste est un serrurier natif des Vosges. À 31 ans, il s’engage et est incorporé le 16 août 1872 comme surveillant de troisième classe par le ministère des Colonies. Nous ne connaissons pas les raisons de son engagement. Peut-être est-il, comme beaucoup de Lorrains et d’Alsaciens, poussé à l’exil par l’annexion de l’est de la France par les Prussiens après la défaite de 1870.
Il m’a raconté que son aïeul était employé à encadrer des Tonkinois et qu’un jour, il était rentré le ventre ouvert et les boyaux dans les mains.
" Embarqué sur l’Alceste en septembre 1872 à Toulon, il arrive à Nouméa le 9 janvier 1873. Nous n’avons pas encore retrouvé de document nous permettant de savoir où il exerce sa profession. Toutefois, un an plus tard, il se marie à Nouméa avec une jeune fille de l’Assistance publique, Eugénie (Jenny) Guay, dont il aura deux enfants, Fernand et Gustave, nés à Dumbéa en 1876 et à l’île Nou en 1878. On suppose donc qu’il n’a pas été envoyé en Brousse. Le registre des surveillants militaires indique qu’Auguste participe aux évènements de l’insurrection kanak entre juin 1878 et mai 1879. Par ailleurs, il devient surveillant de deuxième classe puis est rétrogradé avant d’être envoyé au détachement de Guyane par décision du 22 janvier 1883. Là-bas, il reste peu de temps, avant d’être admis à la retraite en novembre 1885. Quelques mois plus tard, il rentre à Saint-Nazaire où il est rayé des contrôles en décembre 1886.
La famille Blaise vers 1930. Sur cette photo prise à Dumbéa, Gustave porte l’uniforme de la police de Nouméa. Il est entouré de sa femme Fernande, de leurs trois enfants et leurs époux (se), et de leurs petits-enfants. Yves, le mari de Denise, et André-Maurice, le père de « Blaisou », sont les petits garçons au premier plan en chemise blanche et gilet noir. Au dernier rang, de gauche à droite : André-Louis Blaise et Juliette Giguet-Blaise, Yvonne Blaise-Fayard et Léon Fayard, Marguerite Blaise-Giguet et Maurice Giguet. Assise sur la table, Nanette Fayard. En bas à droite, Chatou Fayard et tout à droite, Yvette Fayard. Le garçon debout à gauche de Gustave et la petite fille debout sur la table sont probablement des enfants de Maurice et Marguerite Giguet. Photo DR" Puis, la famille revient s’installer en Nouvelle-Calédonie. Nous perdons la trace de Fernand, le premier fils, peut-être est-il mort jeune. "
Jean-Yves, orphelin de père à l’âge de 7 ans, a habité chez son grand-père, André-Louis. De lui, il tient quelques anecdotes livrées au fil des années : " Il m’a raconté que son aïeul était employé à encadrer des Tonkinois et qu’un jour, il était rentré le ventre ouvert et les boyaux dans les mains. C’est comme ça qu’il serait mort, à 51 ans. "
Un véritable scoop pour les autres membres de la famille réunis, personne n’avait jamais eu connaissance de cette histoire. Dans le registre des assises, il est effectivement mentionné qu’Auguste Blaise a été tué à Kouaoua, le 25 avril 1892, par un certain Dang Van Co, un Tonkinois de la mine. Ce dernier a été condamné à quinze ans de travaux forcés pour coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner.
Maurice Giguet, André-Louis Blaise et leurs épouses, Margueritte Blaise-Giguet et Juliette Giguet-Blaise. Photo DR"Blaisou" a rapporté des albums photos trouvés chez ses grands-parents. Ils circulent de main en main, et chacun tente de reconnaître les visages. Beaucoup de ces clichés sortent de l’ombre pour la première fois depuis longtemps, et les précieuses légendes pallient souvent la mémoire défaillante. " C’est la première fois que nous nous réunissons pour parler de nos origines, regrette Marie-Josée, nous aurions dû le faire bien avant, beaucoup d’histoires se sont perdues. "
Du surveillant militaire au commissaire
Peu après le décès de son père, Gustave s’engage pour trois années au 12e régiment d’infanterie coloniale puis rejoint en 1903 la police locale en qualité d’agent de quatrième classe. La même année, il épouse Fernande Gondelon et adopte André-Louis, son fils naturel né à Napoléonville (Canala) un an auparavant. Petit à petit, il gravit tous les échelons de la hiérarchie, sous-brigadier puis brigadier, pour devenir en 1937 commissaire et chef de la sûreté, fonctions qu’il occupe jusqu’à sa retraite en avril 1938.
Fernande Blaise, née Gondelon. Marie-Josée se souvient de son arrière-grand-mère, toujours habillée de noir. Photo DRGustave et Fernande ont deux filles, Marguerite qui a épousé Maurice Giguet, puis Yvonne, devenue la femme de Léon Fayard. Marie-Josée se souvient très bien de son arrière-grand-mère Fernande : " C’était une femme austère mais très gentille. À nos anniversaires, elle rentrait dans l’école sans rien demander à personne et nous apportait une boîte de gâteaux. Elle était tout le temps habillée en noir et priait beaucoup. Elle nous disait qu’elle priait pour avoir une belle mort. " Jean-Yves, justement, était présent le jour de son décès : " Devenue veuve, elle venait souvent chez son fils. Sa belle-fille lui cuisinait son plat préféré, un petit salé. Ce jour-là, je rentrais de l’athlétisme. Comme à son habitude, elle avait bu son café au lait et donné un bout de pain trempé dedans à son chien, Nickel. Mais elle ne se sentait pas très bien. Elle est allée s’allonger, et moi, prendre ma douche. Quand je suis ressorti, elle était morte. Ses prières ont été exaucées. "
De la police à la mine
Comme celle de nombreuses familles calédoniennes, l’histoire des Blaise s’écrit parallèlement à celle du territoire. Elle commence avec le bagne et se poursuit avec l’exploitation du nickel.
C’était magique, pour nous, toutes ces lumières et la couleur du métal en fusion, ce sont des souvenirs de gosse extraordinaires. "
Le fils de Gustave, André-Louis, d’abord ajusteur mécanicien pour la Société Le Nickel, " gravit les échelons un à un puis obtient un poste important, note Daniel, son petit-fils. Il était le patron de l’atelier fer et, à l’époque, beaucoup de pièces étaient coulées sur place. Ils faisaient de la fonderie, de la chaudronnerie. Je me rappelle que, parfois, il était rappelé de nuit et, pour nous faire plaisir, il nous embarquait avec Jean-Yves dans sa Juvaquatre de marque Renault. C’était magique, pour nous, toutes ces lumières et la couleur du métal en fusion, ce sont des souvenirs de gosse extraordinaires. "
Mariage d’André-Louis Blaise avec Juliette Giguet, en 1924. Le frère de Juliette Giguet, Maurice, a épousé la sœur d’André-Louis, Marguerite, la même année, un mois plus tôt. Photo DRLe fils aîné, Yves, a suivi les traces de son père et est devenu ingénieur maison à la SLN. Il a fait une partie de sa carrière à Yaté et a épousé Denise Flotat, une descendante de transporté kabyle. Ils ont eu trois enfants : Daniel, Ronald et Marie-Josée. Le fils cadet, André-Maurice, dit " Petit", a travaillé un temps sous les ordres de son père à la SLN avant de rejoindre son ami Jehan Morault à l’Unelco. Il décède très jeune, électrocuté, laissant derrière lui quatre jeunes enfants : Jean-Yves, Roland, Mireille et Michelle.
La doyenne Denise, veuve d’Yves Blaise, arrière-petit-fils du surveillant militaire, sa fille Marie-Josée et son fils Daniel, ainsi que son petit-fils Philippe. Jean-Yves dit « Blaisou », et son épouse Catherine, descendante de transporté. Photo DRSix générations sont nées depuis l’arrivée d’Auguste. Philippe Blaise, engagé comme son père en politique, a conscience que " le travail de recherches entamé il y a quelques années n’est pas terminé. Il faut encore chercher dans les boîtes à souvenirs éparpillées dans la famille, interroger les anciens, explorer les archives. C’est un travail fastidieux et difficile, mais nécessaire pour conserver et transmettre la mémoire de nos origines familiales ".
De l’assistance publique à la Nouvelle-Calédonie
Les jeunes filles à marier ont été envoyées en Nouvelle-Calédonie à bord de trois bateaux, l’Isis et le Fulton et le Fénelon.En 1863, le gouverneur Guillain prie le ministre de la Marine et des Colonies de bien vouloir rechercher auprès du directeur de l’Assistance publique de Paris quelles seraient les jeunes filles qui consentiraient à émigrer en Nouvelle-Calédonie en vue d’un mariage.
Les jeunes filles retenues arrivées par l’Isis et le Fulton se sont presque toutes mariées.
Dix ans plus tard, en 1873, le gouverneur de La Richerie formule le même souhait. Vingt jeunes filles, toutes orphelines de l’Assistance publique de Paris, acceptent. Parmi elles, Eugénie Guay. Selon les dires, on les aurait un peu incitées à dire oui !
L’embarquement des demoiselles sur le Fénelon se fait au Havre sous la conduite de deux sœurs de Saint-Joseph-de-Cluny. À leur arrivée, elles seront nourries et logées chez les sœurs jusqu’à leur mariage.
Au départ de Normandie, toutes reçoivent un trousseau. Y figurent entre autres 6 chemises de toile cretonne, 2 paires de draps, 1 douzaine de serviettes de table, 6 tabliers, 3 jupons, 2 douzaines de mouchoirs fil, 1 robe laine et coton, 1 robe fantaisie, 6 paires de bas coton écru, 1 chapeau, 1 trousseau de mercerie, 1 paire de bottines en cuir, 1 caisse à chapeau en bois blanc…
Dans une lettre, le ministre donne des instructions précises pour que l’ordre règne à bord du navire. Des compartiments spéciaux sont réservés à ces jeunes filles à l’arrière du bateau, et l’armateur, M. Miège, devait alors veiller à ce que cette partie du contrat soit bien respectée.
Le Fénelon fut le troisième et dernier convoi de jeunes filles à marier envoyé en Nouvelle-Calédonie.
Note
Cette série sur les destins de familles issues de la colonisation pénale, tirée du livre Le Bagne en héritage édité par Les Nouvelles calédoniennes, est réalisée en partenariat avec l’Association témoignage d’un passé.
Cet article est paru dans le journal du 5 mars 2016.
Une dizaine d'exemplaires de l'ouvrage Le Bagne en héritage, certes un peu abîmés, ainsi que des pages PDF de la parution dans le journal sont disponibles à la vente. Pour plus d'informations, contactez le 23 74 99.
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