- LNC | Crée le 29.12.2024 à 05h00 | Mis à jour le 29.12.2024 à 05h00ImprimerDe gauche à droite, au second rang : Victor, Léopold, le pionnier, puis Paul Mazoyer, son gendre, et Léopold Marcel. Au premier rang : Eugénie, Anna Louise Sauger, l’épouse du pionnier, Julie-Louise et Robert son fils. La photo a été prise à Nouméa vers l Photo DRDe menus larcins en petits délits, Léopold Exbroyat se retrouve à l’île Nou. L’Ardéchois n’a pas 20 ans quand il arrive au bagne mais il sait lire, écrire et se débrouiller. Une fois réhabilité, il s’installe en ville et développe son commerce. Marcel Claude et Thierry Sorge, ses arrière-petits-fils, retracent l’histoire de cette famille devenue très métissée dans ce trentième-deuxième épisode de notre saga consacrée aux personnes issues du bagne.
"L’ancêtre est né en 1857 à Marseille, mais le berceau de notre famille se trouve au pied du mont Gerbier-de-Jonc, à Saint-Martial en Ardèche. Entre 1872 et 1874, Léopold commet de menus larcins. Mais après plusieurs petites condamnations, la cour d’assises des Bouches-du-Rhône le condamne en juillet 1876 à dix ans de travaux forcés et dix ans de surveillance à l’issue de sa peine." Marcel et Thierry sont cousins, leurs grands-pères, deux des fils du condamné, étaient frères.
À les voir assis côte à côte, le lien de parenté ne saute pas aux yeux, l’un a la peau aussi foncée que l’autre l’a claire. Ils sont à l’image de leur famille, métissés. Ensemble ils ont recherché l’histoire de cet ancêtre, ensemble ils la racontent, volontiers.
Marcel Claude (à gauche) et Thierry Sorge, les arrière-petits-fils du pionnier. Photo DRLes premières années
" Léopold arrive par le Tage le 12 mars 1880. Il est officiellement célibataire. L’acte de condamnation stipule qu’il était journalier, mais nous savons qu’il exerçait le métier de garçon boucher et, fait notoire, il savait lire et écrire. Nous avons fait une enquête mais nous n’avons trouvé aucune liste faisant mention des différentes affectations. Nous ne savons pas où il a été envoyé à son arrivée. Il n’a pas été puni et n’a pas fait de demande de concession. Quelques mentions font juste état de son fort caractère, un gène que l’on a gardé génération après génération, nous sommes tous de fortes têtes !
" Il est libéré en 1885 sous le numéro 5387. Dès l’année suivante, il s’établit comme coiffeur perruquier et ouvre une boutique sur le boulevard Cassini à Nouméa, l’actuelle avenue La Victoire – Henri-Lafleur. Où donc a-t-il appris à coiffer et à tenir un commerce ? C’est un mystère, mais il est certain que ce magasin lui appartenait, il n’était pas un simple employé. Nous avons affaire à un débrouillard, son activité est florissante et son commerce s’agrandit d’un étage.
La devanture de la boutique de Léopold Exbroyat, boulevard Cassini. Entre les premières photos et celles prises quelques années plus tard, on peut voir que la boutique a pris un étage. Photo DR" En janvier 1893, il entreprend des démarches pour faire lever son obligation de résidence surveillée. Cette demande est refusée bien que notre arrière-grand-père ait joint à ce courrier une attestation de moralité. En effet, plusieurs notables qui devaient compter parmi ses clients ont rédigé des sortes de témoignages de satisfaction. La réponse à ce courrier lui confirme sa mise sous surveillance jusqu’en 1896 ". Il fait appel de cette décision et obtiendra sa réhabilitation en 1898.
L’histoire familiale raconte même que le clergé de l’époque venait parcourir ces journaux !
En 1894, Léopold épouse Anna Louise Sauger à Nouméa. " Notre arrière-grand-mère avait 16 ans et était orpheline. Ses deux parents étaient des condamnés. De leur union vont naître six enfants, quatre arriveront à l’âge adulte et tous, y compris les femmes, ont un fort caractère, l’empreinte ardéchoise sans doute ! Notre arrière-grand-père va tenir sa boutique pendant quarante ans. Du beau linge se croise boulevard Cassini. Il paraît qu’il était provocateur et qu’il avait à la boutique la presse de France, et en particulier celle de l’opposition politique. Nombreux étaient les clients à la lire le temps d’une coupe, l’histoire familiale raconte même que le clergé de l’époque venait parcourir ces journaux ! Pendant ce temps-là, notre arrière-grand-mère confectionnait des chapeaux, elle était modiste. " Léopold Exbroyat décède en 1933.
Famille Exbroyat Devant le monument aux morts, on peut voir la devanture du magasin Exbroyat, sur la gauche de la photo. À l’époque, le monument érigé à la mémoire des soldats tombés au combat pendant la Grande Guerre se trouvait en bas du boulevard Cassini, à l’angle de la rue de Sébastopol. Il a été inauguré en 1924. Déplacé depuis, il se trouve aujourd’hui au pied de la caserne Gally-Passebosc. Photo DRLa famille fait souche
L’aîné des enfants de Léopold, Léopold Marcel, est le grand-père de Marcel. Il épouse Angèle Trinome, elle-même descendante de condamné, avec qui il a trois enfants, dont Huguette la mère de Marcel, et Jacqueline. " Mon grand-père Léopold Marcel était très connu à Nouméa, il était caissier en chef à la Société havraise calédonienne, rue de l’Alma. Le magasin faisait du négoce et de l’import-export.
Il n’y avait alors que trois grands magasins, celui-ci ainsi que Ballande et Barrau. Mon grand-père était philatéliste et jouait du hautbois dans la chorale. Marcel, son fils aîné, mon oncle, volontaire du Bataillon du Pacifique, est mort pour la France en 1944 durant la bataille de Monte Cassino en Italie."
Marcel Exbroyat, petit-fils de Léopold et oncle de Marcel, aspirant, volontaire du Bataillon du Pacifique, est mort pour la France en 1944, durant la bataille de Monte Cassino en Italie. Une rue de la Vallée-des-Colons porte son nom. Photo DRLe second fils du pionnier, Victor, est le grand-père de Thierry. Son premier enfant avec Marcelle Viaud, Josiane, est la mère de Thierry. " Mon grand-père est parti aux Nouvelles-Hébrides rejoindre sa sœur qui y habitait. Il était mécanicien aux Messageries automobiles. Puis, après être revenu en Nouvelle-Calédonie, il a épousé Elisabeth Bénébig avec qui il a eu trois enfants, dont Simone qui a œuvré de nombreuses années au sein de la Commission du Pacifique Sud. C’était un organisme qui occupait l’ancien quartier général des troupes américaines, le fameux Pentagone comme on le surnommait à l’époque. "
Julie-Louise, la troisième enfant de Léopold, a épousé Paul Mazoyer. Ils étaient grands propriétaires de plantations aux Nouvelles-Hébrides, un pays qu’elle a quitté lorsque son mari est décédé. Les cousins gardent de leur fameuse grand-tante, un souvenir intact : " Tante Lili s’est alors installée à l’hôtel Central en haut de la place des Cocotiers. On adorait aller chez elle. Sa chambre était remplie de bibelots en tout genre ! Une fois par mois, elle venait déjeuner avec nous.
Elle prenait toujours un petit whisky, je ne sais pas pourquoi elle nous faisait penser à une Américaine. Sous ses airs calmes et doux, une vraie maîtresse femme ". Thierry était jeune mais il se souvient parfaitement lui aussi des quelques repas qu’il a partagés avec elle. " Elle avait une sacrée autorité, même à l’occasion des réunions de famille ! "
La dernière fille, Eugénie Jeanne, a épousé Charles Chatelain puis Richard Song. " Notre famille n’est pas immense comparé à d’autres où les fratries dépassent les huit ou dix enfants, mais comme beaucoup de Calédoniens, descendants de condamnés ou pas, les Exbroyat ont participé à l’effort des deux guerres, ont travaillé dur et ont mené, et mènent encore, une vie honorable ! "
Photo LNCFanfare
Léopold Marcel (le 4e musicien en partant de la gauche au premier rang avec un chapeau) était un homme très connu à Nouméa. Caissier en chef à la Société havraise calédonienne, il était aussi un philatéliste renommé et musicien dans la fanfare municipale de Nouméa. Il jouait du hautbois. La fanfare animait les commémorations et autres cérémonies officielles jusqu’au milieu des années 60 environ. Les musiciens donnaient des concerts notamment au kiosque à musique place des Cocotiers.
Femme médecin et écrivain
Jacqueline Exboryat (à droite), une des premières femmes médecins d’origine calédonienne, était également poétesse et écrivain. Photo DRJacqueline Exbroyat est la deuxième fille de Léopold Marcel, le fils aîné du pionnier. Elle est une des premières femmes médecins d’origine calédonienne. En 1959, elle obtient son doctorat de médecine à la faculté de Montpellier en France. À son retour, elle fonde en 1962 le centre médicoscolaire de Nouméa dont elle est médecin chef. Poétesse et écrivain, elle est l’auteure de plusieurs ouvrages dont :
- Albert Lavigne, négociant en vins, poète et communard, Ed. La Bruyère, 2002.
- Une ile si longue, Ed. Amalthée, 2006.
- Le colonel Gally-Passebosc : un destin calédonien, Ed. Amalthée, 2007
- Le Caillou sauvage Ed. Amalthée, 2009
Née en 1931 en Nouvelle-Calédonie, Jacqueline Exbroyat décède le 23 mai 2013 à Nouméa, à l’âge de 82 ans.
Photo DRNote
Cette série sur les destins de familles issues de la colonisation pénale, tirée du livre Le Bagne en héritage édité par Les Nouvelles calédoniennes, est réalisée en partenariat avec l’Association témoignage d’un passé. Cet article est paru dans le journal du samedi 1er octobre 2016.
Une dizaine d’exemplaires de l’ouvrage Le Bagne en héritage, certes un peu abîmés, ainsi que des pages PDF de la parution dans le journal sont disponibles à la vente. Pour plus d’informations, contactez le 23 74 99.
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