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    Nouvelle Calédonie
  • Propos recueillis par Anthony Tejero | Crée le 27.06.2024 à 05h00 | Mis à jour le 27.06.2024 à 07h27
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    Julie Laronde est à la tête de Nouvelle-Calédonie tourisme (NCT) qui planche d’ores et déjà sur une stratégie de relance du secteur, qui prendra de longs mois. Photo Anthony Tejero
    Depuis un mois et demi et le début des exactions, le tourisme, deuxième économie du pays, est à terre. Alors que le secteur a été ébranlé par la pandémie puis les attaques de requin, cette nouvelle crise, qui touche à la sécurité, s’annonce encore plus "grave" et met en péril les 5 000 emplois qui en dépendent directement. Pour autant, les professionnels du secteur planchent sur les conditions de relance de cette filière jugée "essentielle" à la reconstruction du pays. Entretien avec Julie Laronde, directrice de Nouvelle-Calédonie tourisme (NCT).

    Est-ce que le secteur touristique est également touché par les destructions qui ont lieu depuis le déclenchement des exactions ?

    Peu de dégradations de structures touristiques sont à déplorer, mais quelques prestataires ont été gravement impactés par la destruction de leur outil de travail, notamment une société qui a perdu tous ses bus et le petit train, qui ont été incendiés. Des loueurs de voitures ont également été touchés. Nous n’avons pas un état des lieux exhaustif, mais globalement, les établissements hôteliers et autres structures n’ont pas été pris pour cible.

    Le tourisme, deuxième économie du pays, est à terre depuis plus d’un mois. Quel est le poids de ce secteur ?

    La filière représente 5 000 emplois directs aujourd’hui menacés, et quatre fois plus si on compte les emplois indirects et induits. Tout est à l’arrêt depuis que les touristes bloqués ont tous été évacués.

    33 000 annulations ont été enregistrées dans les mois à venir, ce qui représente d’ores et déjà une perte de chiffre d’affaires de 3 milliards de francs. Et ce n’est pas exhaustif car tous les prestataires ne nous ont pas répondu et il ne s’agit que de la période de mai à juillet. Ces annulations continuent jusqu’à la fin de l’année. Air New Zealand a suspendu ses vols jusqu’au 28 septembre, Qantas a maintenu seulement deux vols avec Sydney par semaine, ce qui génère des annulations en cascade difficilement chiffrables dans leur globalité, mais ce sont des pertes considérables d’exploitation et de chiffre d’affaires.

    En dehors de Nouméa, les établissements touristiques sont vides, tout comme les activités.

    Au niveau des structures d’hébergement, quelle est la situation ?

    À Nouméa, les structures hôtelières sont occupées par les forces de l’ordre, avec un taux d’occupation proche de 100 %, mais à l’extérieur, les établissements touristiques sont vides, tout comme les activités. Nous recevons des mails de prestataires qui disent ne même plus avoir de carburant pour les bateaux, etc. Donc tout est à l’arrêt.

    Faut-il s’attendre à des destructions d’emplois importantes dans le secteur ?

    Bien sûr. Nous disons aux entreprises de faire les demandes d’aides. Il y a plusieurs dispositifs comme le fonds de garantie de l’État, qui est faible et qui n’est pas suffisant pour le secteur touristique. Il existe les aides de la province Sud ainsi que celles du Nord et des Îles. Mais tout cela ne sera certainement pas suffisant. Il y aura donc des demandes de mise au chômage spécifique, puis des licenciements économiques. C’est évident. Même nous chez NCT (Nouvelle-Calédonie tourisme), je dois mettre au chômage 70 % des salariés au 1er juillet.

    Cette nouvelle crise est pire car elle est liée à la sécurité.

    Ces exactions interviennent après la crise Covid, qui a été très longue, puis la crise requins. La filière pourra-t-elle se relever de cette nouvelle crise qui se profile alors que le secteur repartait de plus belle ?

    Fin 2023, nous avions retrouvé 96 % des flux touristiques de 2019 par avion, sans avoir reconquis le marché japonais, avec de très beaux scores sur l’Australie, la Nouvelle-Zélande et la Métropole où on avait dépassé les flux d’avant Covid. Nous nous étions remis à flot. Les croisiéristes étaient revenus aussi nombreux avec deux escales en moins.

    Cette nouvelle crise est pire car elle est liée à la sécurité. L’image de cette destination sûre et développée en prend un coup d’autant plus que nos arguments étaient centrés autour de la sécurité et la sérénité dans un environnement naturel préservé.

    Nous faisons une veille médiatique à l’international et dès le début des exactions, il y a eu des pics d’articles. Nous avons recensé plus de 130 000 publications en France, en Australie, en Nouvelle-Zélande et à Singapour qui sont les marchés sur lesquels nous travaillons. Maintenant, cela a fortement reculé. Fin juin, d’autres actualités ont pris le relais.

    Pour autant, l’image de la destination devrait durablement être ternie…

    Je reste positive, en me disant que l’humain a cette capacité à oublier assez vite. Nous, on est au centre de ces exactions donc on croit que tout le monde nous regarde, mais il y a d’autres crises un peu partout dans le monde. J’ai invité la consule australienne à notre dernier conseil d’administration, qui est d’accord avec moi. Elle prenait l’exemple de Kuta, les attentats de Bali en 2002, qui ont causé le décès de presque une centaine d’Australiens. Malgré ça, cette population est revenue en masse très peu de temps après.


    Les paysages du Caillou, préservés, restent un argument de poids pour la relance du tourisme international. Photo Anthony Tejero

    Nous avons fait plusieurs études de cas, notamment à Fidji qui a connu des coups d’État, dont le dernier remonte à 2007, pour savoir comment le secteur s’est reconstruit et redressé. Les professionnels ont, un mois après, invité les tour-opérateurs et les médias pour renouer contact et mener des campagnes d’envergure pour dire que rien n’a changé. On a regardé aussi au Kenya où il y a eu des attentats, etc. Toutes ces destinations repartent avec des campagnes de réassurance. Donc nous nous inscrivons dans cette stratégie de relance.

    Pour la relance, nous allons miser sur le régional, à savoir essentiellement l’Australie et la Nouvelle-Zélande, et aussi la Métropole.

    Quels sont les prérequis pour envisager une relance ?

    Il y a plusieurs étapes, dont la phase 1 de gestion de crise, dans laquelle nous sommes, jusqu’au rétablissement de la sécurité. La deuxième phase, qui devrait durer un mois, est celle de l’apaisement, une fois que la sécurité est rétablie, que l’aéroport est de nouveau accessible avec une reprise des vols commerciaux réguliers. Nous recommencerons alors à poster des paysages apaisants sur nos réseaux sociaux, mais sans offre commerciale, avec une modération des commentaires.

    La troisième phase, que l’on peut imaginer jusqu’à fin septembre mais avec un calendrier glissant selon l’évolution de la situation, est celle de la réassurance pour mesurer l’indice de confiance des marchés extérieurs, avec la possibilité de redémarrer l’exploitation des structures touristiques. Il faudra alors dresser un état des lieux de qui sera en mesure ou pas de reprendre car plus la crise va durer, plus il y aura de fermetures définitives d’établissements. Il y aura également des licenciements et des pertes de compétences qu’il faudra mesurer.

    La phase 4, ce sera l’abaissement des niveaux d’alerte des gouvernements de nos marchés émetteurs. En Australie par exemple, les autorités demandent d’éviter la Nouvelle-Calédonie pour des motifs non essentiels. Ce sera donc le prérequis pour relancer des campagnes de promotion payante, si nous avons encore des budgets dédiés, car là aussi, c’est l’inconnue.

    Quels seront les marchés sur lesquels vous comptez vous recentrer ?

    Nous allons miser sur le régional, à savoir essentiellement l’Australie et la Nouvelle-Zélande qui étaient les marchés les plus porteurs post-Covid. Et nous pensons aussi à la Métropole, notamment pour le tourisme affinitaire.

    Nous allons également cibler des clientèles qui ne sont pas sensibles à ce type de risques et que l’on retrouve partout dans le monde car, dans un premier temps, nous pensons que les personnes âgées ou les familles avec des enfants en bas âge viendront moins.

    Ce secteur est également très lié à la desserte aérienne et à d’éventuels ajustements de lignes. À quoi peut-on s’attendre dans les mois à venir ?

    Notre stratégie est forcément calée sur celle de redéploiement d’Aircalin. Nous savons par exemple que la clientèle japonaise n’a pas repris depuis la Covid et qu’elle est très sensible à tous ces risques. Nous devrons donc réviser notre stratégie sur les marchés asiatiques selon la stratégie de redéploiement d’Aircalin.

    À quelle échéance espérez-vous un retour des premiers touristes ?

    Le calendrier est glissant tant que l’ordre et la sécurité ne sont pas rétablis. On reste donc dans l’inconnue. Il y aura peut-être aussi une phase d’acceptation de la population locale du tourisme.

    Nouméa est une escale incontournable après deux jours de mer depuis Sydney, mais il faut des garanties de sécurité.

    Est-ce que la Nouvelle-Calédonie peut se passer de cette économie ?

    Non. J’alerte d’ailleurs les autorités locales et nationales pour qu’elles n’oublient pas le tourisme. Fin 2023, sur la base du nombre de visiteurs, nous estimons à plus de 50 milliards de francs pacifiques de recettes directement injectés dans l’économie calédonienne. À l’heure où il faut reconstruire l’économie calédonienne, cette rentrée de devises est l’un des leviers essentiels de diversification économique d’autant plus au moment où les usines de nickel ne vont pas bien. Les infrastructures touristiques et les paysages n’ont pas été touchés. La Calédonie reste belle et a gardé ses atouts, donc oui nous pouvons redémarrer.

    Dans un premier temps, sera-t-il plus facile de faire revenir des croisiéristes en escale ?

    Heureusement, nous rentrons dans la période creuse des croisières. Nous enregistrons 29 annulations d’escales jusqu’à fin août avec Carnival Australia qui attend et se dit prête à reprendre.


    Les îlots et infrastructures sur les baies et au large de Nouméa ont été préservés et peuvent sans difficulté accueillir des croisiéristes à la journée. Photo Anthony Tejero

    L’avantage, à Nouméa, c’est que si les croisiéristes sont déployés sur les zones touristiques, comme les baies, les îlots, le phare Amédée, ces visiteurs ne verront rien des stigmates de ces exactions, ce qui est plutôt positif pour faire redémarrer le tourisme. En plus, Nouméa est une escale incontournable après deux jours de mer depuis Sydney, mais il faut des garanties de sécurité.

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